Législatives 2024 (44) : l’introuvable Premier Ministre
« J'ai surtout vu le caractère ingouvernable d'une Assemblée sans aucune majorité nette. Le RN est le premier parti, mais le bloc le moins important ; le NFP rassemble 193 députés ; et entre le NFP et le RN, il y a un bloc central de 235 députés en incluant l'ex-majorité, les LIOT et la Droite républicaine (…) Le bloc du NFP est plus restreint que le bloc central. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le NFP n'a pas réussi à faire élire monsieur Chassaigne à la Présidence de l'Assemblée. » (Édouard Philippe, le 3 septembre 2024 dans "Le Point").
Si on devait refaire le film, aucun doute que le meilleur scénario aurait été, pour le Président de la République, de nommer immédiatement un Premier Ministre, juste après le scrutin du 7 juillet 2024, le lundi ou le mardi qui suivaient. Bernard Cazeneuve aurait fait l'affaire. Certes, à l'époque, les mélenchonistes et toute la gauche mélenchonisée (appelée la nouvelle farce populaire) aurait déjà agité leurs chiffons rouges en disant, tel Sisyphe, "On a gagné ! On a gagné" (comme aussi la peluche singe mécanique qui sur une cymbale grâce à une pile), laissant comprendre qu'une partie de la classe politique, apparemment autiste, était hébergée en HP, mais l'avantage de l'Élysée était qu'à l'époque, le NFP n'avait pas encore "choisi" son champion, en l'occurrence, sa championne.
Même après "l'épisode" Lucie Castets, Emmanuel Macron aurait pu proposer Bernard Cazeneuve dans l'objectif d'avoir un Premier Ministre qui ne soit pas immédiatement censuré par l'Assemblée. Il aurait donc pu, dès la fin de juillet, le nommer avec moins de risque qu'aujourd'hui. En effet, à l'époque, si le RN avait rejeté en bloc tout Premier Ministre émanant du NFP, il avait laissé entendre que Bernard Cazeneuve était un homme d'État et qu'il se prononcerait sur les textes qu'il proposerait à l'Assemblée et pas a priori.
Parallèlement, Bernard Cazeneuve n'était pas vraiment demandeur, mais sait "prendre ses responsabilités", comme on dit. Dans ce cas, alors que son nom était hué par la gauche ultradicalisée, il devait donner des garanties à cette gauche-ci, ou du moins, au PS mélenchonisé par Olivier Faure (vendu aux insoumis à faible prix). Otage du NFP ? Sans doute. La nomination aurait pu intervenir le week-end dernier. Mais hélas (pour lui, peut-être pas pour la France), ce week-end-là, justement, il s'est fait huer par les propres troupes du PS à Blois, à l'instigation d'une invitée ex-communiste, ex-insoumise et désormais écologiste Clémentine Autain. Le résultat du bureau national du PS qui a suivi le 3 septembre 2024 (très divisé) a définitivement écarté la solution Cazeneuve par 38 voix contre 33 (voyez à quoi ça tient). De toute façon, l'Élysée était déjà passé à une autre hypothèse.
Le 2 septembre 2024, ce fut la brève hypothèse Thierry Beaudet dont l'appartenance à la gauche a été de plus en plus décrite, aussi pour des proximités moins fréquentables, pour aussi d'autres éléments de sa biographie plus ou moins vérifiés, mais la première raison de l'échec de l'hypothèse, c'est qu'il mettait un consensus sur sa non-désignation, même dans les rangs du camp présidentiel, car il faut absolument à Matignon une personnalité expérimentée en politique et aussi aux joutes parlementaires. Avant même que cette hypothèse n'explosât définitivement, Xavier Bertrand est revenu sur le tapis.
Dès lors que le Président de la République ne peut attendre aucun soutien par défaut (par non-censure) des députés PS, autant revenir vers le centre droit dont le bloc comporte le plus grand nombre de députés, comme l'a rappelé Édouard Philippe le 3 septembre 2024. Xavier Bertrand coche toutes les cases, l'origine à droite, la capacité de nouer des alliances à gauche (au conseil régional des Hauts-de-France qu'il préside), on parle d'un supposé "gaullisme social" (expression qui ne veut rien dire en fait), ancien disciple de Philippe Séguin, il a beaucoup d'expérience politique (maire de Saint-Quentin, député, ministre, président du conseil régional, secrétaire général de l'UMP, etc.)... sauf une case !
Cette case, c'est l'indulgence du groupe RN. Comme le PS ne fera pas de cadeau au futur Premier Ministre (comprendre, votera une motion de censure dès sa nomination), il faut la neutralité du RN. Mais le RN n'a pas la volonté politique d'accepter la désignation à Matignon de Xavier Bertrand car il est l'un des pires adversaire du RN dans les Hauts-de-France, battant deux fois le RN aux élections régionales, dont Marine Le Pen en décembre 2015, et se déclarant le meilleur rempart contre le RN version nordiste (en PACA, c'est une autre affaire). L'opposition du RN à Xavier Bertrand était prévisible, mais par ricochet, le RN ne pouvait plus accepter Bernard Cazeneuve non plus sans rendre incompréhensible ses postures politiques auprès de ses électeurs. Plus fumeux, le petit groupe des 16 députés ciottistes (vendus au RN à faible prix) a aussi annoncé qu'il censurerait Xavier Bertrand le cas échéant. Il faut toutefois rappeler que Xavier Bertrand et Éric Ciotti ont été dans le même parti pendant plusieurs décennies ! Ambiance.
Alors que la journée du mercredi 4 septembre 2024 aurait dû être consacrée par la nomination de Xavier Bertrand (qui, affirme-t-il, n'a pas à commenter les réflexions présidentielles), l'hypothèse a été balayée par les déclarations des députés RN qui ont montré qu'ils avaient de l'influence même s'ils ne peuvent pas et ne veulent pas participer au prochain gouvernement. La tentative de mettre David Lisnard, le très ambitieux maire de Cannes, n'a pas duré plus de quelques heures en raison de ses positions très droitières et de l'opposition de certains députés macronistes eux-mêmes.
Car il ne faut pas oublier, c'est un "jeu" (pas très ludique) à trois. Il y a les exigences du NFP (et en particulier du PS qui, détaché du NFP, pourrait faire majorité avec le bloc central), il y a les exigences du RN, mais il ne faut pas oublier que le camp présidentiel a tout autant la légitimité et le droit d'avoir aussi ses exigences dont la principale est de ne pas abroger la réforme des retraites et de ne pas saborder la politique réussie d'attractivité économique de la France.
Dans la soirée du 4 septembre 2024, on s'est retrouvé, à l'Élysée, de nouveau à la case départ. "Pas de nomination ce soir" ont pu annoncé fiévreusement les journalistes impatients qui étaient allés aux nouvelles au château. Le résultat, c'est que d'autres noms sont donc encore "en cours d'évaluation". Donc, les consultations ont repris.
Et qui ? On parle de Michel Barnier. Il a 73 ans, même génération que François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon. Lui aussi, de centre droit, il est un petit génie de la politique et jouit d'une très grande expérience politique (président de conseil général à 31 ans, député à 27 ans, sénateur, ministre, commissaire européen). Il a été en particulier Ministre des Affaires étrangères, Ministre de l'Agriculture, Ministre de l'Environnement, commissaire européen pendant une dizaine d'années. Son point d'expérience le plus fort est certainement sa désignation comme Négociateur en chef chargé du Brexit, et défendant avec beaucoup de fermeté les intérêts des pays européens (en particulier la France) face au Royaume-Uni du 1er octobre 2016 au 31 mars 2021. Trentenaire ambitieux, Michel Barnier a fait partie des (brefs) Douze Rénovateurs au printemps 1989, aux côtés notamment de Philippe Séguin, Michel Noir, Dominique Baudis, François Bayrou, François Fillon, Bernard Bosson, etc.
Par ailleurs, Michel Barnier a tenté de conquérir la Présidence de la Commission Européenne en 2019 (sans succès en raison de l'hégémonie des députés PPE allemands) et a participé à la primaire LR de décembre 2021, placé le 2 décembre 2021 en troisième position ...devant Xavier Bertrand ! Il bénéficie du soutien de tous les pro-Européens, notamment au sein du bloc central, mais aussi, peut-être, d'un soutien aux partisans de thèses plus droitières car durant sa campagne à la primaire LR, il a développé, surprenant de nombreux observateurs (dont moi-même), des thèmes très droitiers, proposant un référendum sur l'immigration ou encore voulant se désengager de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH), ce qui pourrait entraîner une neutralité bienveillante du groupe RN (je m'avance certainement un peu trop vite : le RN semble aussi choisir une autre voie, celle de l'obstruction systématique pour pousser Emmanuel Macron à la démission).
Une autre personnalité pourrait aussi être étudiée pour Matignon, il s'agit de Valérie Pécresse (57 ans), propulsée par Jacques Chirac, ancienne ministre, ancienne députée, actuelle présidente du conseil régional d'Île-de-France (depuis 2015) et aussi ancienne candidate à l'élection présidentielle de 2022, choisie le 4 décembre 2021 par les adhérents de LR face à Éric Ciotti, Michel Barnier et Xavier Bertrand et crédité, à ce moment-là, jusqu'à 15% d'intentions de vote avant de s'écrouler sous la barre des 5%. L'atout tant de Michel Barnier que de Valérie Pécresse, c'est qu'ils ne seront sans doute pas candidats à la prochaine élection présidentielle.
La position psychorigide irresponsable des socialistes sous influence de Jean-Luc Mélenchon n'a finalement qu'une seule conséquence concrète : il donne au groupe RN un énorme pouvoir d'influence sur le choix du prochain Premier Ministre ou la continuité de la vie politique en général. Drôle d'effet pour des partisans du front républicain.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (04 septembre 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Législatives 2024 (44) : l'introuvable Premier Ministre.
Édouard Philippe massivement candidat.
Législatives 2024 (43) : Haro sur le Beaudet !
Législatives 2024 (42) : Bernard Cazeneuve et le retour à la case départ ?
Législatives 2024 (41) : intérêt national et mode de scrutin.
Législatives 2024 (40) : Patrick Cohen a raison !
Législatives 2024 (39) : Consultations et mains tendues !
Législatives 2024 (38) : la coconstruction du Premier Ministre.
Législatives 2024 (37) : stupide chantage à la destitution !
Législatives 2024 (36) : Gérald Darmanin plaide pour un Premier Ministre non macroniste !
François Hollande sera-t-il le Premier Ministre de son ancien Ministre de l'Économie ?
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Législatives 2024 (8) : la bataille de Matignon.
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Législatives 2024 (7) : Ensemble pour la République.
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Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
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