Le PS : tu l’aimes ou tu le quittes
Le 9 juillet dernier, Manuel Valls livrait dans Libération son énième analyse de l’état actuel du PS. Celle-ci ne laissa apparemment pas de glace la Première secrétaire du Parti, Martine Aubry, qui lui a répondu vertement et sans nuances dans les colonnes du Parisien.
Notons tout d’abord que "l’interview" de Manuel Valls accordée à Libération, ainsi que le présentent les médias, n’en était pas une : il s’agissait en fait d’un débat avec Aquilino Morelle, autre ancien conseiller de Lionel Jospin, dont la prestation passa pour le moins inaperçue. En voilà un qui n’est pas près de se déclarer candidat à la candidature de la candidature des primaires de l’élection présidentielle.
Il est vrai que ce "cher Manuel", ainsi que l’apostrophe cette "chère Martine", n’y avait pas été avec le dos de la cuillère. Jugez plutôt :
"Aujourd’hui, le PS dévore ses enfants. Il y a une génération qui a failli. Il faut qu’elle passe la main. Le 21 avril 2002 agit comme une brûlure, qui continue de produire ses effets. Les années Jospin ont été des années de gouvernement de qualité, très professionnelles, sans scandale, avec une forme de morale dans l’action gouvernementale, mais qui ont manqué de théorisation, d’un accompagnement en termes de projet et d’idées. Nous avons bien géré, mais sans créer une perspective, sans redéfinir ce qu’était le socialisme ou la social-démocratie à la française."
Il semble donc que l’accusation de pédophagie politique n’ait pas résonné agréablement aux oreilles de l’ogresse en chef désignée comme telle. Sans compter qu’une fois de plus - il faut la comprendre - on lui renvoit en pleine figure l’argument de l’âge, de la lutte des générations (celle des classes ne suffisant plus), et de la faillite des années Jospin, dont le symbole reste... la réforme des 35 heures. C’est beaucoup pour une seule femme politique.
Heureusement, Martine Aubry ne s’en laisse pas conter. Pas plus tôt l’article de Libération parcouru, elle se décide pour une riposte immédiate - c’est-à-dire pour le 15, soit six jours plus tard. Car Martine est tortue à l’heure où d’impavides lièvres décident ça et là des enjeux de communication politique. Et Martine a lu La Fontaine. Donc Martine prend son temps. Surtout qu’on lui a glissé à l’oreille : "Ne réagis pas trop vite, tu donnerais l’impression d’être affectée par les propos du félon Manuel. Hâte-toi avec lenteur, cela donnera de la noblesse (démocratique, s’entend) à tes propos. Reste maître(sse) de ton emploi du temps, et ne laisse pas le défilé du 14 balayer l’impact de ton communiqué lapidaire."
Martine a jugé ces propos pleins de bon sens. Elle a donc choisi ses mots, et les a posés comme autant de bombes à retardement - pense-t-elle - sur l’écran luisant de son ordinateur portable. Et lorsqu’ils furent tous réunis, ce n’est pas sans une certaine jubilation qu’elle en relut la teneur :
"Il n’y a pas un jour, mon cher Manuel, où tu n’expliques aux médias que notre parti est en crise profonde, qu’il va disparaître et qu’il ne mérite pas de se redresser. [...] Tu donnes l’impression d’attendre, voire d’espérer la fin du Parti Socialiste.
Mon cher Manuel, s’il s’agit pour toi de tirer la sonnette d’alarme par rapport à un Parti auquel tu tiens, alors tu dois cesser ces propos publics et apporter en notre sein tes idées et ton engagement. Si les propos que tu exprimes, reflètent profondément ta pensée, alors tu dois en tirer pleinement les conséquences et quitter le Parti Socialiste.
[...] C’est un moment de vérité. Je te demande de me faire part de ton choix dans les jours qui viennent, et d’en assumer toutes les conséquences pour l’avenir."
De fait, il n’y a aucune ambiguité possible dans l’interprétation des propos de la Première secrétaire : ce que les différents journaux ont appelé "l’ultimatum" de Martine Aubry est bel et bien un sifflet de fin de récréation, voire l’entrebaillement d’une porte de sortie fort peu confortable pour Manuel Valls, symbole de l’aile droite du PS, pris au piège d’une formule de quitte ou double digne des slogans droitiers les plus explicites (voir titre).
Au-delà des conflits de personnalités, cet incident reste porteur d’un certain nombre d’enseignements, tout autant que de questionnements :
- La discipline de parti est en marche au PS. Martine Aubry, qui doit malgré ses dires garder un oeil rêveur sur l’échéance de 2012, sait qu’elle ne mènera pas son parti au second tour de l’élection suprême sans une machine de guerre opérationnelle et en rangs serrés derrière elle. Les prévisions pour les élections régionales de 2010 étant de toute manière catastrophiques, le PS paraissant voué à perdre des régions, autant larguer au plus tôt les poids morts et encombrants tels que ce "cher Manuel" qui, aveuglé par son ambition, en oublie les règles élémentaires de promotion au sein du PS. Pauvre petit.
- Le PS refuse l’éclectisme forcené. Après avoir laissé partir le tempêtueux sénateur de l’Essonne Jean-Luc Mélenchon, fondateur du Parti de Gauche, le PS est prêt à s’affranchir du représentant de son aile droitière. Il s’agirait donc pour la direction actuelle de resserrer la ligne du parti autour d’une colonne vertébrale idéologique forte - qui reste toujours à définir - synonyme à terme d’une nouvelle identité socialiste, idéalement repérable de loin dans le paysage politique français. Au diable donc la Maison Commune et ses dépendances : voici le retour (et le pari) d’un socialisme qui se veut reconnu par le noyau de ses idées, et non par leur déclinaison à l’infini.
- Le PS n’en finit donc pas de panser ses plaies : si dans un barrissement sonore Martine vient de signifier à la savane socialiste qu’elle seule mène le troupeau, sa stratégie, y compris lorsque l’on s’efforce d’en souligner la cohérence interne, reste trop souvent réversible au gré des incidents de parcours. S’il est nécessaire que la Première secrétaire soit garante de l’autorité de son parti, elle vient aussi par sa réaction de propulser Manuel Valls à un rang qu’il n’occupait pas jusqu’alors - celui d’opposant crédible au sein du PS. D’autres ont construit une candidature aux élections présidentielles sur moins que cela.
Notre "cher Manuel" a donc quelques jours pour faire connaître à Martine sa décision, qui dépassera de loin son humble personne : en cas (peu probable malgré tout) de départ, Manuel Valls répercuterait de manière brutale un message de désaveu vis-à-vis du PS, qui serait perçu comme définitivement incapable de canaliser ses énergies internes. La fondation par Manuel Valls d’un nouveau parti social-démocrate en phase avec le courant de Ségolène Royal, les Verts euphoriques et le MoDem moribond de François Bayrou porterait de plus un coup fatal à l’un des plus vieux partis de France, déjà pris en tenaille sur sa gauche par Mélenchon. Martine Aubry a barri, la savane s’est tue : est-ce par respect, ou parce qu’une tragédie politique est sur le point d’arriver à son terme ?
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