Le vote Bayrou chez les alter-écolos... c’est mathématique !
Il est des questions - simples, pour qui veut bien faire quelques additions et multiplications - de logique et de mathématique qui amènent beaucoup d’écolos et d’« alter » à miser Bayrou. Au croisement des sujets climat-croissance-nucléaire : Jean-Marc Jancovici, un conseiller de Hulot, nous remet les idées en phase avec les chiffres, dans une approche vraiment systémique de notre civilisation. Proportionnelle à l’Assemblée : des calculs de coins de table nous donnent le futur nombre de députés écolos ou « alter ». Et enfin la logique du « consommer mieux » face à celle du « consommer plus » devrait aussi en éclairer beaucoup.
On s’étonne de voir autant - 30% à 50% - d’indécis à quelques jours de l’élection de notre président(e), mais quoi de plus normal au fond, dans cette inhabituelle campagne tripolaire, avec trois candidats - les trois dont nous savons que l’un sera notre président le 6 mai. Car pour la première fois, nous avons le choix entre trois candidats qui proposent trois chemins, trois projets vraiment différents pour notre pays. Ce choix n’est plus unidimensionnel dans l’éternelle présentation droite-gauche, mais, en quelque sorte, "bidimensionnel". (Voir mon précédent article : "Pour un espace bidimensionnel") Le choix des électeurs se fait plus complexe. Avec cette nouveauté-là, la logique et la raison se retrouvent régulièrement balayées du débat au profit de subjectivités hasardeuses où les électeurs se perdent un peu... Remettons donc, au coeur du débat, de la logique et des mathématiques.
Kaya : L’équation qui "démonte" Ségolène Royal...
N’en déplaise aux écologistes "sentimentaux", dans écologie, il y à "logie" : logos, c’est-à-dire "science" en grec. Et pour étudier les écosystèmes de manière globale, ce qui est nécessaire au XXIe siècle, il faut étudier le système Terre dans son ensemble. Les conclusions du GIEC montrent que le réchauffement climatique menace l’humanité comme espèce (voir note n°4) et que les émissions mondiales de CO2 (mais aussi d’autres gaz) doivent êtres divisées par deux à l’horizon de quelques décennies, si l’on veut cesser d’enrichir l’atmosphère en gaz à effet de serre. Un spécialiste français du réchauffement climatique et conseillé au sain du pacte écologique de Nicolas Hulot, Jean-Marc Jancovici, a publié en 2003, sur son site manicore.com, un article intitulé : "L’équation de Kaya". Cette équation est celle-ci :
Les émissions de gaz carbonique sont égales à :
Contenu en gaz carbonique de l’énergie * Intensité énergétique de l’économie * Production par personne * Population
Voilà donc ce qu’il faut diviser par deux.
Population : elle s’achemine plutôt vers 9 milliards en 2050. Jean-Marc Jancovici explique : « Puisque la population est tendanciellement multipliée par 1,5 alors que les émissions doivent être divisées par 2, cela signifie que l’ensemble des autres facteurs de notre équation doit être divisé par 3. »
Production par personne : « Une augmentation très conservatrice de 1% par an du PIB par habitant, ce qui est bien en-dessous de ce que tout élu tente d’obtenir lorsqu’il est en fonctions, augmente cette valeur de 65% en 50 ans, ce qui signifie que le reste des autres facteurs de notre équation doit alors être divisé par 5 (5 est plus ou moins égal à 3*1,65). »
Intensité énergétique de l’économie : Peut-elle être divisée par 5 en 50 ans ? Elle a baissé de 25% en 30 ans en France (voir graphique dans l’article de Jean-Marc Jancovici) : « La prolongation d’un taux de diminution identique amène à une réduction de 40% en 50 ans, mais c’est une hypothèse optimiste, parce que ce sont les premiers efforts qui sont les plus faciles à faire. Passons, et supposons que nous puissions prolonger. L’intensité énergétique étant alors de 60% de ce qu’elle est aujourd’hui, c’est donc un facteur 3 à 4 par lequel il faut diviser le dernier facteur de notre équation : le contenu en gaz carbonique de l’énergie. »
À ce stade, Jean-Marc Jancovici explique que la contribution des énergies renouvelables (dont le "contenu en gaz carbonique" est très faible) est limitée par des facteurs physiques avant de l’être par des facteurs technologiques ou économiques ( "Pourrions nous vivre comme maintenant avec juste des renouvelables ?" ). Et que, « tant que nous souhaitons perpétuer aussi longtemps que possible la "croissance économique", la seule variable d’ajustement pour tenter de réduire d’un facteur 3 à 4 ce "contenu en gaz carbonique de l’énergie", est... le nucléaire. » (dont le "contenu en gaz carbonique" est de 19 kg équivalent carbone par TEP, là où le gaz est à 651, et le charbon 1123).
Attention, il faut à tout prix inviter les antinucléaires qui traitent Jean-Marc Jancovici de pronucléaire à relire en détail cet article, "L’équation de Kaya" sur son site ; tout y est, et il n’y a aucun parti pris sentimental ou intéressé dans les démonstrations de cet ingénieur : il se contente modestement de démontrer que le débat sur le nucléaire est indissociable du débat sur la quantité d’énergie globale que nous voulons consommer, indissociable du débat sur la croissance ou décroissance de notre consommation matérielle (Jean-Marc Jancovici : « Bien entendu, une autre alternative est de choisir d’entrée de jeu - à population constante, bien sûr - la décroissance de la consommation matérielle par individu (ce qui, hors effet de stock, revient à choisir la décroissance de la production "matérielle", ce qui inclut aussi les services qui nécessitent des minerais ou de l’énergie), à laquelle nous serons de toute façon contraints un jour, non par idéologie, mais parce que, hélas pour nous, le monde est fini. »), et que sans nucléaire, une croissance économique, même modeste, conduira inévitablement à augmenter les émissions de gaz à effet de serre. Car la providentielle "dématérialisation de l’économie" qui devrait nous sauver est, à l’échelle de 50 ans, un leurre.
C’est là qu’entre en scène le chef-d’oeuvre d’absurdité de Ségolène Royal : elle appelle de tous ses voeux une croissance forte digne des trente glorieuses... puis au milieu du mois de février, elle prend l’engagement de baisser la part du nucléaire de 80% à 50%... Et tout cela bien sûr en assurant de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Résultat : des membres du PS consternés et la démission d’Eric Besson du parti. (Extrait audio de Bayrou parlant de ça. (Autres extraits de discours et interviews à écouter en ligne sur AUDIOBAYROU.COM)
Logique nécessaire de la proportionnelle à l’Assemblée
La question de savoir si le score des Verts à l’élection présidentielle sera de 0,5% ou, pourquoi pas, de 9%, est certes importante pour les sympathisants Verts (dont je fais partie)...
Mais elle est infiniment moins importante que la question de savoir combien il y aura de députés Verts dans notre Assemblée nationale, Assemblée qui est censée représenter les citoyens... un peu plus que les souvenirs des pourcentages des élections présidentielles passées...
Il est donc essentiel de voter pour un candidat proposant beaucoup de proportionnelle à l’Assemblée, pour ensuite, dans un deuxième temps, voter Verts à des élections législatives contenant cette part de proportionnelle. Ségolène Royal propose environ 15% de proportionnelle à l’Assemblée, et ne pourra pas proposer plus car cela affaiblirait le Parti socialiste. Quel candidat - de l’un des trois qui sera président - propose le plus de proportionnelle à l’Assemblée ? François Bayrou : proportionnelle pour la moitié des sièges des députés. Cela veut dire que les Verts, avec un score de 7,4%, comme celui obtenu aux élections européennes de 2004, auraient au minimum 25 députés à l’Assemblée nationale, alors qu’aujourd’hui, ils en ont... 3 !
Ceux qui veulent une véritable représentation politique des Verts votent Bayrou.
Logique nécessaire de la proportionnelle à l’Assemblée (bis)
Nous pouvons faire exactement la même démonstration en remplaçant "les Verts" par un autre petit parti existant ou futur, d’un Bové ou d’un Besancenot, qui aurait enfin une voix à l’Assemblée nationale grâce à la proportionnelle.
Ceux qui attendent une représentation politique d’un Bové ou d’un Besancenot dans le parlement de la République, votent Bayrou.
Les alter ne sont pas "logiquement" à gauche : Des alter-centristes ?
C’est bien là une question récurrente chez les altermondialistes : le mouvement altermondialiste est-il forcément de gauche ? N’est-ce pas une faiblesse de celui-ci que d’avoir tendance à mélanger les luttes contre les multinationales ou pour la décroissance de la consommation, avec la lutte des classes ? Bien sûr, tous les alter se positionnent contre une certaine droite, qu’ils appellent "néolibérale". Mais cela doit - impérativement - amener une réflexion globale sur ce que sont la gauche et la droite. Car au XXIe siècle, on n’appliquera sans doute plus du tout les mêmes politiques aux très grandes entreprises et aux toutes petites. Exemple : un adhérent du SEL (Système d’échange local) militant pour que celui-ci ne soit pas taxé, ni imposé, ne défend-il pas une valeur "de droite" ? Tout comme le paysan, l’artisan ou la profession libérale qui réclame moins d’impôts sur son activité ?
Le François Bayrou qui demande au Parlement européen que la possibilité d’une "Taxe Tobin" (taxe sur les transactions monétaires internationales) soit étudiée, ne défend-il pas là une valeur qui vient de l’extrême gauche ?
Enfin, des priorités qui transparaissent dans les programmes présidentiels entre, le "consommer plus" et le "consommer mieux", doivent amener notre réflexion d’électeurs sur d’autres axes que le clivage gauche-droite. Et faire sentir que "consommer mieux" est une priorité chez François Bayrou, là où ça l’est moins chez Ségolène Royal (qui base le financement de son généreux programme sur une croissance de la consommation de 2,5%... le taux le plus élevée de tous les candidats !), et encore moins chez Sarkozy (voir mon précédent article : "Pour un espace bidimensionnel"). Et faire comprendre, par exemple, pourquoi Bové semble à certains "freemen" moins éloigné de Bayrou que de Ségolène.
Contre les sectarismes...
Les altermondialistes mènent un combat très salutaire contre les multinationales, mais certains laissent à penser que toute la classe politique dominante, y compris François Bayrou, est au service de ces multinationales et de la mondialisation néolibérale... C’est oublier que François Bayrou a écrit, il y a quelques années, une critique de la mondialisation néolibérale, et que son projet contient, entre autres choses, l’indépendance de la presse à l’égard de l’Etat, des puissances d’argent et des influences étrangères, par le rétablissement des ordonnances du 15 mars 1944 et des idées des mesures anti-lobbying : « S’agissant du lobbying, la grande difficulté vient de ce qu’effectivement cette activité n’est pas réglementée en France comme si l’activité n’existait pas. Il est donc impératif de mettre en place une véritable réglementation exigeant en particulier une transparence dans les contacts qui sont pris et un encadrement dans le temps des activités de lobbying. »
Les écologistes mènent un combat très salutaire pour notre planète, mais certains laissent à penser que Royal a plus de vocation écologique que Bayrou, et que pour preuve, le programme de celle-ci serait truffé de mesures écolos, plus que celui de Bayrou. C’est oublier qu’en écologie (logie = "étude") c’est l’approche systémique qui importe, comme le montre Kaya. Et que, comme le dit Jean-Marc Jancovici : « l’enfer est pavé de bonnes intentions... », En réduisant le nucléaire dans notre société d’abondance... « vous ne favorisez que très peu les fabricants des éoliennes et de panneaux solaires ; ce sont essentiellement les charbonniers et les gaziers qui en profitent. En croyant défendre l’environnement, on favorise la hausse des émissions de gaz à effet de serre. »( Rappel : depuis 700 000 ans, le CO2 dans l’atmosphère oscille entre 200 ppm (pendant les ères glaciaires) et 280 ppm (pendant les ères non glaciaires, et comme c’est le cas depuis 30 000 ans). Et aujourd’hui, en un demi-siècle, le CO2 dans l’atmosphère terrestre est passé à 380 ppm, et continue d’augmenter de manière exponentielle... La possibilité d’avoir 15 °C en plus de température moyenne sur la Terre dans un ou deux siècles n’est exclue d’aucun des vagues modèles de prévision du climat... Ceci signifierait enlever un ou deux zéros à la surface terrestre des écosystèmes... et donc enlever un ou deux zéros à la population humaine mondiale. Concernant le côté pronucléaire de Jean-Marc Jancovici, il semble que son principal souci (n’est-ce pas le nôtre ?) est d’éviter que ses enfants ou petits-enfants ne vivent un enfer énergético-climatique. À lire... "Le plein s’il vous plaît !" d’Alain Grandjean et Jean-Marc Jancovici. En plus de l’explication du danger climatique, du pic pétrolier, et de la seule solution qui vaille, la taxe "carbone", une intéressante "critique du PIB" est argumentée dans le 5e chapitre de ce magistral essai qui vient de sortir en version poche (Cet essai a été remis entre les mains de Sarkozy et de Royal par Yann Arthus-Bertrand... mais ils n’ont pas l’air de l’avoir lu.)
...mais rappeler que notre monde est fini
Voici, pour terminer, une modeste citation "décroissante" pleine de logique : Prononcée à la réunion publique du pacte de Hulot, par Jean-Marc Governatori, un candidat écologiste - défendant la bio, les Amap et les médecines alternatives - qui n’a pas eu ces 500 signatures (mais dont le parti, La France en action, avait tout de même obtenu 300 000 voix aux élections européennes 2004), : « On ne peut pas se "développer" durablement sur une planète de 12 800 kilomètres de diamètre, parce que notre planète ne fera jamais 12 800 000 kilomètres de diamètre, elle fera toujours 12 800 kilomètres de diamètre. »
J’ai eu l’occasion de discuter avec quelques membres fondateurs de ce mouvement d’écologie active : une très large majorité de leurs membres voteront François Bayrou ce dimanche.
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