Le localisme, seule issue pour le monde ?
A l’heure où le monde entier parle de refonder le système financier, à l’heure où l’on recherche en France un nouveau modèle économique et social, à l’heure où les partis politiques français ne savent plus très bien quelle doctrine adopter, voilà une véritable alternative au capitalisme et au socialisme : le localisme.
Le localisme est une doctrine politique qui consiste à privilégier ce qui est local sans toutefois se fixer de limites frontalières, favorisant ainsi la démocratie participative, la cohésion sociale et la production de proximité, donc l’emploi local et la préservation de l’environnement via une moindre empreinte écologique liée au transport de marchandises.
1. Application opérationnelle
• Fondements
Le localisme ouvert (ou néo-localisme) - qui doit être cosmopolite et diversifié - consiste à réorienter la vie humaine avec une gestion économique, sociale et politique de proximité. C’est toute la vie qui doit être reterritorialisée (Serge Latouche, Vivre localement), notamment les relations interpersonnelles. Il offre une alternative aux dégâts de la globalisation qui apparaissent progressivement : développement d’un consumérisme mondial que l’environnement ne peut pas supporter, notamment en termes de consommation d’énergie fossile et de pollution liée au transport de marchandises ; tendance à la destruction des règles sociales les plus élaborées au profit de la compétitivité ; dilution du vivre ensemble à travers des relations a-personnelles qui se développent avec les médias planétaires et les formes de collectivités abstraites ; etc...
• Géopolitique
La relocalisation, à la fois de la vie économique (rapprocher l’outil de production du consommateur), de la vie sociale (enrichir les relations humaines) et politique (mise en place d’une démocratie participative), passe notamment par une réorganisation du territoire en villages urbains (par exemple l’intercommunalité) permettant de satisfaire localement le maximum de besoins. Cette forme de localisme n’est toutefois pas l’autarcie, car certaines décisions et productions se feraient à des niveaux plus larges sur la base des institutions nationales et internationales existantes. D’ailleurs le localisme n’a pas de frontières géographiques mais le principe de rapprochement maximum est la règle : par exemple passer d’une unité de production d’un autre continent à une unité dans un pays voisin peut-être une réponse localiste satisfaisante voire ultime pour un bien en particulier.
• Production/Consommation
D’un point de vue technique, le localisme peut s’appuyer par exemple sur une taxation variable selon l’origine des produits finis et matières premières utilisées. Moins coercitif : le principe d’étiquette carbone, étroitement lié à la notion anglo-saxonne de kilomètres alimentaires ou food miles, peut orienter les consommateurs écoresponsables vers l’achat de produits locaux. En matière de commerce agroalimentaire, les AMAP entrent parfaitement dans le cadre d’initiatives localistes. Le localisme peut aussi donner lieu à des investissements publics dans l’appareil productif local ou encore à une promotion de l’économie sociale. Le recours à la mobilité inter-entreprises sous la forme d’une bourse d’échange de postes peut également permettre de limiter les flux quotidiens de véhicules individuels entre plusieurs territoires urbains.
Pour arriver à des distances d’échanges suffisamment limitées, la doctrine localiste induit une réorganisation structurelle de l’appareil productif via l’implantation d’une multitude d’unités de production de taille adaptée à la communauté urbaine correspondante.
• Système financier
Le localisme doit reposer sur des banques de gestion et d’investissement, en dehors de toute action spéculative qui fausserait le principe de proximité au profit de la rentabilité. Ce qui favorise l’implication de la collectivité dans le système financier, via des banques publiques ou coopératives voire la microfinance de manière plus marginale. Dans une forme approfondie du localisme intervient la notion de localisme monétaire.
• Philosophie
La doctrine localiste s’inscrit par nature dans un esprit humaniste, dans la mesure où l’activité locale est un moyen pour l’homme de subvenir à ses besoins et de s’épanouir parmi les siens, et non une fin visant uniquement la prospérité de personnes physiques ou morales. Les échanges de proximité favorisent l’interaction sociale et donc les relations humaines tout en nécessitant l’implication de tous dans l’effort collectif de production, d’où l’importance de la valeur travail.
2. Positionnement politique
Le localisme ne s’inscrit pas dans une vision "droite/gauche" de l’échiquier politique traditionnel. La doctrine localiste peut apparaître à la fois comme une alternative et comme une synthèse des modèles politiques depuis l’ère industrielle, apportant un certain équilibre entre les bienfaits et les excès de ces modèles politiques.
• Localisme et capitalisme : la doctrine localiste n’est pas en opposition avec le capitalisme dans le sens où elle n’entend pas limiter la création de richesses, au contraire l’économie de proximité favorise une répartition plus directe des richesses produites en s’appuyant fortement sur la participation de tous à la production (valeur travail). Cependant le localisme n’est naturellement pas compatible avec une économie de marché globalisée et dérégulée.
• Localisme et socialisme : le localisme n’entre pas non plus en opposition avec le socialisme dans le sens où la collectivité participe étroitement à l’activité économique locale en veillant à maintenir une cohésion sociale par un écart raisonnable des revenus et limitant au maximum l’évaporation de richesses dans le circuit financier international. De plus le localisme favorise l’emploi donc l’insertion par l’accès à un travail suffisamment rémunérateur.
• Localisme et nationalisme/régionalisme : comme il n’y a pas de limites frontalières dans la notion de plus proche origine des produits consommés, le localisme ne s’arrête pas à un territoire administratif. Par exemple on ne peut raisonnablement pas créer un pôle aéronautique dans chaque communauté urbaine, dans ce cas le localisme s’inscrit plutôt à une échelle continentale. En revanche la production agroalimentaire d’un département doit pouvoir subvenir en grande partie aux besoins de sa population. Par ailleurs le localisme ne repose aucunement sur l’affirmation d’identités particulières bien que la doctrine repose sur une organisation sociale de proximité consolidant de ce fait le patrimoine culturel.
• Localisme et protectionnisme : la doctrine localiste peut bien entendu apparaître comme une forme extrême de protectionnisme dans le sens où elle donne toute priorité à l’économie locale. En même temps il ne s’agit pas d’un protectionnisme d’état puisque le localisme n’a pas de frontières et défini une fiscalité progressive et non binaire (production interne/production externe). Ensuite le localisme ne concerne pas les services dématérialisés (Internet) ni les productions à très faible empreinte écologique (production hydro-électrique). Enfin l’organisation par petites unités de productions démultipliées par autant de communautés urbaines aboutirait très probablement à un marché globalisé de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire à un commerce de licences entre sociétés du monde entier.
• Localisme et écologie : à l’évidence, le localisme s’inscrit fondamentalement dans la préservation de l’écosystème dans la mesure où l’objectif est de limiter au maximum l’empreinte écologique des échanges de biens, que ce soit en matière de consommation d’énergie fossile ou d’émission de CO² qu’en matière d’usure des équipements de transport mobiles (voitures, train,...) et statiques (routes, ponts,...). De plus la doctrine localiste intègre l’autonomie énergétique via une politique volontariste en matière d’économies d’énergie (développement de l’habitat passif, rationalisation de l’éclairage public,...) et de promotion des énergies renouvelables (panneaux solaires, éolien individuel, ...).
• Localisme et altermondialisme : le localisme représente plus un standard politique adaptable à n’importe quel territoire plutôt qu’une véritable volonté de politique mondiale. Dans ce sens, des notions telles que la décroissance ou le commerce équitable ne sont pas nécessairement liées à la doctrine localiste. Le localisme entre évidemment en opposition au principe de mondialisation libérale des échanges marchands de biens matériels mais reste dans une logique de libre-échange planétaire de biens et services immatériels (recherche, culture, etc...).
3. Limites du localisme
Au-delà d’une simple tendance politique individuelle, l’action localiste se heurte rapidement à des règles internationales du commerce comme celles de l’OMC, par exemple, qui visent plutôt à faciliter la mondialisation des échanges, ou encore comme l’Union Européenne dont la politique économique repose sur une libre circulation des biens. Cependant, compte tenu des menaces écologiques qui pèsent sur la planète et suite au krach boursier de 2008 mettant en évidence l’extrême fragilité du système financier international, le libéralisme total d’un marché globalisé est de plus en plus controversé.
Par ailleurs le localisme ne peut exister que par une politique très volontariste pour faire face aux lobbys industriels ayant tout intérêt à voir leur zone de chalandise extensible à l’échelle mondiale et cela implique également une refonte très importante de l’appareil productif existant par un éclatement en petites unités locales, d’où des investissements considérables accompagnés d’une nécessaire adaptation sur place de la main d’oeuvre et de l’ingénierie.
Dans la mesure où elle s’oppose au développement croissant des échanges commerciaux internationaux, la doctrine localiste apparaît pour certains comme un "retour en arrière". Les partisans du localisme démontrent alors la fiabilité de ce modèle par le fait que l’organisation des sociétés était localiste depuis les origines de l’humanité jusqu’à la révolution industrielle. Or c’est justement depuis le début de l’ère industrielle qu’a été enclenché un processus accru par le phénomène de globalisation, phénomène apparu seulement depuis la 2ème moitié du XXème siècle et mettant en péril le devenir de l’humanité face à des dégâts écologiques planétaires qui s’accompagnent de dégâts économiques et sociaux touchant les pays occidentaux à travers différentes crises de plus en plus rapprochées et de plus en plus violentes.
4. Initiatives localistes
• L’étiquette carbone
Le 29 janvier 2008, les enseignes du commerce et de la distribution, la FCD et le Medad ont signé pour cinq ans une convention écoresponsable. Inscrite dans le cadre du Grenelle de l’environnement, elle ouvre notamment la voie à un doublement, d’ici à trois ans, du nombre de produits bénéficiant d’un label écologique, une étiquette carbone.
La démarche expérimentale, et inédite en Europe, d’étiquetage environnemental des produits a d’ores et déjà débuté. Depuis le printemps 2008, deux magasins groupe Leclerc dans le Nord-Pas-de-Calais expérimentent l’affichage du coût en carbone - autrement dit leur « indice carbone » - des produits alimentaires. Le bilan CO2 des produits est indiqué à côté de leur prix et le bilan total des courses apparaît sur le ticket de caisse. De plus, les produits permettant de diminuer ce bilan sont signalés en rayons. L’opération est soutenue par le Conseil régional et l’Ademe.
Autre exemple, le groupe Casino, s’appuyant sur l’expertise de l’Ademe et de l’entreprise Bio Intelligence Service spécialisée dans le développement durable, propose aussi à ses clients de découvrir le coût en carbone de ses produits. Son indice carbone, exprimé en g de CO2 émis pour 100 g de produit, tient compte de la totalité du cycle de vie des produits de la marque. Quand l’emballage le permet, l’indice carbone est assorti d’une réglette indiquant l’impact environnemental (de faible à fort) et d’une information sur le taux de recyclage de l’emballage.
• Les AMAP
Une association pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) est, en France, un partenariat de proximité entre un groupe de consommateurs et une ferme locale, basé sur un système de distribution de « paniers » composés des produits de la ferme. C’est un contrat solidaire, basé sur un engagement financier des consommateurs, qui payent à l’avance la totalité de leur consommation sur une période définie par le type de production et le lieu géographique. Ce système fonctionne donc sur le principe de la confiance et de la responsabilisation du consommateur.
• La marque "Produit en Bretagne"
Fondée en 1993, l’association Produit en Bretagne est le premier réseau de décideurs économiques bretons, la 1ère marque régionale collective, et la 1ère démarche de marque régionale solidaire et durable en France. En 2008, la marque concerne 200 entreprises membres sur les 5 départements bretons (Loire Atlantique comprise).
Cette initiative est plus assimilable à du régionalisme qu’à du localisme pur dans la mesure où il s’agit bien de promotion de produits locaux, donc à distance de transport réduite, cependant l’intérêt localiste est moindre pour les consommateurs limitrophes de départements d’une autre région.
• Le Slow Food
Le Slow Food est un mouvement fondé en Italie en 1986 par Carlo Petrini en réaction à l’émergence du mode de consommation Fast food. Le mouvement cherche à préserver la cuisine écorégionale ainsi que les plantes, semences, les animaux domestiques et les techniques agricoles qui lui sont associés.
• Le microcrédit
L’activité de microcrédit ou microfinance encourage les microprojets au niveau local. Cela permet d’induire des mutations "à la base". Celles-ci sont souvent plus efficaces et ont un plus grand effet d’entraînement - en créant un maillage économique dans le pays - que certaines infrastructures ou certains gros projets industriels. Cet effet de levier permet d’agir efficacement auprès de ceux qui prennent des initiatives en s’engageant personnellement, c’est-à-dire les entrepreneurs ou les artisans.
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