Législatives 2024 (37) : stupide chantage à la destitution !
« Le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. » (Article 68 de la Constitution du 4 octobre 1958).
Ils étaient contents, ce samedi soir. La bombe allait être lâchée. Précisément, le samedi 17 août 2024 à 23 heures 25, le papier était en ligne. Le papier ? Une tribune, un torchon plutôt, publié par "La Tribune Dimanche" qui remplace le JDD dans les communications politiques du week-end. Les auteurs, Jean-Luc Mélenchon (73 ans ce lundi) et ses sbires s'en prenaient à la fonction du Président de la République et par là même, se mettaient en retrait de la nouvelle farce populaire (NFP).
Ils espéraient créer la polémique toute la journée du dimanche, réactions, contre-réactions, surréactions, les rédactions n'ayant plus grand-chose à dire après les Jeux olympiques, et avec un peu de chance, la mousse médiatique de leur énième provocation institutionnelle s'étendrait jusqu'au début de la semaine, une bonne entrée en matière avant la rencontre à l'Élysée des chefs des groupes parlementaires fixée au vendredi 23 août 2024.
Et là, pas de chance ! Ils vont vraiment finir par haïr Alain Delon ! Le grand acteur est mort dans la nuit du samedi au dimanche, vers 3 heures du matin. Toutes les chaînes de télévision et les stations de radio occupèrent alors leur journée du dimanche à rendre des hommages appuyés et quasi-unanimes (quasi, car il ne faut pas rêver !) à Alain Delon, monument national de la culture française. L'idée de la destitution du Président de la République est passée à la trappe médiatique ! Caramba, encore raté !
Pourtant, l'initiative mériterait d'être connue de tous les Français pour bien faire comprendre en quoi le groupement politique appelé France insoumise est anti-républicain, anti-institutionnel et dangereux pour la cohésion institutionnelle. On le savait déjà mais maintenant, c'est tellement clair que Jean-Luc Mélenchon ne prend plus de gants, il imite le piètre François Asselineau dans la relecture (erronée) de la Constitution (qu'il déteste pourtant : pour lui, aucune constitution n'est digne de lui, juste lui est capable de dire le bien, les règles, Lui, le seul, le garant, le gourou !).
Dans sa une, "La Tribune Dimanche" a tenté d'en faire son gras avec deux photographies, mettant en opposition Jean-Luc Mélenchon, candidat perdant trois fois la qualification au second tour, et Emmanuel Macron, élu deux fois Président de la République, à 66% puis à 59%. Comme on le voit, il est factuellement erronée de mettre sur le même plan les deux personnalités, un qui est sans arrêt rejeté par les Français (selon un sondage, 71% des sondés considéreraient que le gourou insoumis est un danger pour la République) et un qui a été plébiscité par le peuple français lors d'élections présidentielles libres, sincères et démocratiques, deux fois, avec des scores très élevés dans l'histoire de la Cinquième République (et la deuxième fois, après la crise des gilets jaunes et la pandémie de covid-19, entre autres crises).
De quoi s'agit-il ? De réclamer la destitution du Président de la République. Comment ? En faisant jouer l'article 68 de la Constitution. Petit rappel historique : pendant trois républiques, on a laissé la possibilité très floue d'évincer (de destituer) le Président de la République si une haute cour (le Parlement) le jugeait coupable de haute trahison. Sans définir juridiquement ce qu'est la haute trahison. On pensait à l'époque à de l'espionnage (vendu à l'ennemi) et l'expérience de Pétain entre 1940 et 1944 a conforté les constituants successifs à laisser cette disposition. C'est Nicolas Sarkozy qui a réformé cette possibilité beaucoup trop floue et grave en évoquant, à la place de la haute trahison, le cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».
Il faut se rappeler les conditions du début du quinquennat de Nicolas Sarkozy : il a succédé à Jacques Chirac après douze années de Présidence, malade pendant les deux dernières années, et à François Mitterrand après quatorze années de Présidence, gravement malade pendant quasiment la totalité de ses deux mandats. Dans les mémoires aussi, la maladie du Président Georges Pompidou, mort en cours de mandat (un cas d'empêchement manifeste !). L'idée était de permettre l'éviction constitutionnelle d'un Président de la République qui n'aurait plus la lucidité de quitter lui-même le pouvoir pour des raisons de santé mentale (on peut parler d'atteinte de la maladie d'Alzheimer ou d'autres pathologies). Après tout, cela s'est déjà produit avec Paul Deschanel, Président de la République en 1920, qui a lui-même eu quelques déficiences mentales mais il a eu la lucidité et la bonne idée de démissionner. Nicolas Sarkozy voulait qu'en cas de défaut de lucidité, les parlementaires puissent l'évincer, étant entendu qu'il ne s'agissait pas d'un acte politique (comme une motion de censure) mais d'un acte institutionnel pour résoudre un problème due au comportement inapproprié du Président de la République ou à son état de santé.
Dès lors, la menace d'initier une procédure de destitution du Président de la République sous prétexte que ce dernier refuse de se soumettre au caprice d'une très faible proportion de l'électorat (28%), à savoir nommer Lucie Castets à Matignon, est doublement stupide. D'une part, comme je viens de le préciser, la procédure constitutionnelle n'a rien de politicienne comme c'est le cas de la démarche des insoumis qui assument bien leur appellation. D'autre part, la raison invoquée est pour le coup anticonstitutionnelle puisque le Président de la République peut nommer tout Premier Ministre comme il l'entend, sans contre-seing, et remettre en cause cette compétence présidentielle, c'est s'opposer à l'article 8 de la Constitution que j'avais déjà cité : « Le Président de la République nomme le Premier Ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement. Sur la proposition du Premier Ministre, il nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions. ». Dans ce texte, aucune notion de délai ni de pression sur le Président de la République ne sont de mise. Bien entendu, toute la Constitution s'applique et les députés peuvent toujours déposer une motion de censure pour renverser un gouvernement qui ne leur plairait pas.
C'est justement pour éviter qu'une motion de censure soit inéluctablement adoptée dès son éventuelle nomination que le Président Emmanuel Macron n'a pas voulu nommer Lucie Castets qui n'aurait eu le soutien que de 193 députés sur 577, soit très loin de la majorité. Si Jean-Luc Mélenchon a raison de rappeler que les macronistes ont perdu les élections législatives de cet été (Emmanuel Macron l'a reconnu lui-même), en revanche, il a tort quand il dit que le NFP les a gagnées. Le problème d'aujourd'hui, c'est justement que personne n'a gagné et qu'il faudra faire des compromis pour que le futur gouvernement soit viable. Rappelons enfin que l'histoire de la majorité relative ne tient pas puisque ce n'est pas le candidat du NFP, à savoir le communiste André Chassaigne, mais Yaël Braun-Pivet qui a été élue Présidente de l'Assemblée Nationale le 18 juillet 2024 (il y a un mois), au troisième tour à la majorité relative, sans voix du NFP, évidemment, mais aussi sans aucune voix du RN (c'est important de le préciser).
Je viens d'évoquer le fond de la destitution, mais avec la forme, c'est encore plus facile à montrer que l'initiative, vouée à l'échec, n'a pour seul objectif que médiatique, faire du bruit, faire du conflit, faire des polémiques, de manière complètement stérile, ce qui conforte l'idée que Jean-Luc Mélenchon n'a aucune envie de gouverner et veut empêcher toute tentative de gouverner. Ce qui, du coup, conforte le Président de la République dans l'idée de refuser toute solution politique où des insoumis seraient au gouvernement (on imagine mal le Président de la République nommer des ministres qui auraient signé quelques jours auparavant un tribune enragée pour réclamer sa destitution !).
La forme, c'est la capacité d'aller au bout de la procédure selon la Constitution et la loi organique. Il faut d'abord que la proposition passe le stade du bureau de l'Assemblée, et Jean-Luc Mélenchon a rappelé que 12 membres du bureau sont NFP sur les 22 au total (NFP et pas FI). Une fois à l'ordre du jour, il faut que 385 députés au moins votent la destitution (les deux tiers), sans quoi la proposition ne franchira pas le Palais-Bourbon pour aller rue de Vaugirard au Sénat où 232 sénateurs seront également nécessaires pour poursuivre la procédure (deux tiers). Enfin, le Parlement réuni en Congrès, institué en Haute Cour, présidée par la Présidente de l'Assemblée Nationale, devra ratifier la proposition de destitution à la majorité des deux tiers toujours. Autant dire que, pour le cas qui nous occupe, une raison purement politicienne, cette proposition n'a aucune chance d'aboutir. Mais elle dit beaucoup de ses auteurs.
Du reste, le parti socialiste, qui semble avoir gardé un minimum de raison, a annoncé le 18 août 2024, entre deux hommages à Alain Delon, qu'il n'était pas question pour le PS d'être associé à l'initiative mélenchonesque, ce qui montre que le NFP n'a jamais été une union pour gouverner puisqu'ils ne sont même pas capables de se mettre d'accord avec le cadre institutionnel pour gouverner. Ils ne représentent que 72 députés et ils veulent renverser le Président de la République ! Le RN et LR sont aussi peu disposé à jouer le jeu de la destitution qui affaiblirait durablement la fonction présidentielle (en mélangeant les enjeux institutionnels) et tout parti qui a pour ambition de conquérir l'Élysée devrait, en principe, s'opposer à cette stupide démarche pour éviter, le cas échéant, d'être confronté à une telle opération à son encontre dans un avenir plus ou moins proche.
Toute cette agitation médiatique est très grave et pas du tout anodine, elle hystérise les clivages partisans et concourt à la trumpisation de la vie politique et on peut s'inquiéter de ce conflit permanent que veut imposer Jean-Luc Mélenchon aux Français. Avec cette initiative, il n'a pas franchi la ligne rouge car il l'avait déjà franchie depuis bien longtemps, mais il renforce l'idée que décidément, les insoumis refusent le cadre institutionnel de notre République et ont renoncé depuis longtemps à conquérir le pouvoir par l'État de droit. Leur modèle, bien sûr, c'est Maduro qui, lui, n'aurait pas à être destitué malgré les nombreuses fraudes électorales.
C'est la raison pour laquelle dans les réseaux sociaux, en particulier sur Twitter, certains internautes éclairés commencent à réclamer, au lieu de la destitution stupide du Président de la République, la dissolution des insoumis qui mettent en péril non seulement la République mais aussi la cohésion du peuple français par leur rage et leur excitation pas du tout constructive. Les Français n'aspirent qu'au calme et qu'à la fin des hostilités politiques et on verra bien dans les sondages quels responsables politiques les Français sanctionneront sévèrement par leur comportement ...inapproprié.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 août 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Législatives 2024 (37) : stupide chantage à la destitution !
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Législatives 2024 (32) : Le casse-tête de Lucie Castets.
Législatives 2024 (31) : Emmanuel Macron et les joyeux JO.
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Législatives 2024 (30) : coalition ou pacte ?
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