Quels sentiments éprouveraient les Français de Métropole si le gouvernement, la haute fonction publique, une grande partie de la propriété et de la direction des entreprises étaient aux mains des singes ? Il existerait bien une représentation politique des Français, des députés, des maires, des conseillers généraux, etc., mais pour toutes les décisions importantes, celles mettant en jeu de l’argent public, il faudrait d’abord tendre la main vers les singes. Même si ces derniers se montraient, dans l’ensemble, bienveillants, même si les Français étaient conscients du fait que le gouvernement des singes leur garantit un niveau de vie plus élevé que s’ils étaient livrés à eux-mêmes, il n’est pas difficile d’imaginer que nos Français ne seraient pas vraiment satisfaits de leur sort, et qu’ils souhaiteraient en changer, ou plutôt qu’il seraient en permanence déchirés entre une légitime aspiration à l’indépendance et un non moins légitime souci de ne pas perdre la prospérité apportée par les singes.
Pour improbable qu’il paraisse, un scénario du même genre se déroule en Guadeloupe et en Martinique. La situation de ces îles – comme de l’outre-mer français en général – est caractérisée par ce que certains ont appelé la surconsommation, un régime économique original qui permet de consommer bien plus qu’on ne produit, grâce aux subventions et avantages de toute sorte en provenance de la Métropole (suivant d’innombrables mécanismes, le plus souvent opaques, si bien qu’il est impossible de savoir exactement combien la France paye pour conserver les « confettis de l’empire »). La population adopte des comportements ostentatoires, attachant une grande importance aux fétiches de la réussite, comme le démontre par exemple l’état du parc automobile. On a pu dire également que la légitimité de la France outre-mer n’était qu’alimentaire. Il est alors inévitable que toute menace sur le niveau de vie se traduise par des réactions violentes.
Dans des « pays » – tel est le mot en usage dans nos îles – où les autorités locales (maires, conseils généraux, régionaux) sont à-demi fantoches, puisqu’elles ne tirent pas l’essentiel de leurs ressources du pays lui-même, mais des subventions venues d’ailleurs, le mécontentement des populations se tourne immédiatement vers le gouvernement français, sommé d’apporter la solution, autant que possible en espèces sonnantes et trébuchantes. Et c’est généralement ainsi que les conflits se terminent, par quelques cadeaux supplémentaires.
Chaque département, chaque territoire d’outre-mer est spécifique. Néanmoins la Guadeloupe et la Martinique ont un trait commun : la grande majorité de la population y est constituée de descendants d’esclaves d’origine africaine. Bien que le métissage soit visible partout, la population est très majoritairement noire et se revendique comme telle. Tandis que les Métropolitains aux commandes dans la haute administration, comme les « békés » (blancs créoles) qui continuent à contrôler une part non négligeable de l’économie de l’île, sont blancs. Or une telle situation n’existe plus – Dieu merci – nulle part ailleurs, depuis que le dernier bastion est tombé en Afrique du Sud. Pas étonnant que les Guadeloupéens et les Martiniquais aient tendance à se sentir exilés sur la planète des singes !
Dans ces conditions, il n’y a pas trente-six chemins possibles pour revenir sur terre. Il n’y en a qu’un : l’indépendance. Le problème, c’est que les Antillais la désirent sans la vouloir. Ils regardent autour d’eux, les îles voisines qui doivent se débrouiller par elles-mêmes, et ils sont frappés par la différence des niveaux de vie. Ils sont donc convaincus que l’indépendance signifierait une régression, sur ce plan là, qu’ils refusent. Pourtant, deux Etats insulaires de la Caraïbe (Bahamas et Barbade) ont un revenu par tête[i] du même ordre de grandeur que celui des Antilles françaises : la voie de l’indépendance n’est donc pas aussi « économiquement absurde » qu’il y paraît.
Mais alors, un deuxième obstacle surgit. Si les Antillais n’ont évidemment aucune envie d’être gouvernés par des singes blancs, ils ne manifestent pas aujourd’hui envers leurs propres responsables politiques une confiance suffisante pour vouloir leur confier les rênes de leurs pays. On en a eu une nouvelle preuve à la fin de l’année 2003. Un référendum a été organisé pour décider d’une évolution du statut des deux départements : fusion des assemblées régionale et départementale[ii] en vue de rationaliser les décisions et, dans un deuxième temps, de déboucher sur une autonomie renforcée. C’est le deuxième point qui a provoqué le rejet de la réforme par la population antillaise. Comme l’a montré une enquête réalisée à ce moment-là, elle ne voulait pas de cette autonomie aux contours imprécis, à la fois parce qu’elle y voyait un risque de « lâchage », à terme, de la part de la Métropole, et parce qu’elle était loin d’être persuadée que ses élites politiques étaient mues avant tout par le souci de l’intérêt général.
Rêvons un peu. Mettons-nous à la place des grands singes parisiens. Comment devraient-ils se comporter s’ils voulaient vraiment apporter le bonheur à leurs lointains sujets des Antilles ? D’abord reconnaître publiquement que la seule solution raisonnable, à l’heure actuelle, conforme tant à l’histoire qu’au bon sens, est l’indépendance. Et, aussitôt après, mettre tout en œuvre pour accompagner ces deux îles vers leur destin. Paradoxalement, cela supposerait, pour commencer, de traiter les Antillais comme des citoyens français à part entière, et non comme des enfants gâtés. Qu’ils aient droit à la même sollicitude que les autres Français, ni plus ni moins. Plus de subventions aussitôt gaspillées que reçues, plus de cadeaux fiscaux, plus de sur-rémunération des fonctionnaires, plus de complaisance de la part des préfets envers les pratiques d’un autre âge de nombre de politiciens locaux. Cette moralisation de la vie politique paraît en effet indispensable si l’on veut que les Antillais prennent en charge leur destin dans des conditions satisfaisantes.
Quid des handicaps dus à l’insularité, à la petite taille ? La France ne doit-elle pas s’en préoccuper ? Si, bien sûr : l’égalité entre les citoyens n’exclut pas toute forme de discrimination positive. Mais il faut toujours veiller à ce que celle-ci ne se transforme en un privilège inacceptable. Rien ne peut justifier par exemple que pour le même travail, au même échelon indiciaire, un fonctionnaire en poste outre-mer gagne davantage et paye moins d’impôt qu’un fonctionnaire parisien[iii]. Le scandale n’existe d’ailleurs pas seulement par rapport au fonctionnaire parisien mais tout autant par rapport au salarié du secteur privé qui ne bénéficie pas, en général, d’une telle sur-rémunération.
Le chômage est un mal endémique aux Antilles françaises, plus du double de la Métropole. Il serait trop long d’en analyser ici les causes. Le fait est que les politiques suivies jusqu’ici pour y porter remède ont échoué. Le transfert massif de pouvoir d’achat s’est traduit par un déficit commercial non moins massif et la « défiscalisation » des investissements n’a pas suffi à créer une industrie compétitive. N’est-il pas temps d’essayer autre chose, de regarder ce que font les îles voisines indépendantes, qui atteignent un niveau de vie à peu près équivalent à celui des départements français des Antilles, avec un taux de chômage deux fois moindre, tout en préservant, bon an mal an, l’équilibre de leurs comptes extérieurs ?
[i] Après correction des chiffres bruts en dollars, pour tenir compte des écarts entre les coûts de la vie.
[ii] A l’heure actuelle, les DOM sont tous des « régions monodépartementales ».
[iii] Si le coût de la vie s’avérait significativement plus élevé aux Antilles qu’à Paris, il serait juste d’instaurer une prime de vie chère, forfaitaire et non proportionnelle au traitement, puisque les titulaires de traitements moyens et élevés consacrent à l’épargne une part qui croît avec leur revenu.
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Michel, votre "métaphore" n’est pas tout à fait innocente et fleure légèrement le racisme, anti-blanc en l’espèce... Et ne me dites pas que vous êtes blanc, parce que l’on peut se haïr soi-même, dans notre pays de grands malades névrotiques.
Est-ce que cela vous pose problème que des Antillais occupent des postes de responsabilité en métropole ? Moi, non. Vous allez me dire que la proportion n’est pas la même et que les Antillais n’exercent pas le même degré de contrôle en métropole que les Blancs aux Antilles. Mais la question est pourtant bien là : UGTG et autres boutefeux demandent en fait la mise en oeuvre d’une préférence non pas nationale puisqu’il n’y a pas de nation guadeloupéenne, mais raciale et territoriale. C’est mal en métropole et ce serait bien aux Antilles ?
J’aime bien votre phrase : " Le chômage est un mal endémique aux Antilles françaises, plus du double de la Métropole. Il serait trop long d’en analyser ici les causes ".
À la Réunion on n’appelle cela : " Les allocations braguettes ".
Voir la différence avec les îles voisines, c’est vite fait ! Comme elles n’ont pas les moyens de distribuer des allocations, les gens travaillent…. !
Ce matin j’ai entendu sur France Info, un pseudo-journaliste qui se prenait pour un " dieu ", déclarer : " L’esclavagisme et le colonialisme sont des crimes imprescriptibles ! ", en définitive Dieu et lui, c’est la même chose, puisque Dieu nous a condamnés à mort dans le temps, pour avoir goûté à l’arbre de la connaissance… !
Avec lui ! Et bien que n’étant pas les seuls (pratiquement tous les pays au monde ont pratiqué l’esclavage et le colonialisme !), nous serions les seuls au monde à devoir assurer à nos ex-victimes une rente à vie ? ! Nos enfants prendront la suite… !
Encore une fois, regardons les solutions apportees par nos voisins europeens : à la sortie de la guerre, lorsque la departementalisation des antilles francaises a ete proclamee, l’angleterre et les pays bas geraient leurs iles caraibes comme des colonies. Depuis cette epoque, tout en maintenant une certaine assistance, chaque ile s’est vue dotée de plus en plus d’autonomie jusqu’à une complete independance pour certaines. Il est sur que Mme Thatcher a precipité un peu le mouvement lorsqu’elle s’est apercue que les fonds envoyés pour reparer les domages du dernier cyclone etaient reinvestis dans la city !
J’ai eu la chance de naviguer en voilier entre toutes ces iles : St vincent, ste lucie , la martinique, la dominique, la guadeloupe, Antigua, .. C’est un même territoire, chaque ile est distante de l’autre d’une dizaine de kms, ce sont les mêmes peuples, le même paradis tropical. Neanmoins, à l’arrivée dans chaque ile, il faut faire la "clearance" : faire viser les papiers du bateau par la douane locale et payer une taxe. en faisant la reflexion au douanier martiniquais de l’interet d’un marche commun antillais, il me repond : "mais ici, c’est l’europe et "eux" ( les ex iles britaniques) sont des sous developpés". Je suis désolé, mais pour moi, la turquie est plus en europe que ces poussieres d’empire et il de tenir à bout de bras cette illusion de prosperité est vouée à l’echec.
Une indépendance à la Thatcher precipiterait ces iles dans une misère la haitienne. La meilleure voie est plutot d’imiter les pays bas et la grande bretagne : de plus en plus d’autonomie en repartissant d’une maniere plus homogéne l’assistance de la metropole.
En France métropolitaine, les classes dominantes sont blanches, riches, éduquées. Elles se reproduisent au moyen de stratégies sophistiquées (rallyes de jeunes - héritages), se protègent contre la concurence des classes laborieuses (ségrégation géographique - Classes préparatoires - Grandes écoles coüteuses), rejettent le modèle républicain de la promotion au mérite (Cooptation - piston - parrainage).
Bref, ici aussi existe une classe arogante protégées par des relais politiques issus de ses rangs et financés par elle.
Mais nous gardons notre dignité et nous ne comparerons pas nos ennemis de classe à des singes (pôv bêtes qui n’ont pas mérité cela). Ils nous exploitent, nous volent, nous appauvrissent, nous manipulent, mais ils restent nos égaux, et peu importe si certains d’entre eux pensent le contraire.
Vous avez les mêmes aux antilles, comme à la Réunion et ailleurs dans le monde. Ils ne sont pas d’une essence différente de la votre. Les désigner d’une nature différentes, c’est nier l’égalité entre les hommes quelque soit leur origine.
Quand au fond de l’article, l’indépendance, faisons un référendum national et nous verrons bien.
PS : Si la défiscalisation n’a pas apporté les fruits escomptés, a qui profite-t-elle donc ? Je ne sais si le résultat n’est ou non à la hauteur sur place, mais je peux garantir que les retours sur les investissement en auront en tous cas enrichi plus d’un...
En même temps que supposée porteuse de bons "investissements", n’a-t-elle pas en fait contribué à "dédouaner" l’état de ses responsablités ?
tout à fait d’accord, que ces gens prennent leur indépendance et sortent enfin de cet infantilisme bien français, mais qui se révèle toxique dans ce cas précis^ : pourquoi ne pas essayer enfin de se débrouiler tous seuls, comme des grands, au lieu de tout le temps mendier des dommages et intérêts pour un racisme et un esclavage vieux de trois siècles ?
j’ai souvent travaillé avec des antillais, et je les aime bien, mais quels cossards !
moi qui n’ai jamais de près ou de loin exploité aucun antillais , qui suis alsacien,moi-même exploité, spolié, je serais très heureux que ces antillais prennent enfin leur destin en main.
et j’aurais enfin le plaisir de ne plus voir sur les les billets de 10 euros( ceux que j’ai le plus souvent en mains) une Union Européenne totalment ridicule : les pays de l’Union, plus les confettis français : les Antilles, la Réunion, Mayotte, etc....
Réunnionais (puisque je réside dans l’île depuis 4 ans), Métro d’origine, donc Z’OREIL pour les Créoles, je connais aussi un peu les Antilles.
Dans l’article, vous maniez de bonne vision, mais aussi beaucoup de lieux communs.
Sur les fonctionnaires, par exemple, il est de bon ton, d’estimer que leurs surrémunérations créent la chereté de la vie... d’où ce sentiment d’injustice des populations non fonctionnaires. Mais leur nombre est si faible que l’argument ne tient pas. Ce qui est vrai, c’est que cet avantage les désigne à la vindicte populaire avec une orchestration de certains politiques. A la Réunion, les possédants sont blancs certes, mais également dans une très large proportion d’origine chinoise, indienne, arabe. Quelle différence avec les Antilles pour les prix, la préférence aux métros plutôt qu’aux locaux, au chomage ? AUCUNE. On retrouve les mêmes caractéristiques dans ce DOM.
Ce qui est vrai, c’est que la défiscalisation, si elle a apporté du travail (construction), n’a pas apporté de richesse pour tous. L’Etat a fait profité des riches et le logement social n’a pas augmenté. Donc se loger est cher, ce qui accroit encore cette cassure entre riches et pauvres.
Ce qui est vrai, c’est l’existence dans un département region, de deux assemblées aux compétences peu lisibles, mais qui coute cher. Il faut bien faire plaisir aux élus nombreux.
Ce qui est vrai, c’est qu’il n’y a pas d’industrie lourde et structurante. A part les services et le tourisme, rien.
Quant à l’indépendance, elle est illusoire. Les îles voisines ou les pays africains voisins ne feraient qu’une bouchée du peu d’avantages (plus de défis, plus de subventions, plus d’aides) pour un coût moindre. Le peu d’industrie serait délocalisé, les services aussi et la Réunion s’enfoncerait dans un état proche de celui de Madagascar ou des Comores.
Bonjour,
Dans la foule des commentaires, le mien vous indifférera. Cependant, je me fais un devoir de réagir à votre article. Il me paraît utile de vous signaler que vous manquez d’esprit républicain. N’y voyez pas de ma part la volonté de donner des leçons de quoi que ce soit, n’y voyez pas non plus de ma part la manifestation d’un désir secret d’encenser la France et sa politique envers les Antilles françaises, mais je tiens à vous faire remarquer un fait : votre article est la manifestation d’un état d’esprit antirépublicain. Et je le déplore autant que je le redoute.
Votre fiction simiesque est navrante. Blancs et noirs, noirs et blancs, nous sommes des hommes. La République ne fait pas de différence entre les français. La preuve ? Regardez dans les bureaux, les administrations, les hôpitaux, les lycées et les collèges, les écoles...les entreprises artisanales, les pme, la grande industrie...Ne voyez-vous pas des hommes qui occupent, en fonction de leurs compétences, de leurs parcours scolaires, de la réussites aux épreuves des concours, postes tantôt de subalternes, tantôt de cadres ?
S’il n’en va pas de même aux Antilles, alors contentez-vous de demander l’application de la loi française qui condamne la discrimination raciste. Pourquoi levez-vous ce pavé dessous lequel grouillent les douloureux scolopendres de l’indépendance.
Savez-vous au juste ce qu’elle représente ? Oui, la Barbade...Mais pour une Barbade, combien de Haïti, de Jamaïque, de Dominique... ? Combien de Porto-Ricain aux Etats-Unis ? Combien d’émigrations clandestines vers le Nord ?
Le devoir moral, donc l’intelligence, imposent un retour à la raison. Les deux cents euros, difficiles à satisfaire ne satisferont même pas ceux que vous instruisez à l’aide de votre jolie prose si bien tournée.
Mais vous monsieur, ou madame l’auteur de l’article, quand le fragile vaisseau Antilles coulera, vous aurez beau jeu de rentrer en Métropole, laissant loin les soucis insolubles qui seront, gageons-le dès à présent, ceux de demain : ceux de la Guadeloupe indépendante.
Zadig2