Le vrai problème de Bayrou : entre Robinson et Gramsci
Après la défection d’élus UDF passés chez Sarkozy, Bayrou serait un général sans troupes. Il jouerait sa survie politique. Mais en réalité, la défection d’élus UDF ne handicape François Bayrou que pour les législatives de juin prochain. Le vrai problème de son combat politique, c’est de gagner le combat culturel.
Dans les jours qui suivirent la victoire de Nicolas Sarkozy, François Bayrou fut présenté dans l’essentiel des grands médias comme un homme luttant pour sa survie. Alors qu’il venait de ravir la troisième place de l’élection présidentielle à Jean-Marie Le Pen et de tripler son score de 2002, son image devint celle d’un Robinson Crusoë de la politique française. Seul sur son île déserte, privé d’eau potable et de nourriture, il serait condamné à attendre le passage d’un paquebot, celui de l’UMP ou du PS, pour le sauver d’une mort lente et douloureuse.
Quel fut le motif de ces portraits catastrophistes ? Un événement tout à la fois monumental, historique et titanesque. Un événement à la portée considérable, et propre à ruiner son succès d’avril 2007. A savoir : le ralliement de plusieurs dizaines d’élus UDF à Nicolas Sarkozy.
On aura rarement vu analyse plus à côté de la plaque. Au lieu de le fragiliser, la défection de ces élus UDF renforce à moyen terme la crédibilité de François Bayrou auprès de ses électeurs du premier tour. Ces derniers ont en effet pu vérifier qu’il avait le courage de maintenir son cap contre vents et marées, et ne l’oublieront pas. Au lieu de le paralyser, la défection de ses élus UDF lui donne les coudées franches pour renouveler les cadres de son parti dans le sens d’une « bayrouisation » totale de son mouvement. A l’inverse, le maintien à ses côtés de ces élus penchant trop à droite aurait ligoté, encombré et ralenti ses velléités d’opposition à Nicolas Sarkozy.
Le seul véritable impact négatif de la défection de ces élus UDF, c’est qu’elle ait eu lieu entre les deux tours de la présidentielle. Incontestablement, ce timing crée pour le jeune Mouvement démocrate un réel handicap aux élections législatives de juin prochain. Amputé de ses candidats potentiels les mieux implantés, pour la plupart ralliés à l’UMP, le centre présentera presque partout des candidats de faible notoriété et de faible expérience. Son score potentiel dans chaque circonscription sera donc celui obtenu par François Bayrou le 22 avril, amputé de l’effet « vote utile » qui ramènera des électeurs bayrouistes de centre-droit vers les candidats labélisés UMP. Lorsqu’on ajoute à cela que, faute d’accords de désistement avec l’UMP ou le PS, le Mouvement démocrate a des chances quasi nulles d’obtenir la majorité absolue dans plus d’une dizaine de circonscriptions, on peut déduire que le centre aura du mal à exister à l’Assemblée d’ici 2012. Cependant, on objectera que le succès durable d’un parti politique ne dépend pas de sa représentation à l’Assemblée nationale : Jean-Marie Le Pen nous en est témoin.
Bref, dépeindre François Bayrou comme le Robinson Crusoë de la politique française parce que des élus UDF se sont ralliés à Nicolas Sarkozy est une lourde erreur d’analyse. Son véritable problème est ailleurs, et il est davantage culturel que politique.
Gramsci, théoricien italien et marxiste de son état, fut l’un des plus grands penseurs de la lutte politique au XXe siècle. Son apport intellectuel fondamental fut d’expliquer que pour remporter une large victoire, une faction politique doit d’abord gagner le combat culturel. En d’autres termes, la victoire dans la bataille des idées est le préalable indispensable à la victoire dans la bataille des urnes. Le camp qui l’emporte est celui qui, auparavant, a imposé que ses valeurs sont modernes quand celles des autres sont archaïques, et que ses propositions sont les bonnes tandis que celles des autres sont obsolètes. Plus largement, gagner le combat culturel implique d’avoir créé un réseau hyperactif de relais d’opinions favorables à votre camp. Qu’il s’agisse d’intellectuels connus, de personnalités de grands médias télévisuels ou de presse écrite, de grands patrons, de chefs de file syndicaux ou de leaders lobbyistes, tout ralliement est alors bon à prendre pour que la machine de guerre culturelle se mette en marche. Il résulte de la constitution et de la mise en marche de cette machine de guerre hyperactive un résultat simple et mécanique : c’est sur vos thèmes que se place le débat sur les valeurs, et c’est sur vos idées que se place le débat sur la réforme.
Or, obtenir une configuration du champ de bataille dans laquelle vos adversaires ne peuvent que dire s’ils sont oui ou non d’accord avec vous, sans avoir d’espace culturel pour exprimer leurs propres propositions, c’est avoir déjà quasiment gagné le combat politique. Incontestablement, Nicolas Sarkozy et les siens ont su appliquer de façon brillante et méthodique la constitution d’un réseau hyperactif de relais d’opinions favorables à leur cause. Ils ont ainsi gagné le combat culturel bien avant de gagner le combat politique.
C’est là, et non pas dans la défection de parlementaires allés à la soupe, que réside la principale difficulté de François Bayrou et du Mouvement démocrate : après la victoire du combat culturel de droite, organiser le combat culturel du centre.
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