Les grincheux de la démocratie
Où l’on retrouve les « Amis de Ségolène »
Il est une tendance actuelle, sur les blogs politiques que j’affectionne, qui consiste à s’attribuer prix et ministères. Poussé par les Amis de Ségolène, je voudrais m’autorevêtir de celui de Grincheux de la démocratie. Il y eut bien les grognards, les hussards et les poilus, je ne vois pas pourquoi le titre de « grincheux » ne connaîtrait pas la même postérité.
Vous vous souvenez certainement en effet de l’initiative fabuleuse de cette association de soutien à Ségolène Royal, présidée par Pierre Bergé. Il s’agissait de promouvoir un nouveau type de campagne : la campagne perso. Idée reprise de l’Espagne de Zapatero paraît-il. Idée dûment appréciée par le Parti socialiste, que l’un de ses secrétariats nationaux (aux TIC) recommandait au son du « c’est facile, c’est technologique, c’est participatif, bref, c’est socialiste ».
Ne restait plus qu’à découvrir que l’intimidation physique de l’électeur indécis est facile, technologique, participative... bref, socialiste.
Dans le cadre de cette campagne, il convenait en effet d’adresser des SMS incroyablement convaincants à ses proches, mais aussi de pratiquer la « visite à domicile ». Cette visite à domicile se concluait par un accompagnement à l’isoloir, ainsi décrit par Les Amis de Ségolène :
« Comme le temps presse, vous allez sans doute être contraint de lui proposer la botte : la visite à domicile le jour du scrutin et l’accompagnement jusqu’au bureau de vote.Cette version, déjà intolérable, était elle-même la version expurgée d’une version précédente, selon laquelle :Sensible, voire impressionné par votre sens de l’engagement (vous êtes prêt à vous déplacer pour une voix supplémentaire), ému par votre présence dans le bureau de vote (vous ne pouvez hélas vous rendre dans l’isoloir pour effectuer l’indispensable vérification et vous allez sans doute lui demander les bulletins restant par précaution), il votera selon votre prescription »
« Sensible, voire impressionné par votre sens de l’engagement (vous êtes prêt à vous déplacer pour une voix supplémentaire), intimidé par votre présence physique dans le bureau de vote (vous ne pouvez hélas vous rendre dans l’isoloir pour effectuer l’indispensable vérification et vous allez sans doute lui demander les bulletins restant par précaution), il votera selon votre prescription »
L’affaire fit quelque bruit : il n’est qu’à faire une recherche Internet sur le nom de l’association pour constater qu’elle est désormais dûment identifiée. Pourtant, ce que tout un chacun dénonça comme une « dérive » - et le mot est faible lorsque l’on prône l’intimidation physique des électeurs ! - n’a guère eu de conséquences.
Mis à part un communiqué de presse des porte-parole de Nicolas Sarkozy, je n’ai eu vent d’aucune prise de position publique. J’entendais hier notre sage national, Yannick Noah, affirmer mensongèrement qu’il y aurait aujourd’hui deux candidats, « l’une que l’on n’entend pas, parce qu’il y a censure à son égard, l’autre qu’on entend tout le temps », oubliant manifestement la bonne dizaine d’entretiens presse, radio ou télé annulés à l’initiative de Ségolène Royal. On n’a guère entendu ces grands défenseurs de la démocratie s’émouvoir de ce type d’initiatives. Je n’ose croire que leur conception de la démocratie soit purement partisane, ce qui en relativiserait quelque peu l’impact.
Des militants ou sympathisants socialistes ont voulu se rassure, ou s’exonérer, en affirmant qu’une telle initiative ne pouvait avoir le soutien du parti, et que, de toutes façons, il ne pouvait s’agir que d’un grossier montage. Je reçois encore à ce jour des e-mails en ce sens...
Pourtant, (i) le blog du secrétariat national précité fait toujours un lien vers l’initiative de ce comité de soutien et ne fait état d’aucune réprobation ni dénonciation d’un prétendu montage et les amis de Ségolène publient ces jours-ci une page actualisée qui sonne comme une revendication.
Voici en effet ce que l’on peut lire à ce jour sur leur site :
"Quelques grincheux se sont émus des méthodes de la campagne perso, en particulier de la visite à domicile. C’est vrai qu’elles peuvent à première vue ressembler à celles employées par des élus peu scrupuleux, qui vont chercher des anciens jusque dans les maisons de retraite pour les "aider" à voter, qui n’hésitent pas à enivrer l’électeur puis à le traîner jusque dans l’isoloir, qui pratiquent le chantage, l’extorsion de vote sous la menace et pire encore. Est-il besoin de le préciser, nous condamnons ces méthodes avec la plus grande fermeté. Nous leur répondons : rendre visite à un parent, un ami, prendre un café avec lui, passer un moment agréable et parler politique le jour du scrutin, où est le mal ? Et si, en plus, vous lui permettez de mieux comprendre les enjeux de ce second tour, c’est encore mieux !"Une telle revendication-justification est « étonnante ». Elle fait état de méthodes que j’ignore et qu’en tout état de cause nul n’a constaté lors de ces élections, notamment de la part de l’Abominable UMP des neiges, alors que la méthode en question de la part des Amis de Ségolène a pu être constatée par tous et a été fièrement arborée sur leur site. Il est remarquable de constater que les Amis de Ségolène pensent avec une belle spontanéité aux personnes âgées. Un reste de décence semble les avoir dissuadés d’inciter les internautes à cibler précisément les personnes âgées mais on comprend que l’intuition que l’on pouvait avoir à ce sujet était la bonne. Il est vrai qu’il est préférable de choisir son client pour pratiquer l’intimidation physique, comme d’ailleurs pour susciter l’émotion. Le fait d’identifier clairement une méthode comme étant contraire aux impératifs de la démocratie n’incite pas les Amis de Ségolène à une prise de distance quelconque, à de quelconques regrets, pas plus qu’à la plus élémentaire discrétion. Il est au contraire subjuguant de constater qu’ils utilisent l’argument imparable du « c’est pas moi qui ai commencé ». Ces méthodes sont intolérables, antidémocratiques voire totalitaires, ils les condamnent... mais les préconisent. Il faut en effet relever le travestissement de la réalité auquel procède le comité de soutien de Ségolène Royal. Non, il ne s’agissait pas de prendre un café avec un parent, il s’agissait d’accompagner un électeur indécis à l’isoloir. Non, il ne s’agissait pas de permettre à un proche « de mieux comprendre les enjeux » de l’élection, mais de l’intimider physiquement et de s’assurer qu’il vote correctement, notamment en sollicitant de lui qu’il fournisse les bulletins restants. Imaginez l’état de la vieille dame évoquée quelques lignes plus haut...
Au final, on constate encore une chose : loin de provoquer la moindre remise en question chez nos Amis de Ségolène, l’indignation suscitée par leurs méthodes est dénigrée, imputée à « quelques grincheux ». Il est qu’elle ne fut guère relayée par les plus grands médias, ni les blogueurs les plus visibles. On retrouve toutefois, parmi ces grincheux, Le Figaro (version électronique seulement, certes), Le Monde (idem), Gilles Klein (qui, dans Pointblog, qualifie la pratique de « dérive » et constate qu’il ne s’agit pas d’une intox), FrédéricLN ( qui m’attribue la primauté de la réaction, alors que je la croyais sincèrement sienne) et nombre de blogueurs UDF (vous savez, les électeurs centristes...).
Alors, certes, la controverse n’a guère quitté la Toile. Nous ne restons que « quelques ». Mais au vu du sujet, c’est avec un certain plaisir que je revendique le titre de Grincheux de la démocratie. Les grognards furent de bons combattants.
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