Après plusieurs coups d’éclat, le Mouvement des Indigènes de la République a décidé de sauter le pas de la compétition au pouvoir en lançant un parti politique dédié à la défense des intérêts des anciens colonisés. Un nouvel instrument pour ébranler l’édifice conservateur.
Sur un plateau de télévision, une jeune femme tient vaillamment tête à un aréopage médiatique de premier plan. Elisabeth Badinter, François Baroin, Philippe De Villiers, Max Gallo et Roger Hanin malgré toute leur morgue faite de paternalisme ou d’indignation ne parviennent pas à la disqualifier. A chaque tentative, une réplique cinglante fuse bouleversant un confort que l’obséquiosité de l’animatrice a du mal à rétablir. C’était en janvier 2006 et Houria Bouteldja, porte parole du Mouvement des Indigènes de la République (MIR), réalisait une entrée fracassante sur le devant de la scène. Depuis, la jeune femme s’est fait une réputation et ses interventions médiatiques sont toujours des moments forts redoutés par ses contradicteurs et acclamés par des admirateurs au nombre grandissant. Né à la suite du célèbre
Manifeste des indigènes de la République, lancé en octobre 2005 par plusieurs associatifs et universitaires et rapidement signé par des milliers de personnes, le mouvement a pour vocation de défendre les intérêts des personnes issues des anciennes colonies françaises. La posture est radicale et vise à démythifier le discours dominant sur les Noirs et les Maghrébins victimes de discriminations en France.
Indigènes là-bas et ici, le continuum colonial
Au départ était la traite négrière qui du 15 au 19
e siècle a déporté une vingtaine de millions de Noirs vers les Amériques, modifiant la physionomie du peuplement de la planète. La moralité de cette extraordinaire aventure parle d’elle-même. A partir du 19
e siècle, la colonisation fera des populations autochtones des territoires occupés des citoyens de seconde zone soumis au
statut de l’indigénat. Leur lot quotidien sera constitué de dépossession foncière, de travail forcé, de coups de bâton, d’interdiction de circuler et de brimades de toute nature parmi lesquelles les punitions pour irrévérence. Outre leur différence de destination et d’intensité, l’un et l’autre de ces crimes, toujours non assumés en France, partagent la chosification de l’être humain. Pour justifier ces traitements inhumains, un discours spécifique va être développé sur ces populations. Les esclaves du commerce triangulaire seront présentés comme sans âme et exclus de l’humanité par l’église suivie par les pères des Lumières. Dans les colonies françaises, les autochtones seront désignés de manière essentialiste comme des humains à part, à la fois comiques et laids, imbéciles et paresseux ou fourbes et cruels, à civiliser par tous les moyens.
Peu avant les indépendances même des anciennes colonies,
l’immigration en France métropolitaine sera organisée le plus officiellement par les autorités françaises pour faire face à la forte activité des chaînes de production automobile et travaux publics ou de nettoyage. Des populations illettrées issues de zones rurales spécifiques seront sélectionnées et convoyées en métropole. Les habitants de la Kabylie en Algérie, du Rif au Maroc ou de la région de Kaye au Mali seront les principales cibles des passeurs officiels. L’installation de ces hommes commencera par des bidonvilles ou des campements désuets. Rejoints à partir des années soixante dix par leurs femmes et enfants à la faveur du regroupement familial, ils seront regroupés de façon homogène dans les nouvelles cités de banlieues. Condescendance des enseignants et orientation forcée vers les filières professionnelles marqueront le parcours scolaire des immigrés de seconde génération. L’absence de mixité des quartiers, l’éloignement des centres culturels des villes, l’entre-soi obligatoire de la cité seront les caractéristiques de l’exclusion des ces populations, nouveaux indigènes au cœur de la France métropolitaine. C’est le parallèle de cette situation structurelle avec le système colonial que dressent Les Indigènes de la République. Les discriminations de grande échelle à l’emploi, au logement ou aux loisirs viendront parachever le sombre tableau. Ce continuum colonial se retrouve de manière résolument transversale dans les politiques de droite et de gauche. La figure de l’immigré est l’obsession de l’extrême droite, tandis que l’extrême gauche la traite avec un humanisme différenciant et inopérant. Dans tous les cas ces minorités visibles n’ont pas droit à la parole pour exprimer leur vécu ou leurs choix.
La politique pour soi et par soi ou l’anti SOS Racisme
La marche des Beurs d’octobre à décembre 1983 marquera un tournant dans les revendications des immigrés des anciennes colonies. Démarrée par 32 personnes à Marseille, elle s’achèvera par un défilé réunissant près de 100.000 personnes à Paris. Ebranlé par cette démonstration de force, le pouvoir socialiste de François Mitterrand répondra par la création de SOS Racisme quelques mois plus tard en 1984. Cette association qui aura pris le soin d’écarter les leaders du mouvement de protestation, va rapidement essaimer dans toute la France et truster les télévisions. L’entreprise est en fait une gigantesque opération de récupération et d’étouffement dont les déboires judiciaires actuels de Julien Dray ne sont qu’une infime illustration de la roublardise. Ni Putes Ni Soumises de Fadela Amara s’inscrira à partir de 2003 dans la même perspective visant à masquer le fond du problème par une agitation médiatique frénétique. Ces deux officines se caractérisent d’ailleurs plus par leurs tentatives de censure que par la défense des droits de quelque groupe discriminé. La loi sur les aspects positifs de la colonisation de 2005 sera l’évènement de trop qui poussera Houria Bouteldja et ses soutiens à créer le Mouvement des Indigènes de la République. La révolte des banlieues survenue en novembre de la même année confortera ce choix.
Démarré par une argumentation énergique contestant le rôle positif supposé de la colonisation, le Mouvement des Indigènes de la République revisite les concepts d’intégration ou d’antiracisme. Cet exercice de conquête de l’idéologie et du vocabulaire, n’est toutefois pas sans risque face à des adversaires roublards et déterminés et un public mal informé ou désabusé. En juin 2008, dans une grossière tentative de dénigrement, le très médiatique Alain Finkielkraut accuse Houria Bouteldja d’injure raciste. La jeune pasionaria serait coupable d’avoir qualifié les français de souche de « sous-chiens ». Le journal Marianne, Brice Hortefeux et un buzz Internet structuré appuieront la charge. L’accusation est pourtant totalement fausse puisque que la porte parole s’était juste fendue du
néologisme « souchien » qui est d’une cohérence grammaticale naturelle.
Quand d’anciens trotskistes devenus socialistes se métamorphosent en conservateurs radicaux et que la presse majoritairement progressiste s’aligne sur une droite décomplexée qui éclipse le Front National, alors le constat d’un changement de positionnement de l’élite s’impose. Les seules qualités de Yazid Sabeg, tout nouveau commissaire à la diversité et à l’égalité des chances, suffiront-elles à convertir le système ? L’annonce par Obama d’un déplacement du centre de gravité de la politique américaine changera-t-il la donne en France comme l’administration Bush l’avait provoqué ? Seuls les faits et le temps le diront. Echaudés par l’hostilité ou la frilosité des partis politiques et des organes institutionnels face aux revendications légitimes des immigrés des ex colonies, le MIR vient de franchir le pas de la compétition politique avec la création du PIR, Parti des Indigènes de la République. A travers cette structure « les indigènes de la république » comptent faire entendre leur voix et ambitionnent sans ambages des conquêtes électorales. Quelle sera la fortune de cette stratégie particulariste hors des sentiers balisés ? Bien malin qui pourrait répondre à cette question par ces temps d’incertitude.