Les éleveurs dans le piège à loup
Le retour du loup sonne la fin de l’élevage à l’herbe, même si les syndicats de la profession refusent cette éventualité. Le gouvernement et la plupart des politiques, à l’exception notable de quelques uns, ignorent le désastre annoncé. Dans ce théâtre d’ombres, les derniers évènements jettent une lumière crue sur les mensonges et les faux-semblants.
Partons de la dernière réunion du Groupe national loup (GNL) qui s’est tenue le 7 mai 2014 dans les locaux de la DRAAF (Direction régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la forêt) à Lyon. « Les débats se sont déroulés de façon cordiale » s’est félicitée Dominique Gentier, chargée de communication de la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) Rhône-Alpes et du Plan loup. Ludovic Rouvière, représentant les Jeunes Agriculteurs, l’a plutôt vue comme « une grand messe », constatant comme tous ses collègues l’entêtement du gouvernement à poursuivre la même politique. Les seuls remous ont surgi lorsque la DRAAF a évoqué les « aides à la reconversion » dans les zones de grande prédation du loup.
Franck Dieny, de la Fédération nationale ovine (FNO) s’en étranglait au téléphone : « pour nous, c’est inimaginable. Ces mots ne seront pas retenus dans le compte-rendu ». Le tollé des éleveurs n’a pas manqué d’étonner les fonctionnaires puisqu’ils avaient déjà « utilisé ces termes lors du groupe de travail du 15 janvier dans la liste des actions proposées » se rappelle Dominique Gentier. Pour ne pas froisser la profession, un nouveau dispositif d’amélioration pastorale sera proposé dans le cadre de la nouvelle politique agricole commune (PAC), lors du groupe de travail sur le loup prévu le 18 juin. Sans évoquer d’aides à la reconversion.
Occulter la réalité
Tout se passe comme s’il fallait apaiser les conflits en multipliant les réunions. Sur le fond, rien n’est réglé. Avec beaucoup d’amertume, Yves Derbez, président d’Éleveurs et Montagnes, évoquait à la sortie de la réunion la gestion catastrophique du loup en France dont le nombre de spécimens augmente « de manière exponentielle (…) Pendant ce temps, la profession continue à s’enfoncer de manière catastrophique et pour bon nombre d’éleveurs, notamment dans les Alpes-Maritimes, la situation est irréversible ». Pour régler les problèmes, « il faudrait déjà ne pas occulter la réalité » explique Valérie Aubert, fille d’un éleveur de brebis dans les Alpes-Maritimes. L’espèce, qui s’est répandue sur de nombreux départements et régions, y compris en plaine à une centaine de kilomètres de Paris, est évaluée par l’ONCFS entre 236 et 339 individus (1). Dommage que cette évaluation officielle n’ait pas été contestée lors de la réunion du groupe loup, car les éleveurs connaissent parfaitement le terrain et savent compter.
Mé-comptes des experts
Pour expliquer qu’il y ait eu un peu plus de 6 000 brebis tuées par le loup en 2013, des éleveurs fondent leur calcul sur le régime alimentaire du prédateur : 2 kilos de viande par jour x 365 jours dans l’année, cela fait 730 loups dans l’hexagone. Mais le constat des éleveurs est balayé d’un revers de manche par les ministères de l’Agriculture et de l’Écologie, qui ne voient aucune « corrélation » entre le nombre de victimes et le nombre de loups, d’autant que le régime alimentaire du loup ne se limite pas aux brebis. Certes, les loups peuvent s’offrir quelques sangliers, chamois et autres gibiers. Mais on ne revient pas sur une « méthode de comptage actée par le Plan national loup en 2013 » affirme Patrick Falcone, conseiller du ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll.
Pour justifier leur politique, l’État et le gouvernement s’appuient sur une « estimation » fondée sur des calculs de probabilité et quatre ou cinq paramètres, une méthode approuvée en 2012 par l’ « expert international » Olof Liberg. Or, cet universitaire suédois coordonne le projet de recherche SKANDULV sur les loups depuis janvier 2000 tout en étant membre du groupe de l’UICN (Union internationale de conservation de la nature) spécialisé sur les loups. Ce n’est pas anodin : l’UICN est connue pour son idéologie « conservationniste » de la nature. Elle a inclus dans ses groupes spécialistes le lobby LCIE (Large Carnivore Initiative for Europe)qui prône l’ensauvagement des territoires (wilderness ) et fait le siège de la Direction générale de l’Environnement à Bruxelles pour préparer en coulisses les directives européennes sur le loup et autres prédateurs. Ainsi le gouvernement se range d’emblée du côté de l’écologie conservationniste qui sacrifie les éleveurs au profit du loup. Pour faire taire toute contestation, il s’entoure d’experts acquis à la cause conservationniste, et prétendument « supérieurs » au savoir des éleveurs. Ainsi, dès le départ, les faits sont faussés, les dès sont jetés, la controverse est muselée.
Inutilité des protections
On comprend qu’aucun des points soulevés le 7 mai n’ait trouvé de solution. Ainsi, les aides versées aux éleveurs pour favoriser la cohabitation avec le loup sont attribuées selon les normes imposées par les écologistes : présence du berger, de chiens de protection (patous), de parcs et de clôtures de protection. Les éleveurs savaient qu’elles ne serviraient à rien, mais ils n’ont pas été écoutés . Aujourd’hui, plus personne ne peut le nier. « En 2013, la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) des Alpes-Maritimes a reconnu que la totalité des troupeaux attaqués avaient été protégés selon les consignes imposées. Dans lesAlpes-de-Haute-Provence, le chiffre se monte à 87% des troupeaux attaqués » explique Nadia Gaydon, secrétaire de l’association Éleveurs et Montagnes (3).
Préparant la nouvelle PAC, les propositions de l’État ont été dévoilées le 7 mai dernier. Les conditions d’attribution des aides vont-elles changer ? « L’aide aux éleveurs passera par un accompagnement technique, un meilleur conseil et un soutien accru (…) Il faut évaluer la meilleure protection et savoir associer clôture, parcs, chiens de protection, gardiennage » répond Dominique Gentier. Entre les investissements que nécessitent ces obligations et l’indemnisation des dégâts causés par les loups, l’État a dépensé 10 à 11 millions € en 2013. De quoi faire bondir les éleveurs. « Nous demandons que les dégâts causés par les loups et les investissements que doivent faire les éleveurs pour s’en protéger soient financés par le ministère de l’Écologie et non par celui de l’Agriculture. Car ces crédits sont dégrevés des aides qui devraient être attribués aux éleveurs » revendique Nadia Gaydon.
L’incompétence au pouvoir
Quant à l’augmentation de la prime à l’herbe prévue par le ministère, la secrétaire d’Éleveurs et Montagnes se demande comment les éleveurs vont pouvoir en bénéficier. « On exige de mettre peu d’animaux sur une grande surface, mais comment faire avec le loup ? » Qui plus est, cette exigence contredit les conditions édictées par les écologistes et l’État de rassembler les bêtes pour les protéger par une clôture, de les parquer la nuit… « L’État est conseillé par les associations écologistes Ferus et Aspas et FNE (France Nature Environnement), même si Ferus et ASPAS ont claqué la porte du GNL lorsqu’il a décidé la destruction de quelques loups. Elles prétendent tout savoir et nous imposent des mesures inutiles. En fait, elles ne connaissent strictement rien à l’élevage » conclut Nadia. Les mesures imposées aux éleveurs par les écologistes et le gouvernement ne se contentent pas d’être inefficaces. Elles portent aussi atteinte à l’environnement. « Chez nous, si les montagnes ne sont pas mangées, les incendies sont assurés » prévient–elle. En outre, les bêtes rassemblées derrière les clôtures sur-pâturent les enclos et le piétinement favorise ainsi l’érosion de la couche végétale dans ce milieu méditerranéen fragile. « À chaque orage, les vallons descendent dans la mer à Saint-Laurent du Var ».
Reste à réguler l’espèce, ou à se défendre tout simplement. « On n’est pas au Farwest, les tirs sur les loups sont réglementés » prévient le conseiller de Stéphane Le Foll, Patrick Falcone. Les éleveurs titulaires du permis de chasse peuvent faire des tirs d’effarouchement, des tirs de défense (en direction du loup, avec un fusil à canon lisse lorsqu’il y a peu d’attaques sur le troupeau, à canon rayé lorsque les attaques sont récurrentes) et appeler à l’aide les chasseurs ou lieutenants de louveterie. Les tirs de prélèvement sont ordonnés par le préfet. Or, les associations ont réussi à faire suspendre les arrêtés en 2013. Que faire ? « Il faut changer l’arrêté ministériel de 2013 sur les tirs de prélèvement, ce que les associations refusent » avertit Patrick Falcone. Ainsi elles pourront continuer à faire annuler les arrêtés préfectoraux. Pour éviter les vices de forme, l’État va donc préciser ce fameux arrêté ministériel par trois arrêtés : l’un portant sur le niveau des prélèvements, l’autre sur les zones de présence du loup (tous deux sont actuellement soumis à la consultation du public), le troisième sur les méthodes de prélèvement (il devrait être bientôt soumis à consultation). Reste que cette sécurisation juridique arrive bien tard. Dans l’immédiat, Patrick Falcone ne voit pas d’autre issue qu’une amélioration du droit national…
Verrouillage européen
Rappelons que le droit européen s’impose lorsque les règlements sont ratifiés par les parlements. C’est notamment le cas de la directive Habitats qui porte sur la conservation de la flore et de la faune sauvage. Peut-on assouplir cette directive ? Joe Hennon, porte-parole du Commissaire européen à l’environnement, Janez Potocnik, répond que « l’article 16 de la directive Habitats (92/43/EEC1) offre suffisamment de flexibilité aux États membres pour déroger à la stricte protection du loup afin de prévenir les dommages, sachant que cette dérogation ne peut porter entre atteinte au statut et à la conservation de l’espèce protégée ». Bref, débrouillez-vous avec l’espèce du moment qu’elle reste protégée. C’est le point de vue de l’écologie conservationniste relayée auprès du commissaire européen à l’environnement par le lobby LCIE (4) qui vient de s’associer avec Wilderness Europe . Il est particulièrement actif au sein du groupe de travail portant sur la conservation des Grands Carnivores au sein de la Commission. Son action tombe à point : l’article 17 de la directive Habitats et l’article 12 de la directive Oiseaux impose d’évaluer leur impact pour éventuellement les ajuster. Le lifting de ces directives, appelé « Fitness Check », commence par leur évaluation jusqu’à l’automne prochain et une consultation publique par internet à la fin de l’année. D’autres consultations publiques sur le contenu des directives sont en cours actuellement jusqu’au 7 juillet.
Pour sauver des apparences de démocratie, le processus juridique de la Commission a l’habitude d’engager des dialogues en organisant le lobby à consulter (l’initiative), qu’il confronte ensuite avec les « parties prenantes » lors d’ateliers, lesquelles devront ensuite s’intégrer dans une Plate-forme pour suivre le processus jusqu’au bout. Or, cette Plate-forme verrouille les débats en interdisant toute remise en cause de la protection du loup et autres grands carnivores. Les débats contradictoires ne sont pas de mise, le lobby et la commission les canalisent. Le lifting de la directive Habitats a donc toutes les chances de durcir les mesures conservationnistes. Avec la caution des « parties prenantes » qui auront signé la Plate-Forme. La FACE (Fédération des associaitons de chasseurs en Europe) a déjà annoncé qu’elle signerait cette plate-forme le 10 juin au côté au côté de WWF, de LCIE, du CIC (conseil international de la chasse et de la conservation du gibier), d’EUROPARCS, d’ELO (propriétaires fonciers), de COPA-COGECA, de l’UICN. Rien d’étonnant à cela, puisque la FACE est affiliée à l’UICN depuis 1987. En langage diplomatique, Patrick Falcone prévenait que le changement de la directive Habitats serait « mission trop difficile pour répondre à l’urgence de la situation ».
Quant à la Convention de Berne (5), les Suisses l’appliquent intégralement et n’hésitent pas à faire des « prélèvements » de loup, d’ours ou autre prédateurs si la situation l’exige. La balle revient dans le camp du gouvernement qui refuse, jusqu’à présent, de trancher politiquement. Le courage politique ne se déclenchera pas sans une forte mobilisation des éleveurs et de la population. Car toute cette construction juridique et politique autour des grands prédateurs est artificielle. Elle repose sur des fantasmes, sur le déni de la nature et de l’homme. Le loup est un prédateur qui ne s’éduque pas. Et malgré les élucubrations de quelques conservationnistes, les éleveurs ne jouissent pas d’une mauvaise image dans l’opinion. Les paysages de France ne sont pas les grands espaces de l’Amérique. Leur maintien nous concerne tous. La pression des éleveurs s’exercera autrement que dans les couloirs de la Commission européenne ou les anti-chambres des ministères.
NOTES
(1)– Le nombre de loups est estimé par l’ONCFS et le Centre national d’études et de recherches appliquées sur les animaux prédateurs et dé-prédateurs de Giers (Isère)
(2)- Les chiens « Patou », imposés par les écologistes et par l’État pour garder les troupeaux, ont démontré qu’ils ne pouvaient affronter le loup. Qu’importe, l’idée a germé de les remplacer par des catahoolas, des chiens agressifs, originaires de Louisiane, que l’association Ferus s’apprêterait à importer pour les vendre aux éleveurs. Une manne financière toute prête pour les associations de défense des loups. Il suffit que l’État l’impose dans les consignes d’attribution des aides aux éleveurs. Cette affaire a été dévoilée fortuitement à Yves Derbez (Éleveurs et Montagnes) par un réseau américain qui a mené l’enquête.
(3) – Éleveurs et Montagnes est une association indépendante des organisations agricoles, financée par les cotisations des adhérents et soutenue par les départements des Alpes-de-Haute-Provence et des Alpes-Maritimes.
(4) - Viison du lobby LCIE sur la "cohabitation" des hommes et des grands prédateurs en Europe. Cf le rapport de Luigi Boitani au Conseil de l'Europe en fichier joint.
http://www.lcie.org/AboutLCIE/Vision.aspx
(5) - Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe. Berne 19 septembre 1979
Article 9
- A condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas à la survie de la population concernée, chaque Partie contractante peut déroger aux dispositions des articles 4, 5, 6, 7 et à l'interdiction de l'utilisation des moyens visés à l'article 8 :
- dans l'intérêt de la protection de la flore et de la faune ;
- pour prévenir des dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et aux autres formes de propriété ;
- dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques, de la sécurité aérienne, ou d'autres intérêts publics prioritaires ;
- à des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement, de réintroduction ainsi que pour l'élevage ;
- pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, sur une base sélective et dans une certaine mesure, la prise, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains animaux et plantes sauvages en petites quantités.
- Les Parties contractantes soumettent au Comité permanent un rapport biennal sur les dérogations faites en vertu du paragraphe précédent. Ces rapports devront mentionner :
- les populations qui font l'objet ou ont fait l'objet des dérogations et, si possible, le nombre des spécimens impliqués ;
- les moyens de mise à mort ou de capture autorisés ;
- les conditions de risque, les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles ces dérogations sont intervenues ;
- l'autorité habilitée à déclarer que ces conditions ont été réalisées, et habilitée à prendre les décisions relatives aux moyens qui peuvent être mis en œuvre, à leurs limites, et aux personnes chargées de l'exécution ;
- les contrôles opérés.
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