Le service civil volontaire
Voilà comment avec un contrat ayant pour toile de fond la solidarité et la citoyenneté, on règle un problème juridique et économique...
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De
nombreux jeunes de notre pays souhaitent s’engager au service d’une
cause d’intérêt général. Ils se portent
ainsi volontaires pour consacrer quelques mois de leur vie à
la collectivité.
Il existe depuis le mois de septembre un dispositif adapté pour accueillir cette générosité et reconnaître cet engagement citoyen des jeunes : c’est le service civil volontaire, créé à la demande du président de la République. En effectuant un service civil, vous vivrez comme beaucoup de volontaires une belle aventure humaine, qui vous ouvrira à de nombreux secteurs (humanitaire, environnement, sécurité civile, animation, accompagnement de personnes âgées ou handicapées, soutien scolaire...). Comme beaucoup de volontaires, vous enrichirez votre expérience dans des domaines que vous ne connaissez pas ou que peu, et vous rencontrerez des personnes venant de milieux très différents. Vous pourrez ainsi mieux comprendre les enjeux de notre société. Mais avant tout, je crois que le service civil est l’occasion de mieux vous connaître, de mieux prendre conscience de votre potentiel. Le service civil est une expérience qui, j’en suis sûre, vous marquera à titre personnel et sera utile à notre société. Je crois profondément à ce service civil, d’abord parce que je sais pouvoir compter sur notre jeunesse. Je sais aussi que ce service civil peut vous ouvrir de nouvelles perspectives, être l’opportunité de recevoir et de transmettre le sens des valeurs républicaines et de préparer votre avenir et votre place dans la
Catherine Vautrin |
Voilà en quels termes le tout nouveau service volontaire civil est présenté sur le site officiel de l’ACSE. C’est beau, on fait appel à la fibre patriotique, à l’engagement, à la solidarité, aux valeurs... Le tout vendu entre autres par Jeunesse & Sports, ministère né de l’éducation populaire. Education populaire née elle-même dans la nécessaire lutte contre l’institution pour transformer la société et permettre aux plus démunis, aux plus pauvres ou aux plus « différents », de s’y trouver une place digne. Mais sans doute que les conseillers d’éducation populaire de Jeunesse & Sports ont oublié cela, leur propre histoire...
Qu’est-ce donc que ce nouveau contrat ? Car que l’on ne s’y trompe, il s’agit bel et bien d’un contrat. Et qui attaque sévèrement les contrats classiques. Le CNE est mort, vive le SCV ! La petite brochure qui m’a été distribuée par Jeunesse & Sports est très floue, aussi floue que le texte de Mme Vautrin : la structure accueillante (associations, fondations, fédérations d’associations justifiant au moins d’une année d’existence et... les collectivités territoriales ! Le statut de contractuel n’étant déjà pas assez précaire) doit être reconnue pour son expérience (quels sont les critères ?) ; proposer des missions d’intérêt général ; présenter les garanties nécessaires à un accompagnement individualisé (désigner un tuteur) ; avoir au moins un salarié chargé de l’encadrement de la structure et être à jour de ses cotisations sociales (seule garantie sérieuse de ce panel fantaisiste).
La fameuse mission d’intérêt général, dont on trouve des exemples dans les propos de Catherine Vautrin, n’est pas plus explicitée que cela. Je remarque simplement que ce sont des champs d’intervention dans lesquels évoluent déjà des professionnels : animateurs, éducateurs, assistantes sociales, médiateurs... Toutes les branches du travail social. Des métiers reconnus, nécessitant de l’expérience et un diplôme d’Etat (dont certains dispensés par Jeunesse & Sports !). Cette explication de texte trouvée sur le site du SCV est claire : « Le service civil volontaire permettra également aux associations de bénéficier d’un renfort humain important. » Ou comment pourvoir des postes que devraient occuper des travailleurs sociaux (ou d’autres gens qualifiés en fonction du poste) avec de la main-d’oeuvre bon marché, malléable et parfaitement jetable. Ils ont bon dos, les grands principes moraux ! Les premières offres viennent attester de ce que j’écris ici : le Genepi propose des SVC ayant pour mission : l’animation et l’encadrement de bénévoles intervenant en prison. J’espère qu’ils font cela en sachant déjà quels jeunes ils vont recruter, parce que je n’aimerais pas, à leur place, essuyer les plâtres de conseils déplacés, erronés, mal préparés...
Que trouve le jeune qui signe un SVC ? Un contrat (contrat d’accompagnement vers l’emploi ; contrat de volontariat associatif ou contrat de volontariat civil) qui l’oblige à effectuer au minimum 26 heures par semaine pour une période de six, neuf ou douze mois. Il devra recevoir une formation aux valeurs civiques d’un jour par mois et pourra recevoir également un accompagnement pour accéder à un emploi ou à une formation qualifiante (qui va la financer ?)... Un arrière-goût d’emploi-jeune, avec des formations qui ont rarement été proposées... Il existe pourtant des dispositifs spécifiques à l’emploi des jeunes. Que deviennent-ils dans ce méli-mélo entre civisme et main-d’oeuvre bon marché ?
Petite phrase qui a particulièrement retenu mon attention sur le dépliant : accorder au « volontaire » un congé de deux jours par mois si la mission dure plus de six mois. Et si elle ne dure que six mois ? Il ne se repose jamais, le « volontaire » ? J’en étais là de mes réflexions quand la question m’est venue... « Les jeunes qui signent les contrats, ils sont effacés des tablettes de l’ANPE ? ». Sourire gêné en face... « Heu, oui ».
C’est l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (avec l’inénarrable Azouz Begag ) qui gérera le dispositif. L’Agence peut, je dis bien peut, accorder des aides aux structures signataires de la charte (à hauteur de 900 euros par mois et par jeune). Cela dit, je n’ai trouvé nulle part le moindre texte précisant les modalités de versement d’une indemnité versée au jeune volontaire , alors que, n’oublions pas, lui s’engage à donner au moins 26 heures à l’employeur. D’ailleurs, quand on parle de jeune, rien n’est spécifié non plus sur la tranche d’âge concernée.
Mais là où l’on se moque vraiment du monde, c’est dans la genèse du projet de loi. Sous prétexte d’aider le milieu associatif à trouver des vocations (on pourrait de notre côté gloser pendant des heures sur les subventions qui ont fondu comme neige au soleil, ou bien encore sur la contractualisation des associations par les collectivités territoriales, forme de délégation de service public déguisée, obligeant l’association à ne plus faire que ce pour quoi elle perçoit une subvention, alors qu’avant elle était financée pour son fonctionnement général, et donc plus libre de ses mouvements). Je disais donc que sous un prétexte fallacieux, il s’agit en fait de venir pallier une situation propre à l’animation socioculturelle ; plus exactement celle provoquée par l’annexe II de la Convention collective de l’animation socioculturelle. Les personnels occasionnels des centres de vacances et loisirs (agréés par Jeunesse & Sports) sont régis, en termes de salaire, par ce petit texte : « le temps présumé être temps de travail effectif pour le calcul de la rémunération d’une journée d’activité correspond à un forfait fixé lors de la conclusion du contrat de travail. » La réalité veut qu’en règle générale ce forfait soit de deux heures, soit de quatre heures ; alors qu’en fait, les animateurs travaillent entre huit et douze heures, cela au grand mépris de la réglementation du travail et de la déontologie de ce métier ! J’ajoute qu’il y a toujours un temps de préparation du CVL qui échappe généralement au calcul des heures dues. La Cour de cassation a eu beau reconnaître que rien n’autorisait l’employeur à limiter la rémunération du salarié, rien n’y fit (lire à ce propos Le livre noir de l’animation socioculturelle... Bien sûr, c’est sur les bases de ce forfait que sont calculées les charges sociales et les droits qui vont avec pour le salarié. Une belle retraite en perspective.
Devant le tollé général que cette arnaque provoquait, et à la suite des nombreux procès engagés auprès du Tribunal des prud’hommes, une réforme s’imposait, sans pour autant déposséder les grandes fédérations d’animation (je n’ose dire d’éducation populaire) de cette main-d’oeuvre bon marché... Il faut dire que cette masse salariale est conséquente, et que sans subvention supplémentaire, avec des salaires revus à la hausse, certaines ne pourront tenir longtemps. Donc, devant ce double problème économique d’abord et citoyen ensuite (les émeutes d’octobre 2005), le service civil volontaire venait de naître. Vous ne me croyez pas ? Alors voici un extrait du CR du Conseil des ministres du 2 mars 2005 :
"Par
ailleurs, le texte proposé s’attache également à
clarifier la situation au regard du droit du travail des personnels
pédagogiques occasionnels des centres de vacances (CV) et des
centres de loisirs sans hébergement (CLSH). Ces accueils,
régis par les articles L.227-4 à L.227-12 du Code de
l’action sociale et des familles, ainsi que par le décret
n°2002-883 du 3 mai 2002, sont des espaces d’éducation
irremplaçables pour les enfants et les adolescents qui y
participent. Ils permettent à 4,5 millions de mineurs de
bénéficier de loisirs éducatifs de qualité
durant les congés scolaires et en dehors des heures de
classes.
Parmi les adultes et les jeunes qui encadrent ces
activités, nombreux sont les intervenants non professionnels
qui mettent à profit leur temps libre pour s’engager en
faveur de la jeunesse. Ces personnes, dont la capacité est
reconnue par le Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur
(BAFA) et le Brevet d’aptitude aux fonctions de directeur (BAFD),
remplissent les fonctions d’animateur ou de directeur occasionnel
dans les centres de vacances et de loisirs. On dénombre
aujourd’hui 36 000 directeurs occasionnels et plus de 200 000
animateurs occasionnels. La collaboration de ces personnels
pédagogiques occasionnels avec les organisateurs d’accueils
collectifs de mineurs est actuellement régie par l’annexe II
à la convention collective de l’animation. Les dispositions
introduites en 2000 dans le Code du travail créent une
insécurité juridique de nature à compromettre
l’équilibre économique du secteur de l’animation à
but non lucratif. Dans ces conditions, il est proposé au
législateur de créer un régime dérogatoire
pour ces salariés, en leur permettant d’être rémunérés
sur la base d’un forfait journalier et de bénéficier
d’un régime de durée du travail qui leur soit adapté.
Cet aménagement de la législation du travail est
justifié par l’intérêt social qui s’attache à
la préservation de ce secteur d’activité ainsi que
par la situation des animateurs et directeurs occasionnels, qui
s’inscrivent dans une logique d’engagement éducatif pour
un temps limité (inférieur à 80 jours par an) et
non de collaboration permanente avec les organisateurs de
centres.
Les formateurs non professionnels, au nombre de 7 500,
qui interviennent de façon occasionnelle lors des sessions
destinées aux stagiaires voulant obtenir le BAFA ou le BAFD
relèvent de la même logique d’engagement éducatif
et ont donc vocation à bénéficier des mêmes
dispositions."
Et c’est donc Jeunesse & Sports qui fait le commercial pour le gouvernement de monsieur de Villepin, faisant la tournée des mairies et des associations... Il faut dire que le cahier des charges doit prévoir une baisse du nombre de jeunes chômeurs dans les plus brefs délais, élections obligent...
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