Les Gracques : Les Français veulent savoir !
Les Gracques sont depuis plus de 10 ans une figure discrète, mais active du paysage politique français.
Si vous n'en avez jamais entendu parler, retenez qu'il s'agit d'une "association lancée par des personnalités engagées à gauche" ; Qu'ils contribuent "comme groupe de réflexion et de pression à la modernisation intellectuelle de la gauche en France" [1].
Le nom fait référence à deux frères (Tiberius et Gaius Gracchus), hommes d’états de la Rome antique issus de la plèbe et ayant tenté de réformer le modèle social en vigueur
(Licence texte : domaine public)
Tu quoque Tiberius ?
Cette association est née officieusement en mars 2007 avec un appel lancé dans le magazine Le Point [2]. La même année, les statuts de l'association sont publiés officiellement le 16 octobre. Le siège social se situant au 31, rue d'Anjou (8ème arrondissement Paris, à deux portes de l'Elysée).
Ce groupe, se définissant de "gauche moderne", penche plutôt côté social-démocrate de Schröder que du socialisme de Jaurès. Ses fondateurs appelaient, dès l'origine, à un rapprochement entre le Parti Socialiste (PS) de François Hollande et l'UDF (aujourd'hui MoDem) de François Bayrou [2].
En 2017, leur vœu s'est, d'une certaine manière, réalisé lors de l'élection présidentielle et législative qui a vu la victoire du mouvement "En Marche", fondé par Emmanuel Macron (EM). En effet, les soutiens d'EM sont nombreux côté socialiste, jusqu'à provoquer une véritable dislocation du PS suite au ralliement de Manuel Valls. Côté centriste, il sera rapidement soutenu par François Bayrou, qui sera nommé Garde des Sceaux. La suite est quelque peu mouvementée...
A pour Attali
Revenons en 2007. Cette année le PS et l'UDF sont vaincus par le candidat de l'UMP (aujourd'hui Les Républicains) Nicolas Sarkozy, lors de l'élection présidentielle. Commence alors un raoût autour de toutes les forces libérales que compte le pays, ainsi que les pays limitrophes (Allemagne, Italie). La "Commission pour la libération de la croissance française" ou "Commission Attali", débute ses travaux en juin, pour rendre un rapport fin janvier 2008. Selon les mots de son président, Jacques Attali : "ce fut un moment de grâce ! Une liberté totale ! Il y avait des hauts-fonctionnaires ou des chefs d'entreprise français, mais aussi des intervenants étrangers de haut niveau" [3].
On peut citer parmi les 42 membres de cette commission [4] :
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Stéphane Boujhnah : DG banque investissement Banco Santander France, aujourd'hui PDG d'Euronext [5]
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Erik Orsenna (Eric Arnoult) : écrivain, conseiller d'Etat, aujourd'hui ambassadeur de la lecture et rapporteur sur les bibliothèques [6]
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François Villeroy de Galhau : président de Cetelem, aujourd'hui gouverneur de la banque de France [7]
La rapporteuse générale étant Josseline de Clausade (conseillère d'Etat) et le rapporteur général adjoint, Emmanuel Macron (inspecteur des finances). Aussi, une seconde commission Attali, nommée par le président Sarkozy en 2010, ajoute les membres suivants [8] :
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Mathilde Lemoine : directrice économique et stratégie d'HSBC France, aujourd'hui cheffe économiste du groupe Edmond de Rotschild [9]
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Emmanuel Macron : gérant au sein de Rothschild & Cie, aujourd'hui président de la République Française [10]
Ce dont on parle moins, c’est que l'ensemble des membres cités (excepté J. de Clausade) ont été ou sont des membres du groupe de réflexion Les Gracques [11][12][13]. En ce qui concerne l'actuel chef de l’État, celui-ci n'a ni confirmé, ni démenti, avoir fait partie de cette association. On le note rapidement, ces membres peuvent être de puissants relais dans les médias en ce qui concerne la place de l'économie en France. Issus des grandes écoles françaises (ENA, HEC, Polytechnique, Science Po), ils ont tous des postes à haute responsabilité au sein de l’État ou dans les grandes entreprises [14]. Les allers et venus entre la sphère publique et privée sont légions. Au point qu'il est difficile de distinguer le rôle exact de ces acteurs. Des lobbyistes ou des acteurs du monde civil ? Des néo-libéraux ou des économistes avisés ?
De l'ombre à la lumière
Le groupe continue sur sa lancée et va diffuser sa pensée avec des tribunes, comme dans l’hebdomadaire Le Point [15]. Ils publient en 2011 un opuscule collectif intitulé "Ce qui ne peut plus durer" chez Albin Michel [16]. Ce livre manifeste est un appel aux socialistes pour mener à bien des réformes "avant la nuit du populisme" :
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réduction des dépenses de l’État,
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création de la "flexisécurité" de l'emploi,
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diminution des allocations,
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suppression de la caisse de retraite des sénateurs,
- etc...
Lors de l'élection présidentielle de 2012, ils appellent à voter pour le candidat PS François Hollande [17]. 2012 marque l’avènement au pouvoir de la promotion Voltaire de l'ENA (1980) [18] : Hollande, Royal, Sapin, Jouyet, Hubac, etc... Ces deux derniers noms sont intéressants à plusieurs titres : énarques en voie générale, proche de Hollande et également... membres des Gracques.
Sylvie Hubac
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Épouse de Philippe Crouzet : énarque, président du directoire du groupe industriel Vallourec depuis 2009, membre du conseil d'administration d'EDF depuis 2009 [19]
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Conseillère technique au cabinet du premier ministre Michel Rocard (1988-1991)
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Directrice du cabinet du cabinet du président de la République (2012-2014) [20][21]
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Directrice des Réunion des musées nationaux - Grand Palais (RMN-GP) (2016-) [22]
Cette discrète haute fonctionnaire se prête très rarement au traitement médiatique. A l'exception notable du lancement du site Aufeminin Tunisie en 2011, suite à la révolution du jasmin. Cet entretien est à l'initiative de "[s]on amie Marie-Laure (Sauty de Chalon)", PCA du groupe Aufeminin depuis 2010 [23]. Il est intéressant de noter que son mari (alors à Saint-Gobain) est également membre des Gracques, selon un article de 2008 du magazine Challenges [12]. Sont également cités dans cet article :
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Bernard Spitz : DG Fédération Française des Sociétés d'Assurances, aujourd'hui Fédération Française des Assurances, membre du Siècle, figure de proue des Gracques [24]
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Nicolas Dufourcq : DG Capgemini, aujourd'hui président de la Banque Publique d'Investissement France (Bpifrance) [25]
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Gilles de Margerie : Crédit agricole, dircab de la ministre de la Santé Agnès Buzyn (2017-2018) [26], puis commissaire de France Stratégie depuis 2018 [27]
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Stéphane Boujnah : Deutsche Bank, aujourd'hui DG d'Euronext, également membre de la commission Attali (cf. "A comme Attali")
Il est intéressant de noter les parallèles entre les parcours des uns et des autres :
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sortis de l'ENA ou HEC,
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présents dans des sociétés d'assurances ou de grandes banques,
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présents dans le groupe de réflexion En Temps Réel (président : Boujnah, ex-président : de Margerie, ex-trésorier : Crouzet, secrétaire : Spitz, ex-membre CA : Macron) [28],
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soutiens d'Emmanuel Macron (Spitz présent à ses côtés après l'ouragan Irma aux Antilles en 2017 [24])
Ce qui est plus inquiétant, ce sont les potentiels conflits d'intérêts que cela à pu —ou peut toujours— générer. Notamment dans le cadre du financement de Vallourec par Bpifrance, à hauteur de 250 millions d'euros en 2016 [29]. Dossier suivi par...Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie et de l'Industrie et Nicolas Dufourcq en tant que président de Bpifrance.
Jean-Pierre Jouyet
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Époux de Brigitte Taittinger (Hollande est son témoin de mariage) : descendante des fondateur de la maison de champagne du même nom, PDG des parfums Annick Goutal [30]
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Directeur au cabinet du ministre de l'Industrie Roger Fauroux (1988-1991)
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Chef adjoint au cabinet du président de la Commission Européenne Jacques Delors (1991-1994), puis chef de cabinet (1994-1995)
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Directeur adjoint au cabinet du premier ministre Lionel Jospin (1997-2000)
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Directeur du Trésor (2000-2004)
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Chef de service de l'Inspection Générale des Finances (IGF, 2005-2007)
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Secrétaire d'Etat sous le gouvernement Fillon (2007-2008),
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Président de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF, 2008-2012),
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Président de la Banque Publique d'Investissement (BPI, 2012-2014),
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Secrétaire général de la présidence de la République (2014-2017),
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Ambassadeur de France au Royaume-Uni (2017-)[31]
Il est l'un des signataire du manifeste des Gracques de 2007, ayant rallié "l'autre rive" sous la présidence Sarkozy. Il reviendra finalement auprès de son intime, François Hollande, 7 ans plus tard [32]. C'est lors de son passage à l'IGF que Jouyet rencontre Emmanuel Macron, alors fraichement diplômé de l'ENA (promotion 2004). C'est également lui qui le présentera à Hollande durant sa campagne pour l'élection présidentielle de 2012 [33]. Tout comme Attali, Bayrou, Fillon, Sarkozy, Hollande, Valls, Spitz, cités précédemment, JP Jouyet fait également parti du club Le Siècle [34] C'est à partir de cette période, que Macron et les Gracques rentrent dans la lumière des projecteurs. Certes, c'était par le biais d'une référence cryptée lancé par l'ancien conseiller du président Hollande, Aquilino Morelle, en septembre 2014 [35] : "Les Français ont voté pour le discours du Bourget, pas pour le programme des Gracques" C'est durant ce discours de candidature à l'élection de 2012, que François Hollande prononce la sentence suivante :
Mon véritable adversaire, il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera jamais élu et pourtant il gouverne.
Cet adversaire, c'est le monde de la finance
Qui perd, gagne
Il aura fallu attendre 2015 pour que Morelle revienne sur ses propos dans un entretien avec Vanity Fair [14]. Il revient également sur son limogeage suite à des soupçons de prise illégale d'intérêt, affaire classée sans suite depuis. La moitié de la conclusion revient à cette "victime de purification ethnique" :
Les Gracques ?? Eh bien, je vais vous dire : leurs idées sont aux commandes, tout simplement ?! Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire général de l'Élysée, en est membre. Emmanuel Macron, je n'en sais rien, peut-être. Mais il n'a pas besoin d'y adhérer ? ; il est totalement en symbiose avec eux.
L'autre moitié revient à l'auteur de l'enquête Les Intouchables d’États [36], écrit par Vincent Jauvert :
Emmanuel Macron a été poussé, dans sa campagne présidentielle, par un groupe de hauts fonctionnaires, les Gracques, auquel appartient l'ancienne directrice de cabinet de François Hollande, Sylvie Hubac. Mais également par l'ancien secrétaire général de l'Élysée, l'inspecteur des finances Jean-Pierre Jouyet.
Le vrai nouveau sujet, ce sont effectivement les nombreux conflits d'intérêt que l'on observe au sommet du pouvoir, particulièrement depuis l'élection d'Emmanuel Macron. À tel point qu'aujourd'hui l'État lui-même doit parfois modifier ses contours pour y échapper.
Notre question :
Avez vous bien fait partie des Gracques ? M. Macron, les français veulent savoir !
Références :
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