Les derniers soubresauts du Parti socialiste
Le « Pacte de responsabilité » dont les dispositions sont dans le droit fil du « Pacte de confiance » du Medef et le zèle dont fait preuve le président de la République pour l’instituer ont ouvert un vaste débat sur la nature de la doctrine économique et sociale qui anime le président de la République, son gouvernement ainsi qu’une partie du PS. Venant après l’ouverture du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) déjà financé en partie par une augmentation de la TVA entrée en vigueur au 1er janvier, le « Pacte de responsabilité » frappe par l’ampleur et le caractère profondément antisocial des mesures envisagées pour sa mise en œuvre effective. Devant les choix clairement libéraux portés par le président de la République qui suscitent un profond dépit dans les rangs du PS et au sein de son électorat, de très fortes oppositions émanant aussi bien d’une frange importante de responsables du parti que d’un nombre de plus en plus élevé d’adhérents et de la gauche en général se manifestent ouvertement. Plusieurs syndicats dont principalement la CGT, FO, FSU et Solidaires qui y sont opposés appellent à des manifestations publiques de grande ampleur dans les prochains jours. Au moment où cet article est proposé à la publication, la tournure prise par les premiers accords entre partenaires sociaux (Medef et syndicats favorables au pacte) qui ont vu la CFDT, la CFTC et la CFE-CGE se ranger aux cotés de l’organisme patronal impose de mettre à l’ordre du jour une lutte de longue haleine face aux desseins conjoints du président de la République, de son gouvernement et du Medef.
1. Le pacte de responsabilité : Medef, François Hollande et gouvernement, main dans la main sous le ciel du libéralisme économique : l’adieu au socialisme…
Huit semaines après la conférence de presse du 14 janvier au cours de laquelle le chef de l’Etat a mis au jour le contenu du « pacte de responsabilité [i] » proposé au Medef qu’il avait annoncé quinze jours plus tôt, à l’occasion de ses vœux de nouvel an le 31 décembre, l’heure n’est plus aux décryptages analysant la main ainsi tendue au patronat comme un tournant social démocrate pour les uns, social libéral pour les autres ou carrément libéral pour d’autres encore.
Je me compte au nombre de ces derniers. L’affaire est, on ne peut plus clairement entendue à présent : C’est un renoncement pur et simple au socialisme, l’aboutissement d’une longue errance politique, entamée de longue date et intégralement effectuée à rebours des valeurs historiques et idéologiques du socialisme.
Avec ses vœux de nouvel an et cette conférence de presse, l’ex-premier secrétaire du Parti socialiste devenu président de la République, vient de larguer, en deux temps et trois mouvements, tout ce que ce parti portait encore de socialiste sur ses épaules.
L’annonce de sa démarche qu’il a, fort à propos, lui-même présentée comme une ‘’clarification’’ était empreinte des contorsions politico-idéologiques propres aux dirigeants socialistes que leur reconversion à l’économie de marché et au libéralisme économique a fini par imprimer à toutes leurs interventions publiques.
Ainsi, il n’y a, par exemple, selon le président de la République, aucun reniement de son fameux discours électoral de campagne du Bourget de janvier 2012 qui avait donné de lui, l’illusion de le révéler comme un véritable leader socialiste aux yeux des électeurs et du grand public. Ce discours reste sa référence (sic)
Mais constatons : Dénoncée et fustigée, sous de longues ovations d’une foule immense, comme responsable de la crise en raison de ses abus et excès, la finance internationale, l’adversaire invisible mais omniprésent, est aujourd’hui assurée, par le candidat devenu président, de n’avoir rien à craindre du pacte de responsabilité. Excès et abus ont été, allègrement déplacés du côté de la sécurité sociale. Le monde de la finance et les grands groupes Français et étrangers peuvent se réjouir d’avoir avec eux un président socialiste décidé à les soulager de tout ce qui constitue pour eux des entraves à une exploitation encore plus lucrative du marché du travail.
De même, lorsque le président de la République feint, au cours de cette conférence de presse, d’avoir sous-estimé l’ampleur de la crise qui perdure depuis 2008, son point de vue sur la question était tout autre, en octobre de cette même année, lors d’un débat précisément consacré à ce sujet à l’Assemblée nationale. Dans une intervention qu’il est utile de rappeler, F. Hollande, alors dans l’opposition, critiquait vertement l’incompétence du gouvernement Fillon pour avoir sous-estimé l’ampleur de la crise en n’y voyant qu’une simple crise financière alors qu’il s’agissait, comme il le soulignait à juste titre, d’une crise généralisée et de l’effondrement d’un système économique, celui du libéralisme …Système qui peut, soit dit en passant, compter aujourd’hui et plus que jamais, sur son énergie et son entière disponibilité pour sa réhabilitation et qui mérite, cette raison et les besoins de son pacte de responsabilité, que F. Hollande reprenne, à son compte, six ans plus tard, les insuffisances notoires précédemment dénoncées en 2008.
Avec la mise en place du Conseil stratégique de la dépense publique[ii] dont il préside personnellement les séances hebdomadaires de travail et du Conseil stratégique de l’attractivité[iii] de la France, le président fait, indiscutablement, preuve de célérité et de détermination.
Pierre Gattaz, président du Medef s’est vivement félicité, du moins, dans un premier temps de la démarche présidentielle dont il a dit qu’elle était proche du « pacte de confiance [iv] » signé par plus de 80 fédérations professionnelles et 120 Medef territoriaux que l’organisme patronal avait porté, dès mi-novembre dernier, à la connaissance du président de la République.
… 2. Vers quel point de chute ?
S’il peut paraître prématuré de s’avancer sur ce qu’il adviendra de l’initiative présidentielle, on peut, en revanche, prendre la mesure des difficultés en tout genre qui se dressent de toute part, avant même sa mise en œuvre, malgré les accords qui se construisent entre certains syndicats et le patronat. Considérons-en quelques unes.
La première difficulté est au cœur même du pari économique que sous-tend le pacte du président de la République : Création d’emploi en échange d’un abaissement du coût du travail obtenu par un allègement massif des charges et de la fiscalité des entreprises. Apparues il y a plus de vingt ans afin de favoriser l’embauche, les aides regroupées sous les termes d’exonérations et autres allègements des charges patronales n’ont cessé de se multiplier. Excepté un léger fléchissement depuis 2008, elles ont été en constante augmentation. Si l’on peut évoquer, selon les analystes, une certaine amélioration, toute relative, de l’emploi lorsque ces aides sont ciblées et limitées à des secteurs précis, on ne peut en revanche, soulignent-ils, en dire autant dès lors que l’on se place sur le plan général ou global. A cette échelle qui se trouve être le champ d’application du pacte de responsabilité, leurs effets sur l’emploi s’avèrent inefficaces. Exonérations et résorption du chômage ont donc une longue histoire qui est loin d’être celle que l’on veut faire accréditer.
Au demeurant, l’organisme patronal n’entend nullement se placer dans cette perspective. Les réticences du Medef constamment réitérées de façon intempestive au besoin, à s’engager d’une manière ou d’une autre, sur une quantification quelconque des contreparties attendues en termes de création d’emplois ne laissent planer aucune ambigüité sur cet aspect du pacte.
C’est exactement ce qui ressort des premiers accords entre partenaires sociaux que le président de la République a instamment invités à faire diligence pour donner vie, grâce aux contreparties, à son cheval de bataille pour l’emploi. Le 5 mars, le président du Medef s’est empressé de se réjouir, au grand dam du ministre du travail Michel Sapin, d’avoir conclu des accords avec la CFDT, la CFTC et la CFE-CGE, sans avoir eu à placer les patrons dans une logique juridique contraignante d’engagements chiffrés de création d’emplois. Et d’ajouter « (…) les entreprises décideront de l’usage qu’elles feront des allègements de charges promis dans le cadre du pacte de responsabilité, y compris la distribution des dividendes.[v] » Le risque doit être rémunéré a-t-il bien fait comprendre.
Et comme chacun le sait, en régime libéral l’on ne saurait imposer aux entreprises de recruter, même en échange d’une baisse du coût du travail obtenue par la suppression massive des charges fiscales et cotisations patronales destinées au financement de la protection sociale. N’en déplaise au président Hollande et à son gouvernement ce ‘’succès’’ du Medef se révèlera une source potentielle de tensions entre le patronat et l’exécutif, pour autant que l’on puisse croire en la capacité du président de la République de s’imposer au patronat. Capacité quasi-nulle, sans doute, même si le chef de l’Etat joue ici sa crédibilité politique sur une amélioration notable et durable du marché de l’emploi.
Ensuite, au vu de l’ampleur des économies qui sont à l’étude, pour ‘’financer’’ les exonérations massives réclamées par le patronat et avalisées par le président, il est très peu probable que populations, travailleurs et fonctionnaires assistent, les bras ballants, à la liquidation de leurs droits sociaux et à la destruction des piliers de la République que sont les services publics et les collectivités territoriales en vue d’un mieux-être de l’entreprise. Sur le plan politique et social, le projet suscite un profond dépit auprès d’une frange importante d’adhérents du PS et de son électorat. De très fortes oppositions sont en train de se structurer au sein de ce parti et de la gauche en général. De nombreux responsables et élus du PS, soutenus par un nombre de plus en plus élevé de militants expriment ouvertement leur opposition.
Des syndicats comme la CGT, FO, SUD, Solidaires et FSU qui ont opposé une fin de non recevoir au pacte de responsabilité entendent en faire publiquement et massivement la démonstration le 18 mars prochain. Il est heureux de constater que malgré le silence entretenu par les médias sur cette journée, celle-ci se prépare activement et mobilise, dans l’unité, contre le pacte, de très nombreuses unions départementales et fédérations syndicales à travers le pays.
C’est peu dire que le pacte de responsabilité présenté devant un aréopage de journalistes venus de toute la France et du mondial entier ouvre une période de très fortes turbulences et d’incertitudes profondes autour d’un pari économique qui, rien qu’à la lecture des grands titres de la presse paraît aussi aléatoire qu’illusoire.
3. Le pacte de responsabilité : Quel avenir pour le Parti socialiste ?
Le pacte de responsabilité peine à trouver ses marques dans un contexte marqué par l’impopularité record de son promoteur, la multiplication des plans sociaux et dépôts de bilan qui alimentent quotidiennement une courbe du chômage qui reste inflexible, malgré les changements de définition qui lui sont appliqués au gré des circonstances.
Ce ne sont pas les efforts tendus que déploient, partout et en toutes occasions, les membres du gouvernement et les responsables du PS qui vont restaurer la crédibilité politique déjà perdue du président et du gouvernement, ni convaincre de la pertinence du pacte de responsabilité pour combattre le chômage, l’aggravation des inégalités sociales, l’appauvrissement des classes moyennes et endiguer l’abstention massive et inéluctable attendues aux élections municipales des 23 et 30 mars prochains.
Harlem Désir n’hésite pas, au besoin, à tronquer scandaleusement l’histoire à cette fin. C’est le lieu de dénoncer fermement l’imposture caractérisée dont il se rend coupable en décrivant ce pacte comme « (…) le plus grand compromis social conclu en France depuis le programme du Conseil national de la Résistance au lendemain de la seconde guerre mondiale[vi] »
Avec le démantèlement programmé de la sécurité sociale et de pans entiers des services publics au profit des grands groupes privés nationaux et étrangers, les objectifs du pacte de responsabilité sont aux antipodes du vaste programme de reconstruction de la France dont le CNR a été à l’origine avec la création, entre autres, de la sécurité sociale, des grands services publics et la nationalisation d’un grand nombre de secteurs économiques stratégiques.
La mondialisation du libéralisme a toujours pesé sur les convictions idéologiques et politiques de la social-démocratie en général et des socialistes contemporains en particulier. Pour tous ceux qui ont été peu ou prou attentifs aux idées dans lesquelles baigne le PS depuis une dizaine d’années, l’initiative du président Hollande n’est pas une surprise. Elle n’en est pas moins malheureuse et consternante. Son élection en 2012 mettait fin à une période cauchemardesque, longue de près d’une vingtaine d’années, ponctuée de déboires électoraux répétés qui ont plongé le PS dans un profond état de délabrement. Les refondations, rénovations et autres exercices récurrents d’introspection qui ont jalonné l’histoire récente du PS n’ont paradoxalement, jamais réussi à le sortir de ses errances idéologiques. Bien au contraire…
L’un des documents les plus édifiants sur cette regrettable situation est intitulé « Pour une économie de marché écologique et sociale[vii] » Il a été produit et adopté au cours de la refondation de décembre 2007. Dans ce document largement consacré au positionnement des socialistes face au capitalisme, on peut y lire que les socialistes (dont le gouvernement Jospin en France) et sociaux-démocrates européens, qui ont agi dans le cadre de l’économie de marché, ont obtenu de meilleurs résultats que les gouvernements libéraux ou conservateurs en matière de croissance, de création d’emploi et de réduction des déficits. Autrement dit, la gauche européenne, donc ceux-là mêmes dont l’idéologie et la politique initiales étaient de forger une alternative socialiste à l’économie de marché, se sont révélés, à l’exercice du pouvoir, et presque partout, de bien meilleurs champions du libéralisme économique que les gouvernements de droite.
Certains responsables[viii] n’hésitaient plus à se demander pourquoi continuer, dans ces conditions, de se dire socialistes : « (…) L’idée socialiste est en partie morte » (…) « Le vieux socialisme (…) est épuisé » Le sigle du parti n’est plus d’actualité : ‘’socialiste’’ est « un mot qu’il faut dépasser (…) » D’autres[ix], avaient déjà tout simplement proposé, bien avant, de « (…) dresser l’acte de décès du socialisme traditionnel »
Le drame des socialistes contemporains, en cette époque du libéralisme mondial triomphant, est de considérer que l’entreprise dont ils font curieusement un complexe pour ne pas en paraître des adversaires ne peut se concevoir, prospérer et créer des richesses que dans le cadre d’un statut ou régime privé. Les dirigeants socialistes, sortis pour la plupart des grandes écoles ne l’ignorent pourtant pas : L’histoire économique contemporaine de la France montre que l’entreprise publique peut égaler en performance l’entreprise privée. Entreprise et socialisme ne font pas antinomie.
Venant d’une personnalité de la stature de François Hollande issu du sérail socialiste, le pacte de responsabilité révèle au grand jour le degré de décomposition idéologique interne du PS. Cette initiative ne sera pas sans conséquences. Le président F. Hollande pourrait bien avoir mis ce parti dans une situation dont il ne se relèvera pas.
Jean-Marie TOKO, Sociologue-démographe, Paris, 13 mars 2014.
[i] La politique directrice du Pacte de responsabilité dont l’objectif est d’améliorer la compétitivité des entreprises en réduisant le coût du travail, consiste en un allègement considérable voire la suppression des charges fiscales et cotisations sociales des entreprises à hauteur de plus de 35 milliards d’euros. C’est par des réductions drastiques des dépenses publiques de l’ordre de 50 à 100 milliards d’euros que seront ‘’financées’’ les exonérations annoncées, en échange de « contreparties » en termes de création d’emplois et d’embauche auxquelles devront consentir les entreprises.
[ii] Le Conseil stratégique de la dépense publique est composé du 1er ministre, des ministres de l’économie, du budget, du travail, des affaires sociales et de la réforme de l’Etat. Il a pour tâche de trouver d’où dégager les 50 à 100 milliards d’euros de réduction des dépenses publiques.
[iii] Réunions semestrielles instituées et présidées par le président de la République qui ont pour vocation de convaincre les grands groupes Français et surtout internationaux d’investir en France.
[iv] Lire l’interview accordée au quotidien Le Monde par Pierre Gattaz, président du Medef. On se rend compte que le « Pacte de confiance » antérieur au « Pacte de responsabilité » a très fortement inspiré ce dernier.
[v] Conférence de presse organisée par le mouvement d’entrepreneurs Ethic le 6 mars.
[vi] Voir L’hebdo des socialistes, n° 725, du 1er au 8 mars 2014.
[vii] Document apprêté et présenté par Harlem Désir, alors député européen : Rapport final de la commission « Les socialistes et le marché » Quel modèle de croissance et de redistribution juste et durable aujourd’hui ? Forum de la rénovation, Cité des sciences et de l’industrie de la Villette, 15 décembre 2007.
[viii] Manuel Valls, alors député maire d’Evry (Essonne) dans une série de déclarations et d’interviews à la presse écrite et audio-visuelle en 2008 : Le Point du 24 avril, Le Figaro du 28 avril, BFM-TV du 4 mai.
[ix] Gaëtan Gorce, lors d’une ‘’Journée-débat’’ organisée avec Manuel Valls en novembre 2007 sur le thème de « La modernisation du clivage droite gauche, (Libération daté du 12 novembre 2007)
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