Le Poulidor de la politique
La France aime bien les 2e. Michel Rocard appartient désormais à l’Histoire de notre pays, dans la lignée de ceux qui n’auront jamais été en première position pour être demeurés « trop » intègres.

Il n’a jamais gagné le Tour de France, mais à plus de 80 ans, il est toujours vivant, bon pied bon œil – cherchez pourquoi. Comme Raymond Poulidor, Michel Rocard, qui nous a quittés le 2 juillet 2016, n’a jamais accédé à la toute première place parce qu’il aura, jusqu’au bout, refusé de se compromettre ; il a gardé son intégrité avec ce qu’il en coûte de dire la vérité, ce « parler vrai » qu’il a sans doute hérité de Mendès-France et que d’autres ont caricaturé en parler brutal. Sa liberté de parole est restée intacte, et iconoclaste comme il se doit pour un protestant. Cet homme de valeur avait des valeurs. Il faisait partie de la race de ce qui est en passe de devenir un oxymore : un homme politique honnête. On en veut pour preuve que, jadis, François Mitterrand, pour le torpiller aux élections européennes de 1994, ne trouva rien de mieux que de lui opposer… Bernard Tapie. L’hommage du vice à la vertu. Rocard n’a jamais trempé dans aucun scandale. Cet ancien Premier Ministre est à l’origine de plusieurs réformes qui ont tenu le coup au travers de différents régimes. Ancien opposant à la guerre d’Algérie, il sut, en 1988, éviter le bain de sang en Nouvelle-Calédonie avec le concept d’indépendance-association si intelligemment mis au point avec Edgar Pisani, autre homme d’État électron libre disparu quelques jours avant lui. Comme le disait François Bayrou sur BFM-TV, Rocard, c’était « une part d’idéal aux prises avec le réel. »
Bon et fidèle serviteur…
On aimerait vieillir comme il a vieilli, toujours sur le pont, toujours prêt à mettre son grain de sel dans un marigot politique devenu saumâtre. Ce fut une vie bien remplie. Comme l’écrit Caroline Galactéros dans Le Point, « faire œuvre utile, c’est tout Rocard ». Respectable, il aura suscité le respect, peut-être même celui du Président qui l’avait gardé trois ans comme Premier Ministre, c’est-à-dire beaucoup plus longtemps que les six mois d’« inconsistance » qu’il avait prévus.
Homme coriace, rusé, toujours avec un brin de malice au coin de l’œil, Michel Rocard savait, comme en a témoigné Martine Aubry, être drôle et reconnaître ses erreurs. C’est pourquoi il était possible d’être son adversaire sur le plan des idées sans être pour autant son ennemi. Nous voilà privés d’un être rare dont les qualités humaines et politiques laisseront une trace durable dans l’Histoire de France.
Agnostique, il a laissé un testament où, en substance, est stipulé : un culte est possible. Au seuil de l’éternité, il s’est peut-être dit que le ciel n’est pas aussi vide que ça. Toujours est-il que, en dépit de son incroyance ouvertement reconnue, Michel Rocard aura fait honneur au protestantisme par son exigence éthique, ce qui, en ces temps de compromission, est un beau témoignage.
Les plus jeunes ne savent peut-être pas que François Mitterrand, agnostique et assez anticlérical, avait inséré dans son testament une phrase tout à fait exquise sous sa plume : « Une messe est possible. » Il en aura eu deux !
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