Le Quai d’Orsay sort l’artillerie pour étouffer un canular diplomatique

Mais qu’a donc à se reprocher la République française en Haïti ? Quelques trublions activistes ont touché une corde sensible. Ils ont simulé une repentance diplomatique de la France vis à vis de cette île déshéritée des Caraïbes, l’une de ses anciennes colonies, la première à quitter le giron français en 1804. Ce groupe s’est baptisé « CRIME » — « Comité pour le Remboursement Immédiat des Milliards Envolés » —, et se bat pour que Haïti, ravagé par un séisme en janvier 2010, récupère la « dette coloniale » qu’elle a du payer à la France comme gage d’indépendance.
Comme on peut le lire en détail sur HNS Infos, les activistes ont monté, façon Yes Men, un beau site internet pastiche de celui du ministère des Affaires étrangères (www.diplomatiegov.info). Et le 14 juillet, ils ont bidonné une déclaration officielle qui affirme que la France va rembourser 21 milliards de dollars US (17 Md€), soit « la somme, majorée d’intérêts de 5%, que le petit pays antillais a versée à l’ancien colonisateur de 1825 à 1952 en échange de son indépendance ». Depuis que la nouvelle s’est ébruitée, fini de rire. Menaces de procès, intimidations, harcèlement téléphonique… On ne joue pas ainsi avec l’image de la France !
Les responsables du canular ont organisé (la plupart sans s’identifier devant les caméras) une conférence de presse le 22 juillet à Montréal. Un témoin est venu affirmer (vidéo ci-dessous) que les jeunes d’Haiti, en 1945, devaient eu aussi régler leur dîme quotidienne pour remercier la France…
Le quotidien La Presse, de Montréal, qui a couvert la supercherie, avec une pointe de délectation, le 23 juillet, rapportait déjà que « des sources du ministère des Affaires étrangères … n’ont pas caché que des efforts étaient toujours déployés pour nettoyer l’internet de la supercherie. Une poursuite contre le groupe qui est à l’origine de la farce n’est pas exclue. »
Une poursuite en justice ? Cela achèverait sans doute de ridiculiser les diplomates français. Mais en attendant, autant jauger l’adversaire en tentant de l’intimider. Manque de bol, l’intervention d’un agent du Quai a tourné court. N’est pas espion qui veut : il voulait rester anonyme mais s’est fait repérer bêtement grâce à sa ligne téléphonique. Les militants de CRIME s’en délectent et racontent tout sur leur site pirate :
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Montréal, 22 juillet (source la presse)
Quelques jours après sa première conférence de presse du 22 juillet dernier, le [CRIME] a été la cible d’une série d’appels téléphoniques et de textos d’un homme affirmant travailler pour le Ministère français des Affaires étrangères et s’identifiant par le simple prénom de « Olivier ». Celui-ci a appelé plusieurs fois, durant la nuit, la porte-parole du CRIME, Laurence Fabre, à son numéro personnel, et confidentiel, de téléphone portable.
Samedi dernier, « Olivier » a affirmé que le gouvernement français avait déjà entamé des poursuites judiciaires contre ceux qui étaient derrière la fausse annonce du 14 juillet dernier. « Vous n’avez pas idée de ce qui va vous arriver », a-t-il dit à Fabre. Affirmant être « en relation avec ceux qui vont vous arrêter », il a averti Fabre « qu’ils » allaient lui « faire payer ».
Le répertoire téléphonique révèle que le numéro à partir duquel les appels téléphoniques ont été faits à Fabre est nul autre que celui de l’attaché des systèmes d’information et de communication du Ministère français des Affaires étrangères, Olivier Poudade.
Se faire « loger » comme un bleu par ceux qu’il devait maintenir en joue, jolie gamelle ! On souhaite aussi bon courage aux juristes du Quai pour trouver un chef d’accusation qui tienne la route. Car l’usurpation d’identité numérique de personnes physiques ou morales, publiques ou privées, n’est pas encore inscrit dans le code pénal, nous apprend cet intéressant billet. C’est un délit civil, tout au plus. Cela deviendrait pénal si « le fait de prendre le nom d’un tiers [a été réalisé] dans des circonstances qui ont déterminé ou auraient pu déterminer contre celui-ci des poursuites pénales ». Dire que la France va se montrer faussement généreuse n’est pas encore un crime, donc prétendre à cela n’en est pas un non plus. Il y a bien le délit pénal de « diffamation publique » (article 29 de la loi sur la presse de 1881). Mais là aussi, attaquer ce canular sous l’angle de la diffamation serait rapidement invalidé par tout juge un tant soit peu respectable.
Le gouvernement français peut toujours attaquer sur l’atteinte à son « image de marque », par logos et noms de domaines interposés, puisque le site internet pastiche du 14 juillet a copié l’identité officielle de la France, Marianne comprise. Mais cette stratégie répond surtout à des considérations commerciales.
Il y a dix ans, la société Danone avait tenté d’étouffer une campagne de boycott de ses biscuits destinée à condamner sa politique de délocalisations (le site www.jeboycottedanone.com est encore en ligne pour la gloire). Bilan : en avril 2003 la société a été totalement déboutée. Areva avait tenté la même manoeuvre : « détournement de logos » — pour tenter de museler Greenpeace, qui a gagné aussi son procès en appel.
En matière de diffamation numérique d’une autorité publique, même l’Elysée de Chirac n’avait pas osé attaquer un site pastiche. C’était en 1996, au moment même où la Présidence lançait son premier site web, toujours actif en 2010 (www.elysee.fr). Désactivé depuis 2004, www.elysee.org a sévi pendant 8 ans sans menacer la crédibilité de la France sur la toile.

La home du faux site de Chirac (jusqu’en 2004)
Bref, il ne reste plus au gouvernement qu’à inclure de force ce délit mineur dans le cadre d’une « atteinte au drapeau français », comme il s’en prépare un tout neuf pour ne plus permettre de se torcher le cul avec un bout de tissu bleu-blanc-rouge. Ou alors reprendre une proposition de loi du sénateur PS Michel Dreyfus-Schmidt « tendant à la pénalisation de l’usurpation d’identité numérique sur les réseaux informatiques ». Un nouvel article (323-8) du Code pénal serait rédigé ainsi :
« Est puni d’une année d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, le fait d’usurper sur tout réseau informatique de communication l’identité d’un particulier, d’une entreprise ou d’une autorité publique ».
Vite ! Déclaration d’urgence pour ce texte de loi qui manque tant à notre arsenal juridique !
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