Le lobbying de la filière bois pour défendre ses subventions
Par le biais d’une communication intensive, mettant en avant des arguments écologiques et économiques, la filière bois attire des financements publics croissants. Mais derrière cette habile présentation, se cache un certain nombre de vérités occultées, qui contribuent à fortement nuancer le tableau…
Le 10 février 2017, le Journal Officiel publiait le décret approuvant le « programme national de la forêt et du bois 2016-2026 », voté le 13 octobre 2014 avec la « loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ». Objectif affiché : intensifier la récolte de bois et ses usages dans la construction et le mix énergétique, tout en assurant une gestion durable des forêts. Il s’agit également de doter le fonds stratégique de la forêt et du bois – 28 millions d’euros en 2017 – d’au minimum 100 millions d’euros, en mobilisant les financements régionaux, nationaux, européens et privés.
Un soutien public important et croissant
Un mois plus tard, le 9 mars 2017, les ministres du Logement et de l’Environnement signaient une charte pour une « alliance nationale bois construction rénovation », avec l’Association des régions de France, les acteurs de la filière bois et l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maitrise de l’énergie). But de l’opération : diffuser des informations sur l’usage et l’intérêt du bois dans la construction, afin d’inciter les décideurs à s’engager sur cette voie, en particulier pour les ouvrages publics.
Le 28 septembre 2017, c’est le troisième « plan national bois construction » qui a été signé par le nouveau Secrétaire d’Etat au Logement, à l’invitation des acteurs de la filière. Une initiative présentée comme « un nouveau cap », « un changement d’échelle » destiné à « massifier l’usage du bois dans la construction ».
Reconnu comme « filière d’avenir », le secteur du bois dispose également d’un comité stratégique depuis 2013 et d’un « contrat Etat-filière » depuis fin 2014. A ces éléments s’ajoutent un « plan national d’action pour l’avenir des industries de transformation du bois » et un « plan de la Nouvelle France Industrielle » sur les immeubles en bois de grande hauteur...
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les acteurs de la filière bénéficient toujours de l’oreille bienveillante des pouvoirs publics. Mais ils ne relâchent pas pour autant la pression : en février 2017, ils avaient encore adressé aux candidats à l’élection présidentielle sept propositions pour soutenir les investissements dans leur secteur. Pourtant, selon un rapport de la Cour des Comptes publié en 2015 sur « les soutiens à la filière bois », celle-ci recevrait déjà au total, en aides dispersées, quelque 910 millions d’euros de subventions par an !
Un impact faible sur le développement de l’emploi en France
Pour justifier ce soutien public massif, le lobbying intense de la filière bois s’appuie en particulier sur des arguments d’habitat écologique et de défense de l’économie locale. Mais la réalité est-elle aussi simple et les impacts positifs du développement de la filière sur l’emploi et l’environnement aussi évidents ? Force est de constater que ce story telling résiste difficilement à une analyse sérieuse et à l’épreuve des faits.
Première donnée incontournable qui fragilise cette présentation de la réalité : aujourd’hui en France, 60% des sciages utilisés en construction sont importés. Certains résineux, comme l’épicéa, matériau de base des bois lamellé-collé et lamellé-croisé, sont même importés à 90%, principalement de Scandinavie. Comme le souligne le rapport remis le 12 octobre 2017 par Jean-Marie Ballu, ingénieur général honoraire des Ponts, des Eaux et des Forêts, l’essor de la construction bois va surtout profiter aux produits résineux d’importation, car ce sont eux qui vont alimenter en grande partie les ouvrages en bois qui poussent un peu partout en France.
« Si la construction bois progresse chaque année, s’imposant d’abord dans les extensions-surélévations et pesant, désormais, 5 % du total de la construction de logements collectifs, ce sont les résineux d’importation qui en profitent », confirme la revue professionnelle Le Moniteur. Car « les filières norvégiennes ou d’Europe centrale sont très compétitives, notamment pour les pins Douglas trentenaires ».
Dans ce contexte, le soutien au développement de l’utilisation du bois dans la construction n’aura donc que peu d’impact sur l’économie française et sur l’emploi local et national. Il contribuera à augmenter les importations et bénéficiera surtout à la production de bois scandinave ou d’Europe centrale. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle qu’a connue le secteur du photovoltaïque où les subventions publiques attribuées profitaient surtout aux importateurs chinois, avant d’être finalement supprimées.
En outre, la part restreinte de forêts facilement exploitables en France (seulement 58 %) et la répartition entre les différentes essences (deux tiers de feuillus et seulement un tiers de résineux, les plus demandés par le secteur de la construction) limitent considérablement les possibilités d’augmenter significativement la récolte de bois en France. Sans compter qu’une exploitation intensive de nos forêts ne serait pas sans conséquence sur la biodiversité.
Des vertus « écologiques » très discutables
Les arguments écologiques avancés par la filière bois occultent également une partie de la réalité. Le bois est habilement présenté comme un « puits de carbone » car la photosynthèse permet effectivement à la forêt de capter le CO2 de l’atmosphère, puis de le stocker dans le bois sous forme de carbone tout au long de sa durée de vie. Mais ce que l’on oublie souvent de dire, c’est que ce transfert de carbone ne sera que temporaire. Il sera en effet restitué à l’atmosphère sous forme de rejet de CO2 lorsque que le bois, à la fin de vie du produit, sera brûlé ou enfoui.
De plus, l’utilisation d’énergie fossile pour la sylviculture, l’exploitation forestière, le transport du bois, la fabrication des produits et leur utilisation, génère également des émissions de gaz à effet de serre (GES) considérables. La majorité du bois de construction utilisé en France étant importé, le transport, en particulier, pèse lourd dans le bilan carbone de la filière. Les émissions liées à la fabrication de bois lamellé-croisé (CLT) s’élèvent ainsi à 360 kg de CO2 par tonne, selon les Fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES). Un chiffre qui monte à 520 kg de CO2 par tonne pour la fabrication de panneaux de bois.
Sur le plan énergétique, à l’heure des bâtiments à énergie positive, le choix du matériau bois pour la construction n’apparaît pas non plus comme la meilleure solution pour isoler les habitations. La faible inertie thermique du bois, c’est-à-dire sa faible capacité à absorber de la chaleur en hiver ou de la fraîcheur en été, puis à la restituer progressivement, impose en effet l’utilisation de la climatisation en été et un surplus de chauffage en hiver, ce qui ne va pas dans le sens d’une diminution de la consommation énergétique des bâtiments.
Le bilan écologique du bois est aussi considérablement terni par l’utilisation des nombreux traitements chimiques nécessaires à l’utilisation de ce matériau dans la construction : contre le feu, les champignons, les insectes, l’humidité… Des produits chimiques auxquels s’ajoutent les substances présentes dans les colles et les résines utilisées pour assembler les panneaux, ainsi que dans les produits de finition (peintures, laques, vernis, etc.). Parmi ces différents produits chimiques, figurent en particulier des composés organiques volatils (COV), comme le formaldéhyde, qui ont la capacité de se répandre dans l’air intérieur des habitations et peuvent avoir des effets néfastes sur la santé, certains COV étant même classés « cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction ».
Enfin, malgré les progrès réalisés en matière de résistance au feu – là aussi, au prix de traitements chimiques – le bois reste combustible : il nourrit le feu et entretient la combustion. Et si ce matériau constitue lui-même la structure de l’habitation, celle-ci risque de s’effondrer. Un problème qui se pose avec une acuité particulière pour les immeubles de grande hauteur actuellement en projet en France.
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