Les libertarianismes de gauche
Le libertarianisme est une philosophie politique aux courants multiples et diversifiés. On a tendance à le présenter comme composé d'un triptyque : libertarianisme modéré (hayekien ou infra-hayekien), libertarianisme minarchiste, et libertarianisme anarchiste. Les libertariens modérés sont ceux qui sont favorables à une absence totale d'intervention de l’État dans l'économie, mais qui acceptent l'existence d'un État régalien s'occupant en outre de quelques tâches supplémentaires (assistance sociale, routes, etc.). Ces libertariens sont proches, voire parfois identiques, à ce qu'on appelait autrefois les libéraux classiques. Les libertariens minarchistes sont ceux qui sont favorables à un État minimal, réduit à ses fonctions régaliennes (police, justice, armée, diplomatie). Enfin, les libertariens anarchistes (tel que moi) défendent une société sans État.
Ce premier découpage possible des libertariens peut se doubler d'un second, centré sur la question des mœurs. Il y en effet des libertariens conservateurs et des libertariens progressistes (et toute une gamme de positions intermédiaires évidemment). Les libertariens conservateurs, appelés paléolibertariens, sont par exemple opposés à l'avortement ou à la consommation de drogues, mais contrairement aux conservateurs non libertariens, ils ne souhaitent empêcher personne de consommer des drogues ou de pratiquer l'avortement. Toutefois, ils se refusent à participer au financement de l'avortement ou à celui d'éventuels traitements sanitaires pour les individus ayant pâti de leur consommation excessive de drogues (ce qui n'est pas problématique car tout libertarien est pour un marché libre des assurances en matière de santé et de maladie). A la différence des libertariens conservateurs, les libertariens progressistes ne sont pas opposés à l'avortement ou à la consommation de drogues, bien qu'ils ne souhaitent obliger personne à financer l'avortement ou les éventuels traitements sanitaires pour les individus ayant pâti de leur consommation excessive de drogues.
On peut voir ici un premier clivage entre des libertariens de gauche et des libertariens de droite si on associe conservatisme et droite, et progressisme et gauche. Il y a toutefois une petite difficulté dans ce découpage, car il existe des libertariens de gauche comme Proudhon qui ne sont pas des libertariens progressistes, mais des libertariens conservateurs. Donc, on peut considérer qu'il y a un clivage gauche/droite sur la question des mœurs et un clivage gauche/droite sur les questions économiques au sein du libertarianisme, et qu'on peut être libertarien de gauche sur les questions économiques et libertarien de droite sur les questions de mœurs (comme Proudhon).
Sur les questions économiques, nous avons une opposition entre trois formes de libertarianisme anarchiste. Il y a un libertarianisme anarcho-capitaliste, un libertarianisme anarcho-socialiste, et un libertarianisme anarcho-communiste. Le libertarianisme anarcho-capitaliste défend le salariat, la hiérarchie, et l'autorité au sein de l'entreprise. Le libertarianisme anarcho-socialiste défend le coopérativisme, l'absence de hiérarchie, et des rapports horizontaux au sein de l'entreprise. Le libertarianisme anarcho-communiste (de Proudhon par exemple) défend le mutuellisme. Ici, on a un clivage entre le libertarianisme anarcho-capitaliste que l'on classera très classiquement à droite, et deux libertarianismes de gauche, le libertarianisme anarcho-socialiste et le libertarianisme anarcho-communiste.
Il existe cependant un autre clivage sur les questions économiques, axé sur la question de l'appropriation originelle de la propriété. Certains libertariens pensent que la répartition originelle des ressources naturelles et de la propriété a été fondée sur l'usage de l'agression (cas des bandits notamment), puis a été sans cesse le fruit de l'agression étatique. Compte tenu de cette origine agressive de la propriété, on ne pourrait considérer comme légitime aucune forme de propriété. Rothbard considère qu'il faut que des enquêtes soient menées pour voir si chaque propriété est légitimement acquise (c'est à dire sans usage de l'agression) et que les propriétés acquises par la force soient rendues à leur propriétaire légitime. Face à cette position pragmatique, d'autres libertariens, comme Franz Oppenheimer, défendent une remise à zéro de la répartition de la propriété. Autrement dit, toute la propriété doit être répartie de manière égalitaire entre tous les individus une bonne fois pour toute, et ensuite le libre jeu des échanges et des niveaux de créativité et de productivité différents fera le reste (en absence d’État et d'agression, la répartition sans cesse fluctuante de la propriété sur un marché libre est ensuite considérée comme légitime).
Cette position libertarienne égalitariste fait face à une autre position libertarienne que l'on nomme géolibertarianisme ou georgisme (du nom de celui qui en est le précurseur, Henry George). Les géolibertariens considèrent que les ressources naturelles, et notamment en premier lieu le sol, sont limitées et que par conséquent il n'est pas légitime que chacun s'approprie ces ressources comme il le souhaite (en mélangeant son travail avec ces ressources). Il convient donc que l’État taxe les individus en compensation des ressources perçues. On pourrait appeler cette dernière approche : minarchisme de gauche (par opposition à un minarchisme régalien de droite).
On voit ici se dessiner un clivage entre libertariens remettant en question la légitimité de l'appropriation originelle des ressources et de la propriété avec une position minimale de droite (Rothbard) et une position maximale de gauche (Oppenheimer) en passant par une position minimale de gauche (les géolibertariens).
Voilà, j'espère que ce petit tour des différentes positions libertariennes de gauche aura donné un aperçu de toute la richesse et la diversité d'une philosophie politique pleine de vitalité intellectuelle, dont la créativité tranche avec la morne stagnation des autres familles politiques.
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