Le veau tue-t-il ?
Précisons d'abord que le sujet de ce billet n'est pas d'assimiler l'électeur mélenchonien de cœur, et hollandais d'isoloir, à un bovin de la nouvelle génération. Et, encore moins, de qualifier de crimes de telles paradoxales conduites électorales. Mais, quand même, il me semble urgent d'intervenir encore sur cette notion de « vote utile ». L'élection présidentielle ayant lieu dimanche prochain, il serait dommageable pour notre démocratie que, en ce qui concerne les électeurs de gauche, le candidat sorti des urnes ne soit pas celui qu'ils voudraient en fait pour diriger le pays.
C'est quoi le vote utile ?
Je ne vais pas refaire la démonstration que l'on peut retrouver dans un billet précédent. Je vais juste résumer :
« Voter utile » ce serait voter pour éviter de se retrouver dans une configuration électorale de deuxième tour que l'on ne souhaite absolument pas, par exemple une alternative droite-extrême-droite, telle que celle que l'on a connu en 2002. Le bilan officiel du « brillant » résultat du parti socialiste à cette époque n'ayant pas été mis sur le compte d'une faillite du positionnement de ce dernier vis-à-vis de son électorat historique, mais attribué à des électeurs inconséquents qui auraient préféré se faire plaisir en votant pour des candidats folkloriques (lesquels auraient d'ailleurs eu tort de se présenter... tant qu'on y est...) plutôt que de soutenir un héros fatigué et mou du genou de gauche.
Bref, le virage à gauche du PS qui aurait dû, normalement, suivre cette élection désastreuse n'a pas eu lieu, pas plus qu'après le non massif et populaire au Traité Constitutionnel Européen, TCE, dont, apparemment, seuls les Français ont perçu les dérives néolibérales qu'il contenait, tandis que la majorité des élites du PS ont fait semblant de croire que ce rejet provenait d'un réflexe bêtement nationaliste et d'une pensée réactionnaire.
Donc, depuis 2002, tout est fait pour amener l'électeur de gauche à penser que s'il vote à gauche en-dehors du PS, cela va conduire à éliminer la gauche au second tour des élections présidentielles.
Quels sont les arguments du « vote utile » ?
Quand je dis que tout est fait pour maintenir cette « fable », je fais allusion à toutes ces allusions au vote utile, mais aussi à la dé-diabolisation du Front National, certes mise en œuvre par les conseillers en communication du FN, mais aussi reprise comme un seul homme par les médias. Heureusement, doublée sur sa droite par le Président sortant, Marine Le Pen a dû revenir à sa propre radicalité et dévoiler des arrières-pensées classiquement d'extrême-droite, bien dissimulées depuis quelques mois sous un discours semblant défendre les victimes du néolibéralisme.
Apparemment, les conséquences de ce dévoilement sont que le nombre d'électeurs potentiels de ce courant fond comme neige au soleil, et les démocrates humanistes, dont je suis, ne peuvent que s'en réjouir.
Si l'on résume, le vote utile aurait été, en 2002, de voter pour Lionel Jospin dès le premier tour pour être certain d'éliminer Jean-Marie Le Pen.
En 2012, la mise en avant de sondages beaucoup trop prématurés (et recalculés selon des règles auxquelles le citoyen n'a pas accès) a laissé planer le risque d'un bon score de Marine Le Pen. Les sondages présentant toujours une part auto-réalisatrice, ces annonces ont fait gonfler cette hypothèse, et le PS, ainsi que l'ensemble des médias, a bien sûr utilisé celle-ci pour pousser le « vote utile », seule façon de faire passer au deuxième tour le dirigeant d'un parti qui ne peut plus convaincre de son ancrage à gauche.
Et les contre-arguments...
Mais voilà : même si Marine Le Pen faisait un bon score, il faudrait que ce soit aussi le cas pour Nicolas Sarkozy pour que l'issue du premier tour aboutisse à un match droite-droite. Or, même si quelques révoltés, plutôt de gauche, ont pu chercher refuge dans la radicalité frontiste, on peut comprendre qu'une grande partie des voix de Marine Le Pen vient d'électeurs de droite déçus par le sarkozisme. D'où, d'ailleurs, la campagne à droite toute de celui-ci pour récupérer une partie de cet électorat (bon, du coup, il perd le centre-droit et les électeurs de droite humanistes : à suivre...).
Non, pour que cela survienne, il aurait fallu que le centre-droit vote pour l'un de ces deux champions. Mais, outre le fait que François Bayrou entend exister dans cette campagne, le fait est que ses électeurs ne voteront pas pour le Président sortant ni pour la représentante du Front National.
Donc, il n'existe pas de réserve de voix à droite dans le contexte actuel d'une prise de conscience par le peuple des attaques dont il est l'objet depuis cinq ans, et de la soumission de celle-ci à la finance internationale. Le score de la droite au premier tour ne peut dépasser les cinquante pour cent, et se situera plutôt entre 40 et 45%, donc si l'un dépasse 25 %, l'autre fera forcément moins, et le candidat en tête de la gauche lui passera forcément devant (le total des intentions de vote entre François Hollande et Jean-Luc Mélenchon fait apparemment à peu prés la même somme qu'à droite). Or, Marine Le Pen semble maintenant chuter largement en-dessous des 20%...
D'où le fait que voter pour le candidat socialiste ne doit être que le résultat d'un choix actif : celui de le voir conduire le pays selon les lignes suivies par le PS. Or, depuis des années on peut déduire de ses votes au Parlement cette ligne de conduite (Traité de Lisbonne, MES, Traité constitutionnel...).
Aussi ne faut-il pas négliger la réalité de la possibilité d'un réel renversement de pouvoir, avec l'irruption d'une force à base populaire, issue de l'union de plusieurs partis, qui a le projet de redonner au peuple sa souveraineté, de réduire le pouvoir des financiers, de mettre en place une politique économique soucieuse de partage et protectrice de l'avenir et de la planète. Pour que cela soit possible, il faut que pas une voix de ceux qui partagent ce projet ne soit perdue, soit à cause du mensonge du vote utile, soit par suite du dépit consécutif aux mensonges des politiques qui ont annoncé des projets de gauche, pour faire une politique de droite, ou y adhérer de façon implicite.
Le Front de gauche a une réserve de voix, c'est celle de tous ceux qui ont peur du FN ou de Sarkozy, comme si voter pour un candidat de gauche qui fait entre 13 et 17 % des sondages (et probablement plus si les données brutes n'étaient pas « corrigées ») augmentait le score des voix de droite ! Une autre réserve, c'est celle des abstentionnistes, les déçus de la politique : à ceux-ci je conseille de venir aux assemblées citoyennes dont on trouve les lieux sur la toile, d'écouter les discours très didactiques de Jean-Luc Mélenchon, de lire le programme du Front de gauche, son projet économique...
Le seul risque que fait courir un vote massif pour Jean-Luc Mélenchon, c'est que celui-ci passe devant François Hollande. Mais, pour nombre de citoyens, ceci n'est pas considéré comme un risque, au contraire, mais l'avant-dernière possibilité de nous sauver d'un avenir à la grecque, et d'un abandon de notre souveraineté à la nouvelle troïka FMI-Commission Européenne-BCE ( cf le MES : http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-senat-de-gauche-va-t-il-adopter-111273 ). La dernière possibilité étant représentée par les élections législatives.
Pour finir, un instantané, dont j'ai été témoin en prenant le métro à Marseille après le meeting du Prado. Je n'ai pas entendu la remarque de la dame d'âge moyen au jeune homme qui était derrière elle, dans l'escalier. Mais je l'ai comprise à la réponse de celui-ci :
« Ça commençait à bien faire que ce soit les personnes âgées qui descendent dans la rue pour nous défendre : c'est normal qu'on soit là... ».
NB : cet article a paru aussi sur Mediapart
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