Le service accompli par le citoyen, sous une forme exclusivement militaire, a profondément marqué la société française. Si les modes d’appartenance à la citoyenneté ont évolué, demeure l'exigence de développer la cohésion sociale, l'intégration et l'apprentissage du civisme. La création en mars 2010 d'un service civique fondé sur le volontariat à permis de créer un cadre unique unifiant et harmonisant les différentes formes de volontariats. Terra Nova ouvre le débat sur l'extension du service civique : dans cette note, Annie Crépin et le Club Raspail se prononcent en faveur de l'établissement à terme d'un service obligatoire, véritable outil d'intégration sociale, et proposent quelques pistes applicables au service civique volontaire, permettant un passage progressif à l'obligation.
Au cours d’une histoire biséculaire, le service militaire obligatoire est devenu l’expression par excellence du service civique, à l’exclusion de toute autre forme. Certes, le service militaire obligatoire n’a pas continuellement fait montre des vertus qu’on lui prête dans une vision rétrospective. Mais il représente un élément tellement fondateur que, dans la loi de 1997, il n’est en principe que suspendu, même si de fait il est supprimé. Et très vite, cette suppression conduit les responsables de toute obédience à débattre à propos du vide institutionnel et symbolique que l’abrogation du service aurait induit et à chercher des substituts. Personne ne souhaite le rétablissement du service militaire mais tous veulent retrouver son équivalent en matière de cohésion sociale et d’apprentissage du civisme.
Plusieurs formes de volontariat civil continuent d’exister après la loi de 1997 ou sont alors élaborées. De même perdurent ou sont expérimentés des dispositifs tels que le SMA (Service militaire adapté) en vigueur dans les DOM TOM qui, bien qu’accompli sous l’égide de l’armée, a pour priorité, avant même leur instruction militaire, l’intégration des jeunes dans la société, ou le dispositif Défense deuxième chance, inspiré du SMA, destiné à 20 000 jeunes sans diplôme ni emploi, âgés de 18 à 21 ans. À la suite de la crise des banlieues, est créé le SCV (service civil volontaire), dont l’objectif est la mixité sociale et qui est destiné à des jeunes filles et jeunes gens âgés de 16 à 25 ans devant accomplir une mission d’intérêt général pendant six, neuf ou douze mois dans une collectivité locale ou une association.
Mais ces dispositifs ne touchent que peu de jeunes et ne parviennent donc pas à remplir les attentes sociales et civiques qui sont désormais assignées pour buts au service citoyen.
En mars 2010, une loi crée un service civique fondé sur le volontariat. La loi établit un double dispositif : le service civique, de 6 à 12 mois, s’adresse aux jeunes de 16 à 25 ans et, pour les plus de 25 ans, est créé un volontariat de service civique, de 6 à 24 mois. Il prend le relais du service civil et se superpose aux formes de volontariat civil. Il est effectué moyennant indemnité dans des associations agréées par l’Agence du service civique et de l’Éducation populaire, au sein des collectivités locales ou pour l’État, dans les domaines philanthropique, éducatif, environnemental, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial ou culturel. L’objectif est de toucher en 2010 10 000 volontaires puis 25 000 en 2011, 40 000 en 2012, 75 000 en 2015, ce qui représenterait 10 % d’une classe d’âge.
C’est un pas dans la bonne direction.
Mais une confusion est en germe entre service et engagement associatif, au risque de distendre le lien avec la citoyenneté. Il faudrait retrouver le sens premier du mot service qui n’est pas la même chose qu’un volontariat. Par ailleurs, s’il ne touche qu’une minorité, le service civique risque de se heurter aux mêmes limites que les autres dispositifs auxquels il se substitue ou s’ajoute. On ne peut vouloir créer un véritable outil d’intégration sociale si cet instrument n’est pas étendu à l’essentiel d’une classe d’âge.
C’est pourquoi nous jugeons indispensable d’établir à terme l’obligation. Pour la gauche ce sont la mixité et la solidarité qui doivent fonder la cohésion d’une société d’égaux.
Le caractère obligatoire du service est la condition nécessaire pour recréer cette mixité et cette solidarité qui devraient être une priorité absolue pour les progressistes et être le socle du programme de 2012.
Des pistes sont proposées pour ce passage progressif à l’obligation :
- diversification des formes du service civique et élargissement du périmètre d’intervention des volontaires, le service devenant un temps d’éducation à la protection civile, de formation et de mise en œuvre de la prévention sous toutes ses formes ;
- refondation de la JDC (Journée de la Défense et de la citoyenneté) en la liant plus étroitement au service civique et en en y introduisant un temps d’éducation à la défense nationale ;
- extension du service au plus grand nombre en le rendant plus attractif et en valorisant son accomplissement dans le cursus d’études et le parcours professionnel des volontaires ;
- développement de la dimension européenne du service ;
- proposition de projets collectifs par les associations, collectivités, etc.
Ces pistes prennent en compte les objections que soulève l’obligation au regard du droit du travail, ou qu’elles soient d’ordre philosophique et/ou financier. Sur ce dernier point, particulièrement sensible, il faut faire remarquer que le coût a été évalué uniquement dans le cas où un service serait de six mois continus. Or une telle durée n’est pas préconisée en général par les tenants du service obligatoire qui prévoient deux mois, pouvant être fractionnés. Le service obligatoire ne serait pas gratuit mais l’effort budgétaire ne serait pas non plus incommensurable par rapport à d’autres budgets. Il faut ainsi mettre en regard de son coût les économies réalisées grâce à un meilleur encadrement des jeunes. Ainsi, les actions de prévention déjà préconisées pour les volontaires et qui seraient encore plus nombreuses du fait de l’obligation permettraient d’éviter certaines dépenses, et le bénéfice social de l’obligation – une plus grande cohésion – aurait aussi des retombées économiques positives.