Le Grand Débat - Mes propositions après sa clôture
Dès le début, les questions de ce fameux Grand Débat me semblaient fortement orientées. Quel service public souhaitons-nous diminuer ? Lequel augmenter et comment le financer ? En gros quelle saignée pourrait-on faire sachant qu’il y a « trop d’impôts » en France ?
De même les questions de transition écologique étaient principalement centrées sur les efforts que pourrait faire le citoyen afin d’améliorer l’environnement. Comme si à la tête de l’État et ses régions, qui connaissent les maillages de notre territoire, n’avaient pas l’intelligence suffisante afin d’impulser des idées et innovations afin de mener des actions d’envergure.
Mais finalement j’ai quand même pris le temps d’assister à trois des débats qui ont eu lieu dans ma ville, et j’y suis allé plutôt en observateur. Il était aussi intéressant d'observer la diversité des personnes qui se sont déplacées à ces débats (chef d’entreprise, associations, chômeurs, étudiants, salariés, fonctionnaires etc…). Un des coordinateurs de ces débats proposait de systématiquement argumenter avant de proposer. Alors je m’y suis essayé à cet exercice.
1- Les Services Publics
Nos chers (trop chers) dirigeants répètent en boucle que notre Pays souffre de 56 % d’impôts prélevés sur le PIB. De même un article du Figaro (1), qui parlait de ce « pognon de dingue » revenait aussi sur ce poids que sont nos prestations sociales dont les retraites (325 miliards €), la santé (249 milliards €) et l’assurance chômage (44,8 milliards €). Fipeco indique que l’ensemble des prélèvements obligatoires étaient de 45,7 % en 2017 dont 16,9 % pour les cotisations chômage, retraites et santé (2). Hors cotisation, notre pays ne serait imposé qu’à environ 29 % de son PIB, soit pratiquement l’imposition de la flat tax.
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » jugeait Albert Camus.. On ne devrait donc pas compter les cotisations comme des impôts ou charges mais comme une mutualisation des services sociaux, des salaires différés. De plus, le fait de transférer le coût de l’assurance chômage des actifs vers nos retraités, au travers de la CSG, me questionne. Iriez-vous faire payer votre assurance automobile par un voisin de quartier qui n’a pas de véhicule ? Il faudrait donc retirer cette mesure et rétablir tel que c’était avant.
De même, une réforme des retraites sera prochainement étudiée avec une forte orientation sur des fonds de pensions. Ce serait une erreur terrible, car le système de répartition permet de faire circuler l’argent de manière plus fluide. Lorsque l’on connaît le fonctionnement des fonds de pension qui ne font que de la rétention de monnaie pour spéculer, ce n’est pas raisonnable.
Les caisses de retraite, chômage et santé ont été mises en place alors que notre Pays était en ruine et en phase de reconstruction. Pourquoi ne pourrions-nous pas y faire face avec un PIB qui a pratiquement doublé en 20 ans ?
Par contre, s’il y a bien un service public dans lequel investir c’est bien les services fiscaux. Depuis 2010, c’est pourtant tout l’inverse qui a été fait avec 3100 agents en moins (3) et en conséquence, une diminution de 38 % des entreprises. Bien évidemment, ce n’est pas au détriment des grandes entreprises car les agents URSSAF sont fortement découragés à contrôler les grosses entreprises. Pourtant, il y aurait de quoi faire afin de vite rentabiliser l’embauche de 3100 agents pour recouvrer les sommes dérobées ou stopper la fraude. M Charles PRATS, magistrat spécialisé contre la fraude fiscale, nous donne plusieurs pistes comme la lutte contre les « numéros de sécu » frauduleux qui nous couterait jusqu’à 14 Milliards d’€ / an (4), ou encore le recouvrement de la fraude à la TVA évaluée à 32 Milliards € / an (5). Les belges recouvrent 90% de cette fraude sur leur territoire mais l’Etat Français a refusé leur aide quand ils nous l’ont proposé. Ces deux exemples de fraude ne sont pas le fait de citoyens isolés mais bel et bien de bandes organisées.
Dans le développement de ce service, il serait aussi très intéressant de s’attacher les services de lanceurs d’alerte sérieux comme Hervé Falciani, Edward Snowden, Julian Assange ou d’autres. Or ils sont actuellement pourchassés alors qu’ils pourraient nous rendre de fiers services. Eux comme d’autres pourraient mettre à jour les mécanismes d’évasion fiscale afin d’y trouver des stratagèmes pour les contrer. Quand on sait que fraude & évasion fiscale dépassent très certainement les 100 milliards € / an (6), nul doute que ce service serait immédiatement très rentable pour nos finances publiques.
2- La Fiscalité
Avant de se demander quel impôt lever ou baisser, posons-nous d’abord la question de savoir si chacun les paye bien selon son niveau de revenu et si les aides fiscales ont réellement un effet bénéfique sur l’économie et l’emploi.
Contrairement à tout ce que l’on a pu entendre du côté de la Macronie, l’ISF ne faisait pas tant fuir les riches de notre pays. Environ 350 000 contribuables payaient cet impôt pendant que nous avions un solde de 500 départs par an, ce qui correspondait à environ 170 millions d’€ de perte en moyenne sur les 10 dernières années. Comparée aux 4 milliards de recettes annuelles, cette perte était plus que modérée, d’autant plus que les recettes de cet impôt restaient en constante augmentation. Plusieurs économistes ont dénoncé cette malhonnêteté intellectuelle comme Thomas PORCHER (7) et Frédérick LORDON (8). Quant à Thomas PICKETTY (9), il expliquait dans un article que les démocrates américains envisageaient sérieusement de faire figurer un ISF dans leur programme pour les prochaines élections. Et puis, si la suppression de cet impôt a été faite pour encourager l’investissement en entreprise, pourquoi ne pas avoir simplement étendu l’abattement existant de 50 à 100 % si les sommes étaient investies dans des TPE/PME françaises ?
Quant au CICE, un rapport de la cour des comptes est sorti en 2016 (10). Il indiquait que la moitié de ce crédit d’impôt allait vers les plus grands groupes, mais qu’en plus un « racket au CICE » étaient imposés à leurs fournisseurs. Ces grands groupes n’ont pas besoin de ces aides car ils font de bons profits. Nous devrions donc allouer ce crédit d’impôt aux seules TME/PME du pays en recouvrant la moitié de cette somme soit 10 milliards €
La suppression de l’Exit Tax (taxation sur la plus-value d’une entreprise française d’un contribuable ayant décidé de quitter le pays) et la mise en place de la Flat Tax (basse taxe sur les plus- values du capital) risquent de nous coûter 10 Milliards € / an à terme d’après Gabriel ZUCMAN (11). En effet, avec 15 % d’écart d’imposition, la tentation sera énorme pour que des propriétaires/salariés d’action, se rémunèrent plus en dividende qu’en salaire. Cela arrive déjà aux Etats-Unis où la différence n’est que de 2,5 %
Enfin, comme le suggérait déjà la Cour des Comptes en Mai dernier, il serait grand temps de vérifier l’efficience des dispositifs de niche fiscale car leur coût va dépasser les 100 milliards € / an dès cette année (12). Nul doute que des dispositifs, comme les emplois à domicile, devraient être maintenus, mais ne pourrait-on pas les plafonner sur les revenus de ceux qui peuvent en bénéficier plutôt que sur la somme maximale allouée par foyer ? En effet quand on voit Monsieur Darmanin indiquer que sur une partie de ces niches (14 milliards d’€), plus de la moitié bénéficie aux 9 % les plus aisés (13), nous sommes en droit de nous demander si elles sont réellement efficaces. Et quand, en réponse à cette proposition, notre Président de la République Monsieur MACRON (14), ferme la porte à toute évaluation de ces niches, on peut aussi légitimement se poser la question de savoir si le gouvernement agit dans l’intérêt général ou particulier ! Je pense qu’il serait grand temps de lancer un audit citoyen sur ces niches ainsi que sur la dette du Pays.
3- Transition écologique
Le rapport du GIEC, rendu public le 8 Octobre 2018 est alarmant comme l’indiquait Brice Montagne dans son intervention du 6 Février au Parlement Luxembourgeois (15). Sa synthèse (16) explique notamment les différentes projections pour des scénarios à +1,5° ou +2 %. Il préconise aussi un investissement à 2,5 % du PIB intégralement dévolu à la transition énergétique, soit 57,5 milliards d’€ / an, ce qui représente environ le budget de l’éducation nationale.
Quant aux conséquences d’un réchauffement de 1,5 %, elles sont nombreuses (voir page 3 de la synthèse (16)) dont une augmentation des sécheresses dans la région méditerranéenne. Or pour pallier aux sécheresses nous pouvions compter sur nos barrages hydroélectriques avant que Monsieur Macron ne cède aux pressions de Bruxelles afin de privatiser nos barrages (17).
Or ces derniers (18) :
- sont amortis (merci le con tribuable)
- fournissent 12,5 % de l’énergie électrique en France (70 % des énergies renouvelables)
- rapportent 2,5 milliards d’€ / an dont la moitié va aux collectivités.
Quel impôt va compenser ?
- fournissent 66 % de la capacité d’appoint rapide (moins de deux minutes)
- contribuent au stockage et à l’approvisionnement de l’eau
- permettent le stockage d’énergie (en cas de creux de consommation on remonte l’eau)
- ont le coût de production électrique le moins cher, 20 à 30 €/MWh contre 33 et 46 €/MWh
Bruxelles a demandé à la France d’accélérer les privatisations et une pétition est actuellement en ligne pour demander à ce que l’on stoppe celle-ci (19). La région Auvergne Rhône-Alpes a, semble-t-il, réussi à stopper la vente des barrages de son territoire (20). Peut-être faudrait-il que d’autres régions s’y attellent ?
De plus, pour faire baisser le niveau des gaz à effet de serrre, ce rapport préconise en autre une hausse du Nucléaire afin de pallier aux énergies carbonées (tableau 2, page 5 de la synthèse (15)), alors que nous rencontrons déjà des soucis de place dans le stockage des déchets nucléaires (21). Lorsqu’on sait qu’un projet de construction de 6 EPR, sur une faille sismique, est en phase d’élaboration en Inde (22) on ne peut que s’en inquiéter.
Pourtant Il pourrait y avoir d’autres modes de production énergétiques décarbonées comme celles issues des énergies de la mer (23). Une éolienne Offshore produit dix fois plus qu’une éolienne terrestre. De même les océans produisent 80 % de l’énergie totale consommée sur la planète et il existe différents moyens de produire de l’électricité à partir des énergies marines (24) (hydroliennes (25), marémotrices (26), serpents de mer électrique, éolienne offshore (27) etc..).
Pourquoi ne pas développer un service public de la transition énergétique afin de superviser un grand plan de recherche pour améliorer ces techniques, tout en s’appuyant sur le monde universitaire ? En même temps que nous progresserions dans la recherche de ces modes de production, nous formerions des ingénieurs qui auraient ensuite un emploi sûr dans cette filière.
De plus, le fret ferroviaire a toujours eu du mal à prendre sa place pour pallier au transport routier plus « low cost » (28). Le rail semble donc moins rentable à courte vue, mais peut-être faudrait-il le mettre en comparaison des pollutions et dégradations de route engendrées par les camions ? En effet 1 train équivaut à 50 camions en moins sur la route (29) et pour 1km de voie ferrée 1 millions € est nécessaire contre 5 millions € pour son équivalent bitumé (30). Au vu du nombre de camions ne faisant que traverser notre pays sans même faire le plein (donc ne contribuant pas à l’entretien des routes nationales), un grand plan d’investissement pourrait être lancé par l’Etat pour en diminuer le trafic. Cela contribuerait aussi à faire baisser le nombre de morts sur la route car en 2014, 14% des accidents mortels impliquaient un poids lourds (31 page 4).
Un cargo pollue autant que 1 million de véhicules (32). Peut-être que ce grand déménagement du monde, qui consiste à envoyer du bois en Chine pour le faire revenir chez nous sous forme de meubles, devraient peut-être drastiquement diminuer ? Nous devrions, autant que faire se peut, relocaliser notre activité en privilégiant les circuits courts, comme par exemple l’approvisionnement des cantines scolaires directement par des producteurs à proximité. Ou encore le développement de vente plus directe agriculteur/consommateur via des scoops. Cela aurait aussi l’avantage d’éviter que centrales d’achats et grandes surfaces ponctionnent autant le fruit du travail de nos agriculteurs.
7 millions de logements en France sont de vraies passoires thermiques (33). Dans l’intérêt de la France, l’Etat devrait aider, de manière plus importante, tous les citoyens à améliorer la qualité d’isolation de leur logement, quitte à rembourser intégralement les moins aisés de la population.
4- Démocratie et citoyenneté
J’ai suivi le mouvement des Gilets Jaunes de ma ville et leur organisation s’est politisée dans le sens noble du terme, à savoir l’intérêt général et le bien vivre ensemble. Ils ont maintenant des assemblées générales chaque vendredi soir où ils débattent et votent pendant 4h de sujets proposés à l’ordre du jour. Une constituante est en cours d’élaboration et une synthèse a été faite d’une liste de plus de 250 doléances.
Mais en parallèle j’ai pu me rendre compte à quel point la fracture installée entre le peuple et ses dirigeants, était importante, et que le chemin serait très long, pour la reconstruire. La prise en compte du vote blanc ou la proportionnelle n’y suffiront pas. La meilleure des solutions me semble être le RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne) détaillé par LFI à savoir législatif, abrogatif, révocatoire et constituant !
Le RIC législatif et abrogatif permettrait de proposer l’ajout ou l’annulation d’une loi dès lors que 2 % du corps électoral (environ 900 000 citoyens) demanderait à ce que la question soit posée en référendum. Viendrait ensuite une période de débat clôturé par un vote des citoyens.
Le RIC révocatoire, quant à lui, réclamerait un seuil de 5 % du corps électoral (environ 2 250 000 citoyens) afin de déclencher un référendum sur l’ensemble des citoyens, qui pourraient décider ou non d’en revenir aux urnes pour changer d’élu.
Concernant les périodes de débat pré-référendum, il faudrait aussi se poser la question du financement, afin que certains lobbies puissants, ne captent pas les débats. Quant à la crainte de voir revenir la peine de mort, notre constitution nous l’interdirait de toute manière
Et enfin, la constituante permettrait en deux ans, de refonder complètement la constitution et préparer un passage vers la 6ème République, où le Président de la République aurait un pouvoir moindre, tout en renforçant celui de l’Assemblée Nationale. Et cette dernière pourrait être plus légitimée par le peuple via le RIC.
Au final, plusieurs choses m’ont gêné dans la manière dont étaient proposés ces débats, notamment sur le thème de l’écologie. J’ai eu le sentiment que M MACRON cherchait des solutions individuelles à l’heure où une solution collective doit être apportée. L’heure n’est plus à chercher à faire du bricolage chacun dans notre coin. L’urgence nous commande d’en revenir à la coopération et non à la concurrence qui saccage notre planète
Dès le début, ce débat était biaisé mais on pouvait tout de même faire des propositions cohérentes (équilibrer le budget dépenses sociales en captant l’évasion fiscale). Cependant, la doctrine de notre monarque « élu démocratiquement », qui fixe le cap, est de laisser faire les marchés. Il est évident que le nucléaire, le TGV, les autoroutes, Ariane, … sont nés uniquement grâce à des financements privés sans aucun investissement de l’Etat. Pour Monsieur MACRON, la simple idée que l’État puisse gérer et organiser la transition écologique, ne saurait trouver grâce à ses yeux car « l’État n’est pas un bon actionnaire ». Et même si on franchissait ce cap, les traités européens, tels qu’ils sont actuellement, nous empêcheraient de prendre une telle initiative. Ils peuvent être remis en cause par le Parlement Européen. C’est long et compliqué mais cela est possible (comme pour l’arrêt de la pêche électrique). Par contre, tout dépend de quels députés ont y envoie...
(2) https://www.fipeco.fr/fiche.php?url=Les-cotisations-sociales#_ftn1
(5) https://youtu.be/iv30wiwzLxY
(7) « L'ISF ferait fuir les riches ? » https://www.youtube.com/watch?v=0Kb0veHvCRU
(8) « Démontage d'un enfumage. L'ISF expliqué par Frédéric Lordon »
https://www.youtube.com/watch?v=w_uhUdZQMAQ&t=2s
(9) http://piketty.blog.lemonde.fr/2019/02/12/lisf-en-amerique/
https://gabriel-zucman.eu/flat-tax-macron/
(15) https://www.facebook.com/watch/?v=290696068262703
(16) https://www.afd.fr/sites/afd/files/2018-10-01-50-29/note-synthese-rapport-giec.pdf
(17) https://lvsl.fr/scandale-de-la-privatisation-des-barrages-une-retenue-sur-le-bon-sens
(19) https://www.citizaction.fr/petition/non-a-la-privatisation-de-nos-barrages/
(23) https://e-rse.net/energie-marine-maremotrice-vagues-electricite-developpement-19072/
(24) https://www.planete-energies.com/fr/medias/decryptages/les-differentes-categories-d-energies-marines
(26) https://www.planete-energies.com/fr/medias/decryptages/l-energie-maremotrice
(27) https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89olienne_en_mer
(28) http://transportrail.canalblog.com/pages/fret-ferroviaire-francais---40-ans-de-declin/28922110.html
47 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON