« L’égoïsme n’est pas vivre comme on le désire, mais demander aux autres de vivre comme on veut qu’ils vivent », Oscar Wilde
Il est fréquent de comparer Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi : même personnalité atypique et extravertie, même volonté d’établir un rapport direct avec le peuple en court-circuitant partis, institutions et corps intermédiaires, même positionnement politique qu’on qualifiera de « droite décomplexée ». On imagine d’ailleurs facilement nos deux dirigeants se racontant leurs bons coups en marge d’un G20 ou d’une réunion à Bruxelles…
Mais il est une similitude fondamentale entre les deux hommes qui est peu évoquée et qui a des conséquences capitales sur leur rapport au pouvoir et leur mode de gouvernement : Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi ne sont au pouvoir que pour servir leur intérêt propre. Chez eux nul souci du bien commun, de la bonne gouvernance ou du progrès de la société ou du pays, mais une volonté constante et sans faille d’utiliser le pouvoir pour eux, pour leur satisfaction et leur bien être.
Ainsi pour Silvio Berlusconi l’entrée en politique a été déterminée par le besoin de préserver ses intérêts économiques et financiers en s’assurant d’une part de la mise en place d’une réglementation favorable à l’activité de son empire économique et à la prospérité de celui-ci, et d’autre part, et dans un second temps, de contrôler l’appareil judiciaire directement ou indirectement afin d’éviter tout déboire dans ce domaine.
Pour Nicolas Sarkozy la politique est un moyen d’assouvir un ego démesuré et/ou blessé. Le pouvoir est alors une fin en soi, une illusion narcissique qui permet de combler un vide, une faille. Le pouvoir doit susciter peur et admiration, il doit être un moyen de contrôle et d’enrichissement - pour soi ou ses proches -, plaçant son détenteur au centre de tout et de tous. L’explication paraît presque trop simple et logiquement on répugne à penser que de tels ressorts puissent mener aux plus hautes fonctions mais c’est, hélas, accorder un crédit bien naïf à la nature humaine..
Bien sûr les raisons et motivations véritables du dirigeant égoïste - dont l’égoïsme dans ces circonstances confine presque à une pathologie - sont masquées par de beaux discours, un positionnement politique, des alliances électorales, un programme supposé…mais tout cela n’a de sens que dans la mesure où cela sert in fine le but réel de l’assouvissement des désirs et besoins personnels du dirigeant. Il faut bien avancer masqué…Les politiques menées ont d’ailleurs des conséquences bien réelles, et peuvent bénéficier à des clientèles précises, qui en retour essaieront de conforter les positions du dirigeant égoïste ; il peut y avoir de vrais convergences d’intérêts. La boucle est alors bouclée.
Dans les deux cas décrits ici cette approche purement intéressée et opportuniste de la politique est paradoxalement une force pour ses acteurs ; en effet nul corpus idéologique réel, nul système de valeurs intime et fort qui guiderait ou briderait l’action, mais uniquement la seule recherche de l’intérêt personnel. Dès lors Nicolas Sarkozy ou Silvio Berlusconi peuvent faire preuve d’une plasticité totale : ils peuvent dire blanc un jour et noir le lendemain, se contredire en permanence, renier promesses et serments, cela n’a aucune importance du moment que cela sert leur agenda et leur objectif. Dans ce contexte la société est alors envisagée comme la somme de clientèles électorales qu’il faut flatter en permanence et tour à tour pour garantir le maintien au sommet, contribuant à miner la cohésion sociale et tout projet collectif. Ici la cohérence ou l’efficacité ne sont pas des variables pertinentes pour analyser ce type « d’action politique ».
Pour leurs opposants cette attitude est un cauchemar car ils ne peuvent avoir de prise sur ce qui constitue d’ordinaire le nœud, au moins symbolique, des joutes politiques : le combat des idées. Or en continuant à jouer sur un terrain qui n’est pas le bon, et en refusant d’identifier la singularité de ces gouvernants, leurs opposants se condamnent à l’échec.
Mais au-delà de leur propre cynisme et de cette confiscation du « gouvernement » à des fins privées qu’on a vue à d’autres moments de l’histoire, ce qui est nouveau et très dérangeant avec Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi c’est que ce rapport instrumentalisé au pouvoir se produit dans des démocraties, par des moyens légaux, dans une société où l’information circule, au vu et au su de tous. L’irruption en 1993 de S Berlusconi en politique obéissait à des intérêts (économiques et financiers) évidents, et de même Nicolas Sarkozy n’a jamais caché qu’il pensait à la Présidence de la République tous les jours et sans doute à chaque instant et que son accession et son maintien au pouvoir passerait par une politique de caste. Ainsi nous savions que ces hommes voulaient le pouvoir pour de mauvaises raisons… et pourtant nous le leur avons donné.
Ici réside peut être une des explications des réactions épidermiques que ces hommes provoquent ; au-delà d’un désaccord ou d’un rejet des politiques qu’ils mènent, c’est bien, en effet, une animosité voire une détestation envers leur personne qui est à l’œuvre. Mais ces sentiments sont en réalité dirigés contre nous : nous nous sentons coupables et honteux, fautifs, collectivement, d’avoir mené au pouvoir ces hommes alors que nous savions qu’ils ne seraient pas là pour nous mais pour eux. Nous avons été de dociles moutons qui avons acquiescé à ce qui allait contre notre intérêt. Nous n’avons pas d’excuse et en les détestant nous canalisons le ressentiment qui devrait être dirigé contre nous pour les avoir élus ! Là réside le vrai mystère, celui de leur élection – que les historiens et les sociologues sauront peut être expliquer - et là se situe la raison de cette haine qui sourd parfois, mais qui est le prix de nos remords.
En attendant, face à ces hommes politiques d’un genre nouveau il faut imaginer la suite : pour Silvio Berlusconi, qui a près de 75 ans, on peut penser qu’il aspire désormais à un destin à la Jacques Chirac, celui d’un retraité paisible, reconnu responsable dans quelques procès mais qui ne sera jamais coupable ou condamné, figure paternelle et sympathique à la cote de popularité élevée.
Pour Nicolas Sarkozy l’illusion narcissique doit bien sûr se prolonger coûte que coûte : il sera donc candidat en 2012 et il fera tout pour remporter l’élection. Si cela passe par des reniements, en tout cas aux yeux des autres, il se reniera, si cela passe par un climat délétère, il le provoquera et l’entretiendra, si cela passe par un changement de politique ou de personnes, il en changera. Le plus grand danger ici n’est pas tant dans l’application d’une idéologie néfaste mais dans sa totale absence, sauf à considérer que le cynisme, « l‘après moi le déluge » en soit une. Il faudra garder cela en tête pour ceux qui souhaiteront s’opposer à lui.