Les Gilets Jaunes : vite un programme pour les élections européennes et municipales
Face à la montée de colère du pays, la première réponse d’Emmanuel Macron fut de dénoncer les Gilets Jaunes comme anti-écologistes, puisque refusant la taxe carbone. Argument stupéfiant : c’est tirer de la souffrance des Gilets Jaunes, de notre souffrance, argument contre eux, contre nous tous. Indignation. Mais l’analyse des arguments présidentiels renversent ceux-ci et nous donne les premiers éléments d’un programme politique pour deux échéances importantes : les européennes et les municipales. Explications.
La taxe carbone : une manipulation sémantique et financière
Après avoir donné 200 euros aux gens désireux passer le permis de chasse (voir ici), autorisé le tir avec silencieux, prolongé le glyphosate, retardé de 10 ans la loi de transition énergétique programmant la sortie du nucléaire (voir ici), voici que, soudain, le gouvernement et Emmanuel Macron se font le chantre d’une mesure écologique : l’instauration de la taxe carbone (voir ici le contexte général), devant rapporter plusieurs milliards d’euros et réduire la propension à circuler, donc la hausse des émissions françaises de gaz à effet de serre, qui a été de 3,5% en 2016 (voir ici). Or personne n’a été dupe, puisque notamment, cette taxe, qui n’abondera que de 20 % les dépenses purement écologiques (voir ici) devait financer le déficit public, au lieu d'aider à isoler sa maison, produire son électricité ou acheter une voiture hybride.
Première erreur d'Emmanuel Macron : comment il a perdu sa légitimité à incarner le mouvement « Make the planet great again »
Faire apparaître les Gilets Jaunes comme anti-écologistes a aussitôt desservi l'image de la France, et Donald Trump a pu caricaturer la décision du président de la République et stipendier son renoncement à incarner une alternative à la destruction climatique et au biocide que le chef d’état américain incarne lui-même avec une remarquable indifférence (voir ici ses tweets). Soudain, face à cette catastrophe annoncée, nous nous retrouvons seuls, si toutefois certains d’entre nous avaient pu penser après l’intermède Nicolas Hulot (et même avant) que la France pouvait incarner une opposition à Trump. C’est tout un pan de notre politique diplomatique qui s’est néanmoins détaché.
Deuxième erreur d’Emmanuel Macron : financière, justement
En effet, la transition énergétique a un coût d’investissement, qui s’accroît au fur-et-à mesure que la crise environnementale s’approfondit : coût d’isolation des logements, de changement des véhicules, de changement de modèle agricole, énergétique, de rétrécissement de l’espace utilisable, etc. La nécessité de moins rouler, par exemple, remet en cause la distinction centre-périphérie, cette périphérie où l’on a rejeté les classes moyennes. Le fait de circuler, en soi, est le socle de notre économie : son coût devait être annulé par la croissance, mais celle-ci ne vient plus. Les dépenses du va-et-vient hyper-centres/banlieues sont désormais impossibles à supporter, tout autant que l'envolée du m2 dans les hyper-centres, la hausse des loyers : la fracturation des revenus est une fracturation dans l'espace. En périphérie, le prix du m2 à la revente est bien souvent inférieur au prix du même m2 à la construction. Conséquence : dévaluation des patrimoines, maisons difficilement vendables. Augmentation des dépenses alimentaires, de l’eau potable, de l’électricité (doublement depuis 2008), du gaz, etc., du traitement des déchets, accroissent cette crise qui est une crise dans les ressources elles-mêmes. Plus largement, derrière cette inflation, l’ensemble du modèle économique est à repenser, comme j'ai essayé de le démontrer dans l'un de mes ouvrages : les grands industriels du déchet, par exemple, ont toujours été avantagés dans leurs tarifs hexagonaux pour être compétitifs en dehors du pays. Conséquence : ce sont les classes moyennes qui ont soutenu leur compétitivité, en même temps que ces conglomérats se faisaient champions de l’évasion fiscale. Cela peut-il durer ? Tout autant que l'abus des normes, leur coût qui plombe le bâtiment, ou encore les exigences faites aux toutes petites entreprises, aux PME, qui devront bientôt prélever l'impôt avec la retenue à la source. Ceci s'ajoute au coût de la crise financière de 2008 (qui nous a conduit à un déficit de 140 milliards d’euros en 2009, par exemple, soit 7,5% du PIB), que nous continuons à porter, dix années plus tard, via les charges de remboursement de la dette (même si la politique de rachat de la Banque Centrale européenne a rendu supportable ce fardeau). Emmanuel Macron est l’héritier d’un système structurel qui, de sa propre propre inertie, est en train de buter sur les limites de la planète. Le schéma, ci-dessous, montre bien l’effet de cliquet dans lequel nous sommes collectivement piégés. Si l’on veut assurer notre survie, nous devons probablement faire un effort de dépense supplémentaire de 3 % du produit intérieur brut, portant le déficit à 6 %. Le Président de la République se retrouve donc piégé par cette situation impossible, dans le contexte d’une dette internationale publique et privée qui n’a jamais été aussi élevée. Hors, une dette n’est remboursable que si le système assure sa pérennité dans le temps : il est légitime de penser que nous n’avons plus ce temps (voir également ici).
Troisième erreur d’Emmanuel Macron : penser l’écologie dans sa dimension taxe, refuser de la penser dans sa dimension allègement des charges
Les 200 à 300 euros qui manquent dans le budget mensuel des ménages correspondent pratiquement aux bénéfices qu’apportait l’écosystème lorsqu’il n’était pas financiarisé, c’est-à-dire quand personne ne nous faisait payer ses services, bref, « avant », cette ère s'achevant dans les années 1960-1970. Regardez bien vos charges : l’eau potable et son retraitement ont atteint 4 euros du m3 en moyenne ; voyez le coût des ordures, augmenté par le refus des lobby d’en réduire la production à la source, via la diminution des emballages, ou encore le coût du chauffage électrique, pour lequel nous étions poussés à nous sur-équiper ; regardez la difficulté réglementaire à produire sa propre électricité, en partie parce que l’exigence d’intégration des panneaux photovoltaïques pousse le coût des installations à la hausse (une exigence du lobby nucléaire), tandis que le prix d’achat est tombé dans certains cas à 6 centimes d’euros le Kwh, alors qu’en sortie de la centrale nucléaire de Flamanville (l’EPR) le coût du kwh devrait être deux fois supérieur au coût de production de l’électricité solaire (voir ici)... Ce qui fait que ce seront les classes moyennes qui payeront - payent déjà - les mauvais choix d’EDF, poussée hors de la Bourse par les autorités financières elles-mêmes à la suite de l’effondrement sidérant de son action. Or, mon expérience d’ingénieur, d’innovateur, de constructeur de maisons bio-climatiques et d’auteur spécialiste du sujet prouve que ces services pourraient être repris par chacun, dans le cadre de l’habitat individuel et, en partie, collectif : eau, énergie, gestion des déchets. Mais comment les classes moyennes pourraient-elles investir ? L’état pourrait se porter garant des prêt bancaires, inscrivant ainsi en hors-bilan sa garantie (donc n’augmentant pas son déficit), sachant que les banques sont censées investir dans l’économie selon le taux directeur de la Banque centrale européenne, maintenu depuis des années au plus faible niveau. plus exactement, il s'agit du taux directeur, c’est-à-dire du taux auquel la BCE prête des liquidités aux établissements financiers, le principe étant que plus ce taux est bas, plus les banques peuvent prêter, et donc relancer l'économie : c’est la politique de « Quantitativ easing », base de la réforme monétaire amenée par Pierre Bérégovoy sous le premier septennat de François Mitterrand, alternative à la politique keynésienne de relance par la demande, que favorise l'augmentation des salaires, mais qui provoque une inflation. Evidemment, cela invitera certainement non à redessiner le rôle de la BCE, mais à encadrer plus strictement les bénéfices indus que tirent les banques de sa politique de taux (voir ici l'article de Martine Orange sur Mediapart)... Quoi qu'il en soit de la BCE, la propension à consommer des ménages à revenus moyens est importante, donc il serait en effet possible d'opérer une relance par l’investissement écologique, ainsi plus vertueuse qu'une relance aux risques inflationnistes. Cependant, pour que cette relance ne profite pas à des pays qui ruinent leur écologie, comme le Brésil, ou exploitent leur population, il faudrait absolument que les pays de l’Union européenne s’organisent pour taxer l'importation des biens et services selon des exigences sociales et environnementales rigoureuses. Car on ne peut être seuls à être libre-échangistes.
Conclusion
A ces conditions, qui demandent à être précisées ou remises en jeu par le débat collectif, une relance par l’investissement écologique peut être possible. Mais il ne suffit pas d’écouter « le peuple » si l’on est seulement capable d’entendre la voix murmurante des lobbies de l’Ancien monde, de Véolia à EDF. C’est pourquoi les Gilets Jaunes, en nous alertant sur leurs impossibles fins de mois, soulignent les impasses bio-économiques de notre modèle industriel : leurs voix contribuent littéralement à nous sauver d’une catastrophe planétaire. Les amener à se taire, les pister, les diviser, les brutaliser, les harceler juridiquement, c’est un péché originel, capital, « christique », du président Macron : avoir utilisé l’aspiration démocratique pour se porter au pouvoir via un « mouvement » renversant « l’Ancien monde », celui des notables de la politique nationale et locale ; et vouloir faire taire ce mouvement qui ne veut, finalement, que tenir les promesses démocratiques du Président et reprend les fondamentaux du mouvement LREM. Pour lui, c'est le risque d'une seconde déligitimisation, lourde de conséquence quand la planète semble basculer dans un populisme xénophobe et nationaliste.
Pierre-Gilles Bellin, auteur de L’habitat bio-économique, Editions Eyrolles (voir ici)
38 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON