Les conséquences politiques de la votation : mise en demeure ou lettre morte ?
95% pour le « non » à la privatisation de la poste : le résultat de la votation populaire organisée par plus de 60 organisations syndicales et politiques est sans appel. Mais quel sort l’exécutif va-t-il réserver à cette mise en demeure électorale ? Réponse en image et en son du Parti de gauche et du Parti socialiste qui nous livre un scoop : une proposition de loi PS le 15 octobre prochain pour spécifier les conditions du passage d’une votation populaire à un véritable référundum.

Privatisation ou entreprise d’Etat ?
Le succès populaire de cette expérience inédite est démontré : avec plus de 2 millions de participants, la démocratie directe plaît aux français. La crise économique couplée à l’actualité des suicides chez France Telecom, entreprise privatisée par Lionel Jospin, pousse les Français à rejeter ce projet d’ouverture du capital. Pourtant, personne à l’UMP ne parle de privatisation. Christian Estrosi, le ministre de l’industrie, promet d’ailleurs de courir "au premier bureau de la CGT pour voter contre", si privatisation il y avait. On parlera plutôt de transformation en société anonyme, avec capitalisation publique. Mais pour Martine Billard, député PG de la Xème circonscription de Paris, et Razzy Hammadi, secrétaire National aux services publics du PS, la dénomination d’entreprise d’état est un abus de langage qui masque une réelle volonté de privatisation, d’ailleurs clairement affichée par le président de La Poste Jean-Paul Bailly avant la crise financière. On les écoute.
Le référendum d’initiative populaire sera-t-il efficace ?
On l’a compris, les Français ne sont pas favorables à une modification du statut de la poste. Mais comment cette votation populaire pourrait-elle se transformer en véritable référendum ? Car, comme nous le répètent les personnalités de gauche interrogées, une loi a été envisagée lors du dernier Congrès de Versailles et de la modification de la constitution. Son contenu ? Permettre au peuple d’être à l’initiative de la mise en place d’un référendum. Les conditions : réunir plus de 4 millions de signatures plus le soutien d’1/5 des députés. Razzy Hammadi nous livre d’ailleurs un scoop : le PS déposera le 15 octobre prochain un projet de loi à l’Assemblée portant sur la mise en place des conditions d’application de cette loi. Car, comme l’évoque Martine Billard, moins optimiste que son camarade socialiste, les décrets d’application permettant à cette loi d’être inscrite dans la constitution ne sont toujours pas ratifiés. Sans parler des nombreux pare-feux qui permettent au pouvoir de se dispenser d’un tel référendum, comme par exemple l’inscription du sujet de la proposition dudit référendum à l’ordre du jour d’une des deux chambres.
Comment la poste de service public peut-elle rester compétitive face à l’ouverture à la concurrence en 2011 ?
Pour le politologue Jean Chiche joint au téléphone et spécialiste de sociologie électorale à Sciences-Po, la seule efficience politique de cette votation populaire sera le chantage électoral : "L’UMP se gardera bien d’opérer une quelconque ouverture du capital à des fonds privés, du moins pas avant 2012." L’échéance de la prochaine élection présidentielle nous permettrait donc d’échapper à la privatisation. Mais ce serait sans compter les directives européennes sur le sujet dont l’application est prévue pour 2011, et qui visent l’ouverture du transport de courrier à la concurrence privée. "Le gouvernement se cachera derrière l’Europe pour légitimer une transformation de la poste afin de l’adapter aux impératifs de la concurrence privée". Mais comme le rappelle Martine Billard, le gouvernement actuel est responsable de l’orientation libérale de la politique européenne, notamment en ayant forcé le passage du "oui" à la constitution par voie camériste.
Comment la gauche peut-elle lutter contre le changement de statut de la poste alors qu’elle a privatisé EDF et France Telecom ?
La question crée le malaise. "C’était une connerie", avoue Hammadi. Mais, pour Jean Chiche, l’UMP reproduit aujourd’hui les erreurs passées du PS. L’argument fut le même sous Jospin : accuser l’Europe de contraindre les pays membres à plus d’homogénéité et de rentabilité, afin de légitimer l’abandon par l’Etat des services publics de l’énergie et des nouveaux moyens de communication. "Nous (les Français) sommes aujourd’hui les meilleurs élèves de la privatisation et de l’ultra libéralisme" lâche Hammadi.
C’est la faute à l’Europe !
Le contre-feux des exigences européennes est tout trouvé pour permettre à la droite, après la gauche, de faire passer, auprès de l’opinion, la privatisation de ses services publics. EDF ouvert à la concurrence en 2000, le capital de France Télécom ouvert aux subventions privées par le même Jospin trois ans plus tôt dans le contexte de la bulle Internet, et aujourd’hui la Poste. A chaque fois, le même argument : c’est l’Europe qui semble contraindre les Etats et supplanter leur autorité. Une autorité que les Français semblent désireux de se réapproprier, le succès de ces votations populaires en étant le meilleur exemple. A l’heure où les irlandais revotent, cette fois-ci positivement, pour le traité de Lisbonne, le lobbying à la française aura-t-il raison du monstre froid de Bruxelles ? Ou plutôt du pouvoir national, qui se cache derrière les institutions européennes, et qui avalisera à l’Assemblée Nationale la réforme de la Poste fin octobre ? A suivre...
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