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Le trompe-l’œil du 10 août

Loin des projecteurs, la loi LRU trace son sillon. Pourtant le texte pose plus de questions qu’il n’en résout... et sa mise en pratique semble retomber dans nos travers traditionnels... On peut ainsi s’étonner de l’absence de professionnels de la finance et de l’immobilier dans le comité de suivi nommé fin janvier, et alors même qu’un des sujets majeurs de la loi est l’indépendance financière des universités notamment au travers de l’exploitation libre de leur patrimoine immobilier.

La loi du 10 août 2007 portant sur la réforme des universités est censée consacrer l’indépendance des universités par rapport à la tutelle de l’Etat en leur donnant plus de liberté tant dans leur gestion patrimoniale, financière que sociale.

Mais au-delà du catalogue de bonnes intentions, ce texte est loin d’offrir à l’enseignement supérieur la latitude et les outils dont il aura besoin pour répondre aux objectifs européens de Lisbonne et de Barcelone [1].

Aussi, ce texte apparaît comme un texte en trompe-l’oeil car il ne consacre pas de réelle indépendance. En effet, l’indépendance est la capacité à agir sans en référer à une autorité de tutelle. Or, la loi, loin de permettre une mise à distance de l’Etat dans l’enseignement supérieur, consacre son omniprésence.

L’Etat est ainsi toujours bien présent tant dans l’organisation des prises de garanties que dans les orientations de recherche.

C’est ainsi une décision du ministère de la Recherche qui autorise ou non la mutation de biens à titre gratuit à fin de financement... Mais au nom de quoi le ministère est-il compétent pour décider de l’intérêt ou non d’une recherche, selon quels critères... le texte demeure silencieux ? [2]

De même, le transfert de la pleine propriété des biens immobiliers [3] est-il subordonné à :

- une mise en sécurité ;

- l’accord d’autorités administratives compétentes ;

- des conventions tendant à assurer la pérennité du service public.

Le tout étant sujet à décret en Conseil d’Etat, interprétation administrative, etc., alors même que le texte demeure étrangement silencieux sur la situation actuelle de ce même patrimoine. Le transfert est certes gratuit, mais qu’en est-il des dettes et gages - s’il y en a - attachés aux biens : sont-ils aussi transférés ? Seront-ils désormais à la charge des universités ? Qu’en sera-t-il de remboursements d’emprunts qui n’auront pas été négociés par les universités pour la réfection de tel ou tel bâtiment. Tant les modalités comptables et financières que la méthodologie de transfert apparaissent aujourd’hui comme terriblement opaques. Est-ce pour se donner le temps d’y voir clair que l’Etat s’est laissé un délai de cinq ans ? L’utilité du texte voté apparaît alors comme pour le moins douteuse.

A ce sujet, il apparaît en fin de compte que la loi prévoit un type de transfert qui s’apparente plus à transfert d’usufruit qu’à un transfert d’actifs. En effet, l’usage est bien transféré, mais pas intégralement la jouissance puisqu’il existe une réserve de service public, une servitude en quelque sorte. De même, les changements de destination (par exemple la possibilité de faire des bureaux, des logements, etc. sur un terrain universitaire avec le modèle économique idoine...) semblent pour le moins encadrés.

En outre, le texte instaure une inégalité structurelle sur les méthodologies de financement des recherches [4]. Ainsi, les fondations partenariales avec les entreprises ont la personnalité morale, alors que tel n’est pas le cas des fondations universitaires. Pourquoi cette dichotomie qui - tout en rendant le sujet complexe - ne donne accès aux outils de « fund raising » qui ont fait le succès des universités anglo-saxonnes qu’aux recherches effectuées dans le cadre d’un accord avec des entreprises ?

C’est donner aux entreprises de meilleures possibilités de décider seules de pans de recherches dont elles n’ont que très rarement la vision [5].

Pourquoi, à l’image de la section 501 aux Etats-Unis ne pas avoir créé un seul système, un outil unique consacrant une déductibilité totale des montants investis tant par les particuliers que par les entreprises dans des programmes de recherche, du moment que ceux-ci passent par un partenariat public-privé, valorisant ainsi les moyens et compétences des laboratoires publics ? [6]

Pourquoi avoir comme toujours rendu la norme plus complexe plutôt que de la simplifier ?

Last but not least, le texte instaure une inégalité de fait entre les universités en fonction de leur localisation. On peut ainsi se demander si une étude d’impact a été réalisée en matière d’aménagement du territoire, préalablement à la rédaction du texte.

En effet, une des pistes proposée pour permettre un meilleur financement des universités est la possibilité - peut-être dans le cadre de partenariats public privé - de louer les locaux propriété des universités à des tiers.

Or, pour ce qui est de l’immobilier professionnel, et à de très rares exceptions près, l’ensemble des villes de province est à l’équilibre en termes d’offre et de demande pour ce qui est de l’immobilier de bureau [7].

Les questions sont nombreuses : où sera le levier ? Quels packages les universités pourront-elles offrir aux investisseurs ? Quel sera l’avantage compétitif de ces nouvelles offres que pourront proposer les gestionnaires du parc universitaire ? Les universités disposent-elles de financiers et de professionnels de l’immobilier susceptibles de les accompagner dans la réalisation de ces partenariats en étant protecteur de leur intérêt et de l’intérêt collectif ?

De plus, en imaginant que des solutions innovantes - à l’image de ce qui a été fait dans le cadre de la « stanford management company » [8]- puissent être mises en place en France [9], le résultat en termes d’aménagement du territoire pourrait, s’il n’existe pas de mécanismes de rééquilibrage, être catastrophique. En effet, les capacités d’emprunt et de développement ne sont pas les mêmes lorsque l’on dispose d’un parc immobilier que l’on peut louer en moyenne entre 234 et 324 euros le m2 par an/HT/HC [10] comme c’est le cas en Île-de-France, alors que l’ensemble des villes de province (en dehors de Lyon qui se situe autour de 210 euros le m2 an/HT/HC) varie entre 130 et 180 euros le m2 par an/HT/HC [11].

Il est ainsi patent que la loi « Pécresse » pose plus de questions et ouvre plus de matière à interprétation et contentieux qu’elle ne résout de problèmes, ce qui n’est pas sans ironie pour un texte censé être la pierre angulaire de la future attractivité de notre recherche.

En 2004, l’OCDE [12] indiquait que la qualité et la pérennité d’une norme constituait le fondement de l’attractivité d’un territoire : à faire comme ses prédécesseurs et à changer les règles du jeux en fonction du vent et de ses intérêts imminents, le gouvernement actuel est certes fidèle à la tradition française, mais à agir ainsi on peut douter qu’il donne vraiment envie aux chercheurs de demeurer en France, et aux investisseurs ou entreprises l’envie d’accompagner une recherche dans un pays incapable de freiner ne serait-ce qu’un peu sa « logorrhée réglementaire [13] ».



[2] Article 31 venant modifier le CGI : la mutation à titre gratuit n’est accordée qu’aux recherches ayant reçu l’agrément du ministère !

[3] Article 32

[4] Article 28 - section 5

[5] Selon les mots de Betsy Morris : “captifs d’analystes myopes concentrés sur le court terme, les dirigeants des grandes entreprises sont devenus dans le domaine de l’innovation plus des perroquets que des visionnaires ».http://money.cnn.com/2006/07/10/magazines/fortune/rules.fortune/index.htm?cnn=yes

[9] Il faudrait aussi ouvrir aux universités l’accès à l’innovation financière, c’est-à-dire la capacité d’émettre par exemple des titres dans un environnement fiscal adéquate dont nous ne disposons pas aujourd’hui : http://www.irs.gov/taxexemptbond/index.html

[11] Pour des locaux en centre-ville - et en fonction de la qualité première ou seconde main... http://www.webimm.com/documents/pdf/ATISREAL_pm_2007_t3_bureaux_regions.pdf

[12] France, vers des orientations stratégiques plus claires - Examens de l’OCDE de la réforme de la réglementation - Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) - 2004

[13] Selon les termes fameux du Doyen Vedel, repris depuis dans le rapport annuel du Conseil d’État 2006 : Rapport public 2006 : Jurisprudence et avis de 2005. Sécurité juridique et complexité du droit, Paris : La Documentation française, 2006.


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1 réactions à cet article    


  • geo63 25 février 2008 20:51

    "L’aspect en trompe-l’oeil" concernant la réforme de l’Université est un qualificatif qui me convient tout à fait.

    Pour avoir participé durant un mandat à la gestion (volet recherche) d’une université moyenne et mesuré la complexité administrative de la tâche, le nouveau partenariat public-privé qui constitue l’un des points importants de la réforme du 10 août m’est toujours apparu extrêmement flou dans sa définition...Il est pourtant sensé apporter un "souffle nouveau".

    Les blocages soulignés par l’auteur sont les premiers signes des difficultés non prévues par la réforme quand on aborde le sujet : domaine public - domaine privé. Le résultat pourrait conduire à un fatras assez désolant. Il fallait une réforme au pas de charge comme c’était dans l’air du temps, plutôt que d’approfondir avant de proposer...le bilan à venir pourrait être sévère.

     

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