Le paradoxe de 1945
Beaucoup de politiciens français seront d'accord pour dire que les institutions internationales datant de 1945 sont obsolètes. Par contre, quand les garants de l'orthodoxie budgétaire viennent remettre en cause des bastions français de 1945, la hache de guerre est vite déterrée pour défendre le modèle social français, comme s'il était gravé dans du marbre de Carrare. Délicieux paradoxe ...

1945. Le nazisme est vaincu le 8 mai pour les Alliés, le 9 mai pour les Soviétiques. Exception faite des amateurs de théories du complot, chacun considère qu'Hitler s'est suicidé le 30 avril dans son bunker berlinois avec Eva Braun.
De nouvelles institutions voient le jour dans la foulée des conférences de Yalta (février 1945) et Potsdam (juillet 1945). En août 1945, reprenant l'esprit de la Société des Nations (1919) insufflée par les quatorze points du président Wilson (1918), l'Organisation des Nations Unies voit le jour à San Francisco.
L'organe politique le plus important de l'O.N.U. est son Conseil de Sécurité : quinze membres dont cinq permanents : Etats-Unis, Russie (Union Soviétique jusqu'en 1991), Chine, Grande-Bretagne et France, ce cadavre que le général de Gaulle a fait asseoir à la table des vainqueurs, aux côtés de Staline, Churchill et Truman, successeur du président Roosevelt.
L'Hexagone, piteusement vaincu en 1940, peut donc voyager en première classe avec un billet de seconde. Et disposer, comme Américains, Russes, Chinois et les voisins de la Perfide Albion, d'un droit de veto.
Le monde a changé énormément depuis 1945 avec des évènements colossaux en terme d'impact.
Beaucoup plaident pour un élargissement logique du Conseil de Sécurité à l'Allemagne, au Japon, à l'Inde et au Brésil, dans une instance qui ne reflète plus les rapports de force de 1945 ...
Si le président Trump se fourvoie sur un nombre incalculable de sujets (ambassade américaine déplacée de Tel Aviv à Jérusalem, retrait américain de l'accord sur le climat de Paris, sortie de l'accord sur le nucléaire iranien ...), son élection de 2016 aura eu un seul mérite : mettre les Européens face à leurs contradictions. Depuis 1945, l'Europe de l'Ouest est en paix soit 73 ans, soit une longévité unique dans l'Histoire du Vieux Continent. Mais la paix et la démocratie ne sont pas des acquis pour l'éternité, elles se doivent d'être défendues avec ardeur. En ouvrant la boîte de Pandore d'une baisse de financement américain de l'O.T.A.N.,
Donald Trump a remis sur la table le vieux serpent de mer d'une défense européenne ... Entre des Allemands habitués au confort de la protection de l'oncle Sam, des Britanniques qui sortent de l'Union du fait du Brexit et des Français qui rêvent de voir leurs dépenses militaires sorties du calcul des 3 % de déficit.
En contrepartie, quand certains osent vouloir réformer la France, syndicats et partis populistes opposent leur droit de veto face aux acquis sociaux hérités de la Résistance et du gouvernement gaullo-communiste de la Libération ...
C'est donc oublier là aussi que le monde a beaucoup changé depuis 1945, que cela plaise ou non à la France ...
- 1948 création de l'Etat d'Isaël
- 1956 crise de Suez
- 1957 traité de Rome instituant la Communauté Economique Européenne
- 1962 crise de Cuba entre Kennedy et Khrouchtchev
- 1971 fin du système de Bretton Woods datant de 1944
- 1973 premier choc pétrolier
- 1989 chute du Mur de Berlin
- 1990 réunification de l'Allemagne
- 1991 fin de l'Union Soviétique
- 1993 marché unique pour l'Europe des douze, début de l'Union Européenne
- 1995 création de l'Organisation Mondiale du Commerce (O.M.C.)
- 1999 arrivée de l'euro sur les marchés financiers
- 2001 attentats du 11 septembre à New York et au Pentagone
- 2008 faillite de Lehman Brothers, crise financière mondiale
- 2016 vote du Brexit actant la sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne
Mais la France irresponsable, celle qui cautionne la gabegie d'un Etat Pantagruel, celle qui prefère voir le Tonneau des Danaïdes actuellement en vigueur se pérenniser, reste sourde à toute logique cartésienne. Elle préfère, comme Néron, jouer de la lyre devant Rome en flammes, accusant Bercy, Matignon et l'Elysée, quelle que soit la couleur politique du pouvoir en place, d'être perché sur une tour d'ivoire.
Cette France là n'a pas honte de laisser nos enfants puis petits-enfants payer l'addition salée d'un repas un peu trop calorique, comme si nous disposions d'une caverne d'Ali Baba où nous pouvions puiser indéfiniment : il est dommage que les cas de nos voisins d'Europe du Sud, la Grèce, l'Espagne, le Portugal et l'Italie, n'aient pas servi d'exemples permettant d'éveiller les consciences quand l'iceberg approche. Mais, comme chez Kafka, inexplicablement, la logique part aux oubliettes ...
Il devrait y avoir consensus national sur le fait de réformer certains points datant de 1945 pour baisser les dépenses publiques et flexibiliser notre marché du travail. Nous en sommes encore bien loin, beaucoup préférant la politique de l'autruche et le zéro absolu : 0 degré Kelvin, -273.8 degrés Celsius ou -459.67 degrés Fahrenheit sur l'échelle de la responsabilité politique et de la crédibilité à un jour assurer des fonctions gouvernementales.
La France des démagogues et autres Pères Noëls, celle des Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan, Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Olivier Besancenot, Florian Philippot, Cécile Duflot, Fabien Roussel, Olivier Faure et autres François Asselineau, bref tous des Diafoirus de l'économie et autres adeptes des promesses intenables, oublie quelques vérités fondamentales et irréfutables :
- de 1945 à 1973, la fameuse période des Trente Glorieuses, cette madeleine de Proust où la France était portée par une croissance forte, le baby-boom et la reconstruction du pays marqué par le Concorde (1969) comme symbole du renouveau hexagonal
- de 1973 à 1983, juste après le premier choc pétrolier ayant suivi la guerre du Kippour mais de toute façon inévitable dans la foulée de la fin du système de Bretton Woods (1971), la France a vécu largement au-dessus de ses moyens mais disposait de l'arme de la dévaluation du franc.
- de 1983 à aujourd'hui, suite au "tournant de la rigueur" obtenu par Pierre Mauroy et Jacques Delors (ralliés in extremis par Laurent Fabius, girouette de la gauche caviar) auprès de François Mitterrand, et de la dépendance au système monétaire européen, la France a utilisé un autre antidote à la fameuse austérité qui n'est jamais venue : le déficit structurel (débuté en 1974) et l'augmentation vertigineuse de la dette publique, parvenue jusqu'à presque
100 % de P.I.B. : autrement dit, les Français devraient travailler bénévolement une année pleine pour que le pays rembourse ses créanciers ... Il semble que le communisme mou en vigueur ait encore de beaux jours devant lui dans notre chère France, où le débat constructif est trop souvent chloroformé par au mieux, de la langue de bois, au pire des inepties économiques que certains de nos compatriotes s'empressent malheureusement de tenir pour des vérités implacables ... Avec une classe politique aussi déconnectée des réalités macro-économiques, il n'est pas étonnant que toutes les réformes d'envergure, dites de structure, celles qui permettraient justement de tuer le chômage, finissent dans le formol. Mais non, préférons l'homéopathie et la méthode Coué, c'est plus efficace ...
La France est un ménage qui vit au-dessus de ses moyens et continuer d'augmenter ses dépenses malgré l'épée de Damoclès d'une commission de surendettement. Mais certains préfèrent voir le verre à moitié plein, et ne prennent chez John Maynard Keynes que ce qu'ils n'ont envie de voir, la fameuse relance de l'activité par des fonds publics. Mais l'héritage théorique de Keynes, c'est bien plus large et bien plus compliqué que cette seule recette miracle ... Certes, la France a des atouts formidables, ne le nions pas :
- sa force de dissuasion nucléaire
- son parc nucléaire assurant une part énorme de notre production d'électricité
- son armée, la meilleure d'Europe avec celle du Royaume-Uni
- un littoral exceptionnellement grand et une ouverture sur la mer, telles Espagne, Grande-Bretagne, Irlande, Italie et Norvège.
- une attractivité touristique incroyable avec la Tour Eiffel, le Louvre, le Mont Saint-Michel, le Château de Versailles, la Corse, la Côte d'Azur, le Périgord, les Gorges du Verdon, du Tarn, d'Ardèche, le Cirque de Gavarnie, la Route des Vins d'Alsace, la Bretagne et tant d'autres merveilles !
- sa filière viticole dans le Bordelais, en Bourgogne, en Provence, en Corse, en Touraine et en Alsace
- le T.G.V. (bien que détourné par des élus locaux pour des L.G.V. ubuesques ...)
- de grandes entreprises performantes à l'international comme L'Oréal, LVMH, Renault, Publicis, Total, Michelin ...
- une filière reconnue de formation d'ingénieurs
- des manifestations sportives et culturelles reconnues dans le monde entier : Festivals de Cannes et de Deauville, 24 Heures du Mans, tournoi de tennis de Roland-Garros, Tour de France cycliste, Salon Aéronautique du Bourget, Marché de Noël de Strasbourg, la Fête des Lumières de Lyon, la Grande Braderie de Lille ...
Mais comment ne pas voir, d'un autre côté, ses énormes lacunes qui l'handicapent face au reste du monde et en particulier les pays de l'O.C.D.E. ?
- un système fiscal à la fois complexe, illisible, injuste et instable, qui globalement décourage la réussite et le mérite, incitant à l'exil fiscal et fait reposer un énorme poids sur les classes moyennes
- des dépenses sociales pharaoniques et mal organisées, parfois inefficaces et redondantes
- un droit du travail rigide
- un droit du logement rigide
- un système de retraites injuste, complexe et en risque fort au vu de l'évolution de la démographie
- un Etat mammouth trop dépensier
- un commerce extérieur déficitaire
- un mille-feuilles administratif générateur d'énormes gaspillages d'argent public
- un chômage structurel, corollaire des points précédents.
- une qualité de l'enseignement qui ne cesse de tomber de Charybde en Scylla, en témoigne le toboggan du déclin pris dans les fameux classements PISA.
- un déchirement du territoire entre France des grandes villes, France des banlieues (au sens large du terme) et France rurale
- des zones de non-droit qui pullulent : 9-3, banlieues nord de Marseille, Corse, Notre-Dame-des-Landes
- des prisons surpeuplées et qui ont perdu leur sens, celui de la réinsertion dans la société avec le pied à l'étrier vers l'emploi, et non le retour au milieu criminel ou la radicalisation vers du grand branditisme voire le terrorisme
A l'heure où les gilets jaunes revendiquent légitimement une hausse du pouvoir d'achat, le pouvoir macronien doit prendre ses responsabilités : financer les "cadeaux" tardifs faits à la classe moyenne inférieure, les fameux cols bleus du monde ouvrier, par une véritable baisse des dépenses publiques.
Et non par du déficit qui creusera encore notre dette abyssale, ou par un transfert fiscal vers la classe moyenne supérieure, qui finira peut-être elle aussi par descendre dans la rue, pusisque la majorité silence n'a pas vocation à se taire indéfiniment : cols blancs des cadres, professions libérales, chefs d'entreprise de taille intermédiaire ...
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