Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
« Moi, j'ai confiance dans le peuple ! C'est le geste le plus démocratique et républicain qu'il soit, celui que j'ai fait. C'est de dire à vous toutes et tous : il y a une colère qui s'exprime, moi, je l'entends. Et je vous dis, quel que soit le résultat, de toute façon, il y aura un jour d'après. (…) Moi, j'ai confiance dans le bon sens. Je pense qu'il y a une majorité silencieuse qui, comme vous, ne veut pas les extrêmes et qui, comme vous, ne veut pas que ce soit le désordre. » (Emmanuel Macron, le 18 juin 2024 après la commémoration de l'Appel du 18 Juin).
J'ai écrit que la dissolution de l'Assemblée Nationale et la campagne éclair des élections législatives faisaient ressortir les vieux dinosaures de la vie politique. C'est le cas de François Hollande (qui se présente dans une coalition de gouvernement avec le NPA et FI !), c'est aussi le cas de Lionel Jospin qui, tous les deux, aveuglés par la peur d'un gouvernement RN, sont prêts à s'allier avec ce qu'il y a de plus abject à l'extrême gauche (l'histoire le rappellera un jour très sévèrement). C'est le cas aussi de Manuel Valls qui, au nom de la même gauche que celle des deux précédents (Manuel Valls était le conseiller à Matignon de Lionel Jospin et le Premier Ministre de François Hollande), a condamné avec force la nouvelle farce populaire autant que l'extrême droite pour soutenir le camp présidentiel.
Mais c'est bien sûr aussi le cas à droite et au centre droite. Du trio des ténors de l'UMP puis de LR qui ont dominé la droite républicaine pendant deux décennies, seul Alain Juppé est soumis à son obligation de réserve en raison de son appartenance au Conseil Constitutionnel (qui statue sur la régularité des élections législatives), mais les deux autres ont réagi aux événements politiques accélérés de ces derniers jours, l'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy le 15 juin 2024 dans une interview au "Journal du dimanche" (interrogé par Geoffroy Lejeune et Antonin André), et l'ancien Premier Ministre François Fillon, qui avait pourtant tourné la page de la politique, le 18 juin 2024 dans une tribune au journal "Le Figaro". Ces deux ténors majeurs de LR ne disent d'ailleurs pas tout à fait la même chose.
Pour les deux, comme pour Lionel Jospin et comme pour beaucoup de Français, il y a une incompréhension de cette dissolution. L'effet d'une douche froide. Mais après tout, De Gaulle avait fait la même chose deux fois en dix ans. Lire à la fin de l'article la justification présidentielle.
Nicolas Sarkozy ne comprend pas cet appel aux urnes quelques heures seulement après les élections européennes qui étaient déjà une écoute du peuple : « Donner la parole au peuple français pour justifier la dissolution est un argument curieux puisque c’est précisément ce que venaient de faire plus de 25 millions de Français dans les urnes ! On donne la parole aux Français quand ils ne se sont pas exprimés depuis plusieurs années, pas juste après une consultation électorale. ».
Et d'ajouter qu'il est peu probable que les Français ne disent pas la même chose en trois semaines d'intervalle : « Le risque est plus grand qu’ils confirment leur colère plutôt qu’ils ne l’infirment. ». Mais cela n'a pas beaucoup de sens de commenter la pertinence de la dissolution, car elle s'impose à tous.
D'où cette sentence contre la décision présidentielle : « Cette dissolution constitue un risque majeur. Pour le pays, déjà fracturé, parce que cela peut le replonger dans un chaos. Et pour le Président, à qui il restait trois ans de mandat, et dont j'aurais préféré qu'il les utilisât pour accomplir ce que les Français souhaitent. ». Ces propos sont un tantinet démagogiques, mais il faut remarquer l'emploi de l'imparfait du subjonctif, très rare dans la classe politique et chasse généralement gardée de Raymond Barre et de Jean-Marie Le Pen).
L'ancien Président de la République a notamment regretté de ne pas avoir assez influencé Emmanuel Macron sur les thèmes de la droite nationale : « C'est le plus important, je n'ai pas réussi à le convaincre que la matrice politique de la France s'incarnait dans ces trois mots : identité, sécurité, autorité. ». Ce à quoi Lionel Jospin a répondu : « Liberté, égalité fraternité » !
Sur l'éviction du président de LR Éric Ciotti, Nicolas Sarkozy ne partage pas son point de vue d'une alliance LR-RN parce qu'il considère que cela serait suicidaire pour LR dans la situation actuelle. Il s'est opposé à la fois sur le fond (pas d'alliance avec le RN) et sur la forme (il n'avait pas à prendre la décision arbitrairement tout seul) : « Je suis attaché à mes convictions. Je ne partage pas les siennes, mais pourquoi ne pourrait-il les défendre ? En revanche, il a eu le tort de trancher un débat avant qu'il ait pu prospérer. ». Du reste, des personnalités comme Gérard Larcher et Bruno Retailleau se sont senties trahies personnellement par Éric Ciotti alors qu'ils l'avaient eu au téléphone très peu de temps avant sa déclaration d'alliance.
Pour autant, Nicolas Sarkozy rejette toute diabolisation du RN car cela ferait son jeu. Il faut le combattre politiquement, pour les mesures qu'il défend, et pas moralement : « Le RN a fait un travail sur lui-même qui est indéniable. Combattre le Rassemblement national comme s'il n'avait pas changé, comme s'il y avait toujours le Jean-Marie Le Pen "du détail", serait une erreur grossière... ».
En revanche, l'ancien locataire de l'Élysée veut diaboliser la nouvelle farce populaire avec ses partis extrémistes : « LFI par son communautarisme, ses propos aux limites de l'antisémitisme, son engagement militant auprès du Hamas, est beaucoup plus problématique aux regards des règles républicaines que le risque fantasmé de peste brune. ». Ainsi, entre la peste RN et le choléra NFP, il a probablement déjà choisi même s'il ne le dit pas explicitement.
Quant à l'union des gauches, Nicolas Sarkozy l'a toujours envisagée et c'est probablement l'erreur politique d'Emmanuel Macron, elle s'est faite en juin 2022 malgré plusieurs candidats à l'élection présidentielle. Et il a rappelé : « Je n'ai jamais douté que la gauche referait son unité. Déjà en 2012, Jean-Luc Mélenchon s'était précipité dans les bras de François Hollande en dix minutes. Parce que quand le pouvoir est à portée de main, la gauche se rassemble. ».
Nicolas Sarkozy s'est fait également directeur des ressources humaines et a commenté l'ambition démesurée de Jordan Bardella : « [Il] a du talent (…). Il lui reste, et c'est une grande question, à combler un manque d'expérience puisqu'il n'a jamais été en situation de gérer quoi que ce soit, et qu'il a moins de 30 ans. ».
Lui qui avait tenté de convaincre Emmanuel Macron de faire un véritable contrat de gouvernement entre LR et la majorité présidentielle en 2022, il reste donc sur une position intenable : ni NFP, ni RN, ni Macron. Aujourd'hui, LR n'existe plus parce que ce parti a implosé par le ciottisme. Il lui faudra effectivement choisir entre ces trois "blocs" (terme que je n'aime pas du tout car cela fait comme si on bétonnait la vie politique, même s'il y a une belle référence historique avec le Bloc national de Clemenceau en novembre 1919).
Parlons maintenant de la tribune de François Fillon. La position de l'ancien candidat à l'élection présidentielle de 2017 est un peu différente même s'il rejette à la fois le RN et le NFP. Lui-même au soir du premier tour de l'élection présidentielle de 2017 avait été très clair : il avait appelé sans hésitation à soutenir Emmanuel Macron au second tour pour empêcher l'éventualité de l'élection de Marine Le Pen (beaucoup au sein de LR avaient été bien moins clairs à l'époque).
Toutefois, il faut aussi se souvenir qu'Éric Ciotti est un bon ami de François Fillon. Dans sa querelle fratricide contre Jean-François Copé au sein de l'UMP en 2012-2013, François Fillon avait pu compter sur le soutien indéfectible d'Éric Ciotti.
Comme pour l'ancien chef de l'État, l'ancien Premier Ministre a d'abord sérieusement attaqué l'alliance à gauche : « Le nouveau programme commun de la gauche fait apparaître celui de 1981 comme une bluette social-démocrate. Le comportement de LFI depuis son irruption à l'Assemblée est incompatible avec notre pacte républicain. ».
Mais il a aussi critiqué très vertement les idées du RN : « Je persiste à penser que l'extrême droit, malgré sa mue, n'est pas en mesure de redresser notre pays. Mais, pire encore, l'extrême gauche qui menace l'unité nationale doit être implacablement sanctionnée par les urnes. ». Le "pire encore" donne une idée de sa position s'il devait choisir entre les deux extrémismes.
Enfin, troisième pôle de refus politique, ne pas se soumettre à Emmanuel Macron : « Il faudra beaucoup d'efforts au chef de l'État pour éteindre le feu électoral qu'il a sciemment allumé. ». Toute l'opposition à Emmanuel Macron réside dans ce "sciemment".
Faut-il retourner aux sources de la Cinquième République ? Je rappelle donc qu'après la décision de dissoudre l'Assemblée prise par De Gaulle le 9 octobre 1962 (à la suite de l'adoption d'une motion de censure contre le gouvernement de Georges Pompidou), la plupart des députés gaullistes étaient sidérés et considéraient cette initiative de la dissolution comme un suicide collectif (on parle aussi de suicide politique pour le référendum du 27 avril 1969). Les ministres sortants se préparaient à la défaite électorale, retrouvaient un emploi à leurs conseillers et se disaient que c'était déjà pas mal d'avoir gouverné quatre ans en résistance au régime des partis.
La réponse d'Emmanuel Macron est très claire, puisque beaucoup de Français l'ont interrogé sur le sujet. Ainsi, le 18 juin 2024, sur l'île de Sein, il répondait à une dame très inquiète (et pas du tout impressionnée) : « Quelle a été la conviction du Général De Gaulle en 1940, puisque vous faites référence à cette mémoire ? Une confiance dans les Françaises et les Français, forte. Le chaos, il est lié à quoi ? À certains élus de la République qui, chaque semaine, au Parlement, font le désordre et donnent un spectacle qui n'est pas celui que vous voulez et que je ne veux non plus. Vous ne pouvez pas continuer comme ça. Il faut regarder les choses en face. Et qu'il y ait eu un coup de colère, vous savez, je suis le premier à qui ça a fait mal le 9 juin. Les résultats. Je l'ai pris vraiment pour moi, ça m'a fait mal. Et donc, en mon âme et conscience, c'est une des décisions les plus lourdes que j'ai eu à prendre, Madame. Si je pensais à moi, vous savez, je serais resté à mon bureau et j'aurais dit : on va continuer comme si de rien n'était. Mais on doit ouvrir les yeux. On ne peut pas laisser monter les extrêmes et la colère en disant : c'est comme si de rien n'était. Et donc, moi, j'ai confiance dans le peuple ! C'est le geste le plus démocratique et républicain qu'il soit, celui que j'ai fait. C'est de dire à vous toutes et tous : il y a une colère qui s'exprime, moi, je l'entends. Et je vous dis, quel que soit le résultat, de toute façon, il y aura un jour d'après. Sur les sujets de sécurité, de fin de mois, on devra aller beaucoup plus vite et plus fort parce qu'il y a une partie de cette colère qui est liée à cela. Mais je dois redemander un vote de confiance aux Françaises et aux Français. Mais moi j'ai confiance dans le bon sens. Je pense qu'il y a une majorité silencieuse qui, comme vous, ne veut pas les extrêmes et qui, comme vous, ne veut pas que ce soit le désordre. Donc, je ne l'ai pas fait pour moi, je ne l'ai pas fait sur un coup de sang, ce n'est pas un coup de dés, c'est un geste de confiance républicain. On ne peut pas craindre le peuple dans une démocratie. (…) Mais pourquoi vous voudriez qu'il y ait le chaos ? Il y a le chaos quand les choses se bloquent. On a connu tous ensemble les gilets jaunes, et on l'a connu pourquoi ? Parce que les gens n'adhéraient plus aux réformes, la vie était dure. Il y a quelque chose qui a émergé, d'ailleurs qu'on a eu du mal à anticiper, il a fallu le régler, ça a mis quelques mois. Mais pour les élections, ce n'est pas le chaos, c'est la démocratie. Et donc, elle suppose le respect. Encore une fois, moi, j'ai confiance en l'intelligence des Françaises et des Français. ».
Cet esprit de la pratique des institutions, c'est celui de De Gaulle en 1962, en 1968 et en 1969, c'est aussi celui de François Mitterrand en 1992 et c'est celui de Jacques Chirac en 2005. Aller aux urnes pour écouter le peuple, même quand le peuple est en colère, surtout quand le peuple est en colère. Au moins, on ne pourra pas le reprocher à Emmanuel Macron. Il ne reste plus qu'à mobiliser la "majorité silencieuse" ! Vaste affaire en si peu de temps.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 juin 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Nicolas Sarkozy.
François Fillon.
Législatives 2024 (6) : Nicolas Sarkozy et François Fillon bougent encore !
Législatives 2024 (5) : le trouble de Lionel Jospin.
Législatives 2024 (4) : l'angoisse de Manuel Valls.
Législatives 2024 (3) : François Hollande dans l'irresponsabilité totale !
Législatives 2024 (2) : clarification ou chaos ?
Législatives 2024 (1) : vaudeville chez Les Républicains.
Sidération institutionnelle.
Élections européennes 2024 (4) : la surprise du chef !
Résultats des élections européennes du dimanche 9 juin 2024.
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