Les brebis philosophes de José Bové
« Pour moi, tout ce qui est manipulation sur le vivant, qu’il soit animal, végétal et encore plus humain, est quelque chose qui doit être combattu. » (José Bové le 24 avril 2014 sur KTO).
L'ancien porte-parole de la Confédération paysanne José Bové fête son 70e anniversaire ce dimanche 11 juin 2023. Des moustaches sympathiques et une pipe (aujourd'hui politiquement incorrecte), c'était facile, pendant longtemps, de caricaturer Bové, au nom prédestiné. Fils d'un directeur régional de l'INRA, Institut national de la recherche agronomique, et membre de l'Académie des sciences (mort en 2016), il fut paradoxalement à la tête de la lutte contre les OGM (organismes génétiquement modifiés) qui furent des objets d'étude du paternel.
Militant gauchiste, entre pacifisme et anticapitalisme, écologisme et altermondialisme avant l'heure, José Bové, qui se destinait à devenir professeur de philosophie, s'est finalement installé dans les années 1970 dans le Larzac comme éleveur de brebis et fournisseur pour le roquefort (il est cogérant de la société des Terres du Larzac qui a bénéficié, grâce à François Mitterrand, d'un bail emphytéotique de 1981 à 2083 (renouvelé en 2013).
En 1987, José Bové a cofondé la Confédération paysanne, un nouveau syndicat agricole (opposé à la toute puissante FNSEA) et en est devenu un secrétaire national. En 1998, il a cofondé également le mouvement ATTAC altermondialiste. Son militantisme débordait donc très largement le seul secteur agricole et il s'engageait dans des actions sur de nombreux fronts (à Greenpeace, contre la reprise des essais nucléaires en 1995 ; en soutien aux indépendantistes en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française ; etc.).
Son fait d'arme le plus éloquent a été la destruction d'un magasin MacDonald's à Millau le 12 août 1999 pour s'opposer de manière caricaturale au capitalisme américain. Si c'était réussi d'un point de vue médiatique (sa renommée a très largement dépassé les frontières hexagonales), c'était peu pertinent sur le fond vu que les MacDonald's situés en France vendent de la viande produite en France.
Cette action, qui visait à exprimer son mécontentement contre l'autorisation donnée par l'OMC (Organisation mondiale du commerce) aux États-Unis de pénaliser les importations de fromages au lait cru, dont le roquefort, en représailles contre la décision française d'interdire l'importation du bœuf américain aux hormones (sur fond d'une époque de la vache folle), lui a valu une condamnation à trois mois de prison ferme le 30 juin 2000 par le tribunal correctionnel de Millau, peine confirmée le 22 mars 2001 par la cour d'appel de Montpellier (après avoir été incarcéré du 19 août au 7 septembre 1999).
Auparavant, ce qui lui a valu la détention provisoire, José Bové avait déjà été condamné pour la destruction de champs OGM et de stocks de semence. Actions militantes qu'il allait renouveler jusqu'en 2007, se payant ainsi un abonnement de fidélité à la justice française. Pendant cette période, il a été effectivement condamné à d'autres peines de prison ferme pour ces actions "coups de poing". Le 8 avril 2004, il a quitté la tête de la Confédération paysanne sans pour autant quitter le militantisme qui, depuis longtemps, s'est poursuivi à l'échelle internationale. Il s'est opposé à l'Europe en 2005 (au référendum sur le TCE), par refus du supposé libéralisme.
Voulant œuvrer pour une candidature commune de la gauche anticapitaliste à l'élection présidentielle de 2007, José Bové a lancé sa candidature le 13 juin 2006, confirmée le 1er février 2007, avec le slogan facile mais sympathique "Osez Bové" (reprenant le titre d'une chanson de Bashung).
Malgré sa forte notoriété et celle de ses combats très politiques, José Bové a fait une campagne médiocre (on ne s'improvise pas homme politique, Éric Zemmour en sait quelque chose) et le résultat a été un cuisant échec au soir du 22 avril 2007 : seulement 483 008 électeurs lui avaient accordé leur confiance (soit 1,3% des suffrages exprimés). Il faut dire qu'il était en concurrence sur le plan écologiste avec la candidature de l'ancienne ministre Dominique Voynet (Les Verts), et sur le plan anticapitaliste avec les candidatures de l'ancienne ministre Marie-George Buffet (PCF), Olivier Besancenot (NPA) et Arlette Laguiller (LO).
Après cet échec, au lieu de renoncer à toute action politique, José Bové s'est au contraire engagé dans l'épopée d'Europe Écologie en 2009. Il a été élu député européen en juin 2009 (grâce à l'excellente campagne de Daniel Cohn-Bendit) puis réélu en juin 2014 sur la liste écologiste, jusqu'en 2019.
Au lieu de s'arque-bouter dans ses convictions extrémistes, José Bové, durant l'exercice de ses deux mandats de député européen, a pris ses responsabilités en se confrontant au réel, ce qui est un cheminement rare dans cette partie de l'échiquier politique. Et d'origine anti-européenne, il a pu se rendre compte du fonctionnement, parfois un peu laborieux mais bien réel, de la démocratie européenne.
Après ses mandats, José Bové a soutenu la candidature de la présidente sortante du conseil régional d'Occitanie, la socialiste Carole Delga (ancienne ministre), aux élections régionales de juin 2021 (contre la liste écologiste), et en 2022, après avoir fait campagne pour Yannick Jadot, José Bové a pris fermement position le 7 mai 2022 contre l'alliance de EELV au sein de la Nupes, dans une tribune collective publiée dans "Le Monde" : « N'avez-vous pas honte, camarades d’Europe Écologie-Les Verts ? Passer un pacte avec les souverainistes de la France insoumise, ouvrant la voie du renoncement à d’autres mouvements de pensée qui ont construit le progrès humain à travers les âges, revient, à nos yeux, à sacrifier l’essentiel : le principe démocratique ; son universalité et son intangibilité. Cette violence politiquement majeure que vous commettez contre le joyau du patrimoine humain conduit à abandonner le meilleur de ce qui nous fait et, malgré les différences, nous tient ensemble, écologistes, sociaux-démocrates, démocrates-chrétiens, libéraux et républicains. (…) Sous couvert d’un pseudo-"non-alignement", renvoyant dos à dos agresseur et agressés dans le conflit ukrainien, vous avez signé un "accord" avec ceux qui cultivent à dessein l’ambiguïté à l’égard des valeurs démocratiques. Vous vous asseyez à la droite du père Ubu du Kremlin et de ses complices. Vous le faites au moment où le pire se déroule sous vos yeux, étalage cynique de sang, de morts, de massacres, de viols, de destructions, de souffrances. En évitant soigneusement d’évoquer l’Ukraine, devenue aujourd’hui la patrie des libertés et la dépositaire meurtrie de notre avenir à tous, en mettant volontairement sous le tapis un principe de base de la civilisation, vous consentez un silence assourdissant aux adversaires de la démocratie et de la liberté, autrement dit vous cédez aux ennemis des peuples et du bien commun. C’est une escroquerie. Savez-vous que c’est une histoire collective que vous immolez ainsi, en même temps qu’une espérance ? Qui vous a donné le droit de disposer de nos consciences, au nom d’obscures tractations électorales ? ».
Il ne faut pas croire à un renversement des positions de José Bové. Il est par ailleurs opposé à la PMA pour toutes et à la GPA, et, selon lui, cela rentre dans une cohérence de fond identique à son combat contre les OGM : « Je n’ai jamais varié, je suis contre toute manipulation sur le vivant, que ce soit pour les couples homosexuels ou hétérosexuels. Je ne crois pas que le droit à l’enfant soit un droit. La réflexion ne peut pas se couper en tranches sinon, d’évolution en évolution, il n’y aura plus de limite. Tout ce qui fait qu’on va fabriquer le vivant plutôt que de le laisser se développer pose énormément de problèmes humains et éthiques. », a-t-il affirmé le 24 avril 2014 à la chaîne catholique KTO. Et que pense-t-il alors de l'avortement ?
Le combattant contre la nourriture industrielle et, plus généralement, contre la malbouffe mondialisée, serait-il donc le représentant de la France d'hier, celle des villages et des mille clochers, celle des terroirs, celle où tout était encore facile ? Nul doute qu'il est difficile aujourd'hui, à notre époque du tweet et d'instagram comme seules sources d'information, de défendre une "pensée complexe", lorsque celle-ci ne cadre pas avec une sorte de manichéisme idéologique qui, aujourd'hui, se réduit de manière très simpliste et surtout paresseuse à : pour ou contre Emmanuel Macron ?
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 juin 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
José Bové.
Sophie Binet.
Philippe Martinez.
Henri Krasucki.
Edmond Maire.
François Chérèque.
Georges Séguy.
Marc Blondel.
André Bergeron.
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