Le mauvais buzz du maire de Grenoble Eric Piolle
Elu à la mairie de Grenoble à la surprise générale grâce à une habile opération de communication, Eric Piolle et sa majorité mêlant Ecologistes et Parti de Gauche viennent de se prendre les pieds dans le tapis en cherchant à régler son compte à l'orchestre de musique classique de la ville au nom des restrictions budgétaires.
Un véritable raz de marée : en quelques jours, plus de 6 500 personnes ont signé la pétition mise en ligne par l'orchestre des Musiciens du Louvre Grenoble, pour protester contre la dénonciation du contrat qui le lie à la mairie jusqu'en 2016, et la suppression pure et simple de la subvention dont il bénéficiait (438 000 euros en 2014), aux noms des contraintes budgétaires. Une décision d'autant plus mal perçue qu'elle a été annoncée quelques jours seulement avant les premières "Assises citoyennes de la culture", censé permettre aux Grenoblois d'exprimer leurs volontés sur de tels sujetsl. Pour le coup, ils se sont exprimés ! Le lâchage en règle de cet orchestre de musique classique d'envergure internationale, en résidence à Grenoble depuis près de 20 ans et très apprécié de la population locale, serait-il le premier faux pas dans la communication bien huilée du maire Eric Piolle, élu en mars dernier à la tête d'une coalition EELV-Front de Gauche ?
La belle histoire du maire normal
Inconnu des Grenoblois quelques mois avant les municipales, l'écologiste s'est façonné de toutes pièces une image d'homme simple, proche des « vrais gens » : toujours vêtu d'une veste noir, d'une chemise blanche et d'un jean (y compris aux manifestations officielles), il circule à bicyclette et ne manque jamais une occasion de dénoncer l'emprise des grandes entreprises et des banques. A l'en croire, il aurait d'ailleurs été licencié du groupe informatique HP fin 2010 pour avoir refusé de mettre en place un plan de licenciements en Roumanie. Une « belle histoire » finement brodée et habilement exploitée durant la campagne par son conseiller en communication qui n'a pas résisté au plaisir de s'en vanter ensuite au journal local. Le Postillon.
Suite de la légende : après ce départ en héros du groupe informatique, Eric Piolle aurait démarré une carrière politique fulgurante qui l'aurait porté en quatre ans à la tête de la capitale des Alpes, une municipalité de 160 000 habitants. Dans les semaines qui suivent son élection, on verra dans la presse ce maire "normal" danser sur le tube "Happy" avec des enfants dans un parc, jouer au football avec les jeunes des quartiers, ou s'adonner à sa passion pour le ski de randonnée dans les montagnes environnantes.
Un politique ambitieux
Sauf que cette image construite de toute pièce est le fruit d'une communication parfaitement orchestrée. Car l'homme qui s'est présenté en 2012 devant les Grenoblois est plutôt, si l'on s'en tient aux faits, un politique ambitieux qui rêve depuis longtemps à un destin national. Dès 1997, à l'âge de 24 ans, Eric Piolle était déjà candidat aux élections législatives dans la 8ème circonscription de l'Isère sous l'étiquette Divers Gauche (1.35%). En 2002, c'est son épouse, Véronique Piolle, qui se présente dans la 1er circonscription, tandis que lui est suppléant dans la 3ème (0,69%). En 2007, il fait l'impasse, trop occupé sans doute par son travail de cost killer chez HP… Ou par la société de gestion des risques financiers domiciliée à Singapour qu'a cofondée ce farouche pourfendeur du grand capitalisme. Eric Piolle est de retour aux législatives de 2012 dans la 1er circonscription, cette fois sous l'étiquette Europe Ecologie Les Verts, plus en forme que jamais (7.73%).
Entretemps, notre ingénieur a quitté HP. Licencié pour avoir refusé un plan de licenciement, nous dit sa biographie officielle. Il faut cependant noter que le groupe informatique avait mis en place à cette époque un plan de départ volontaire exceptionnellement généreux, qui fait aujourd'hui encore référence dans l'entreprise : un salarié de moins de 50 ans pouvait empocher jusqu'à 250 000 euros, les autres jusqu'à 400 000 euros... dont une bonne partie exonérée d'impôts. De quoi démarrer dans de bonne condition une carrière politique... Car le 26 mars 2010, quelques mois avant la fermeture du "guichet" chez HP, notre écologiste a enfin réussi à se faire élire, non pas au Parlement mais au conseil régional, sur la liste du socialiste Jean-Jacques Queyranne
Créer le buzz
Avant de se présenter aux élections municipales de Grenoble en 2014, celui qui est déjà un routier des campagnes électorales prendra soin d'effacer de son CV toutes traces d'activité politique avant 2010, pour apparaître comme un homme neuf. Une victime du capitalisme moderne. Un héros. Et ça marche : profitant de l'usure du pouvoir socialiste tant au niveau national que municipal, et du rejet dont souffre la droite locale depuis les années Carignon, le sympathique candidat à bicyclette, appuyée par une équipe de campagne bien organisée, crée la surprise en arrivant en tête au premier tour. Il se voyait en premier adjoint d'un maire socialiste ? Le voici maire à la tête d'une majorité EELV-Parti de Gauche.
Les premiers mois, Eric Piolle continue de jouer à fond la carte de la communication : il crée le buzz en proposant de revendre au maire de Nice les caméras de surveillance installée par la précédente municipalité (avant de faire machine arrière) ; il invite les sans papier et les intermittents du spectacle à venir s'exprimer devant le conseil municipal ; plus récemment, il s'offre une tribune national en en annonçant le démontage des panneaux publicitaires JC Decaux de la ville. Le premier écologiste à diriger une grande ville en France, est un bon client pour les journaux et les télés.
Co-construction
Pendant que le maire fait sa pub au niveau national (en prévision des législatives de 2017 ?), dans la capitale des Alpes, les grandes manœuvres ont commencé. Le programme de la nouvelle municipalité peut se résumer en un mot (d'ailleurs assez laid) : co-construction. Tout peut se co-construire : l'urbanisme, le budget, la culture… La nouvelle majorité lance en grandes pompes ses "Assises de la citoyenneté" pour impliquer les Grenoblois dans les décisions.
Joli coup de pub là aussi. Car avant même que ces conseils citoyens soient mis en place, des décisions autocratiques sont prises. Notamment, dans le domaine culturel, sous l'impulsion de quelques élus revanchards qui, après des années d'opposition ont enfin le moyen d'imposer leur conception d'une vraie culture citoyenne. La purge a commencé : en quelques mois, Grenoble a dit adieu au Tour de France, aux Trois Jours cycliste et au Festival du Cirque. Le théâtre privé parisien est lui aussi sur la sellette, et la musique classique donc avec les Musiciens du Louvre Grenoble.
Sauf que la décision de sacrifier l'orchestre de la ville sur l'autel des restrictions budgétaires passent mal auprès des Grenoblois. La pétition lancée par l'orchestre a recueilli 6 500 signatures en quelques jours. Le plus cruel, pour ce maire qui prétend renouer le dialogue entre les élus et les concitoyens, ce sont tous ces commentaires dont beaucoup semblent émaner de ses électeurs : "La musique, c'est comme les arbres, ça aide à respirer", dit l'un ; "Quand je pense que j'ai voté pour eux, pardonnez moi, j'ai plus que honte", dit l'autre.
Les défenseurs des Musiciens du Louvre Grenoble ne manquent pas non plus de souligner les contradictions d'un maire qui invoque « des restrictions budgétaires » après n'avoir cessé de critiquer la politique d'austérité de ses prédécesseurs. Qui prône la concertation, mais décide autocratiquement. Qui s'est présenté en défenseur des intermittents du spectacle mais lâche un orchestre qui en fait travailler plus de 200. "Les salariés de la culture ne sont pas des variables d'ajustement", assurait en juin dernier Corinne Bernard, l'adjointe "aux cultures" de Grenoble. "Et ceux des MDLG ?", interroge le compte Twitter des Musiciens du Louvre Grenoble.
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