Les mots du MoDem
Une semaine après l’annonce par François Bayrou de la création du Mouvement démocrate, déjà surnommé MoDem par la blogosphère, les commentaires s’accumulent sur le site de l’ex-candidat à l’élection présidentielle (www.bayrou.fr).
Un peu d’histoire, déjà ancienne, tout d’abord. Un premier article est publié sur ce site le 9 février 2006 (« Zone franche dans les DOM-TOM »). Il est impossible à ce moment de formuler des commentaires. Le 2 décembre 2006, un bouton « réagir » fait son apparition sur le site. Le 17, pour la première fois, trois commentaires sont publiés. Puis presque rien pendant des mois. La Toile se réveille le 8 mars 2007 (présentation de « Projet d’Espoir ») : 35 commentaires. Le 13 mars (« François Bayrou à Saint-Denis »), 214. La machine tousse (6 le 15 mars, 308 le 16, 9 le 20) puis s’ébranle. Le 22 avril (« il y a enfin un centre en France »), le record est battu : 3615 commentaires sont publiés. Ces commentaires sont consultés jusqu’à 53.640 fois (25 avril : « François Bayrou annonce la création du Parti Démocrate »).
A travers l’analyse statistique et sémantique du texte des 740 commentaires publiés entre le 15 et le 19 mai sur le thème « Lancement du MoDem le 24 mai au Zénith », j’ai tenté de mettre en évidence, par l’analyse du champ lexical des contributeurs, les principales lignes de force de leur discours. Elles tracent une personnalité originale, qu’il serait sans doute hasardeux de considérer d’emblée comme celle du mouvement qui s’amorce, mais qui me semble faire sens quant à la physionomie actuelle de ce mouvement. Voici la synthèse de cette analyse.
Une phrase clé pour résumer l’essentiel
Une recherche des occurrences pertinentes des principaux mots clés produit, étonnamment, une phrase presque correcte. "MoDem - tous [ensemble], nous pouvons faire plus : une politique novatrice pour la France".
Il est singulier de constater à quel point cette phrase embrasse les orientations du programme du candidat Bayrou, quoi qu’on puisse par ailleurs penser de ce programme. Tout y est : la nécessité de rassembler ("tous ensemble") au service du pays et non d’intérêts partisans ("la France") dans une approche nouvelle ("une politique novatrice") qui doit produire des résultats renouvelés ("faire plus").
Le "je" et le "nous"
Si l’expression personnelle est majoritaire d’un point de vue quantitatif (991 "je"), elle pèse peu face à l’expression de la communauté ("tous", "nous", "on", ou même "vous" lorsqu’il est adressé à cet autre moi-même qu’est l’internaute qui me lit), qui totalise un score de 2146. La tribu MoDem, en recherche d’identité et de valeurs communes, semble vouloir se constituer en un pluriel singulier.
Passé, présent ou futur ?
20 % pour le passé, 50 % pour le présent et 30 % pour le futur. Ainsi conjuguent les contributeurs qui semblent être pour la plupart des adhérents du futur MoDem. Il y a une très forte homogénéité des sujets abordés en fonction du temps employé : au passé, les jugements (sévères) sur les ralliés de l’UDF à l’UMP ; au présent, les législatives, la conviction de la bonne voie et un étonnant enthousiasme ; au futur, les valeurs d’une démocratie renouvelée, exprimées de quantités de manières. Pour autant, l’échéance de 2012 semble encore bien lointaine (16 occurrences).
Les contributeurs apparaissent par contre très concernés par les législatives (1021 références), et d’abord le scrutin et son organisation (624). Difficile ici de ne pas faire le lien avec les premières initiatives gouvernementales, dont on pressent qu’elles peuvent peser défavorablement sur l’issue du scrutin pour le MoDem. C’est donc un sentiment d’urgence qui prévaut. Mais c’est surtout la question des candidatures qui les taraude (239) et, surtout, celle de l’investiture MoDem dans leur circonscription.
Valeurs et croyances
D’abord, on est très largement "pour" avant d’être "contre" (1055 contre 73). On croit à la force du groupe ("tous ensemble"), et c’est la novation qui est mise en avant comme valeur cardinale (256).
Viennent ensuite la force, entendue au sens de "force intérieure". La force des idées, aussi, et puis l’ouverture et la sincérité (565). Un peu plus loin, la liberté, la démocratie et le travail (261).
En queue de peloton, apparaissent la volonté, la patience et le réalisme (75).
Quel nom pour la France ?
Quels mots utilise-t-on pour parler de la France ? Si l’on admet l’idée que l’utilisation spontanée d’un mot est porteuse de sens, un zoom s’impose :
Le pays, c’est d’abord et de loin la "France" (235) avant d’être une "nation" (60). C’est ensuite la "république" (50), un "pays" (30) et enfin un "état" (20).
Raison et émotion
Un classement typologique des points de vue exprimés montre une prépondérance énorme du registre de l’émotion (855 références). Comparé à ce score, les références au registre de la raison sont marginales.
L’émergence d’une pensée perçue comme nouvelle fait naître un énorme espoir (136). Elle emporte une certaine reconnaissance et provoque un sentiment de gratitude ("merci" : 124). On dirait comme des retrouvailles entre des amis longtemps séparés (102) auxquelles on veut croire (69), et dont on souhaite qu’elles combleront une attente (65).
C’est en toute clarté, en toute amitié, que l’on voudrait que les coeurs se rapprochent, dans la simplicité et l’enthousiasme.
Agir ou réfléchir ?
Pas de doute, les futurs adhérents du MoDem en veulent, et tout de suite : 2.703 références privilégient l’action, tandis que 509 sont tournées vers la réflexion.
D’abord, on veut "pouvoir" (546). Entendez cela comme "être en capacité de". Il s’agit bien d’action et non de l’exercice d’un quelconque pouvoir. On veut pouvoir "faire" (513). Mais on veut aussi pouvoir présenter, soutenir ou faire partager des points de vue (477).
En matière de réflexion, les concepts manipulés sont assez généraux : ils concernent la pensée en général, la compréhension, le savoir et la raison. Très peu sont en connexion avec tel ou tel item du programme initial.
L’échiquier politique
Comment décrit-on les composantes du jeu politique ? Excluons d’emblée les références au MoDem, surreprésenté au sein de l’échantillon avec 1.055 références.
L’UDF et les "partis" en général, dont on ne veut pas "faire le jeu", se taillent la part du lion avec environ 200 références. Viennent ensuite, outre l’UMP, les références géométriques : "gauche", "droite" et "centre" (environ 150 chacune). Puis viennent en dernier les références idéologiques : les "radicaux" (55) et le "gaullisme" (6) ferment le ban.
Au milieu de tout cela, une nouvelle dénomination apparaît. Elle s’incarne dans une couleur, l’orange (43), tantôt vague, tantôt révolution.
Ceux dont on parle
Au total, 74 personnalités sont citées de 1 à 502 fois. 26 ne sont citées qu’une fois, 36 sont citées entre 2 et 10 fois, 9 entre 11 et 50 fois, et 3 plus de 50 fois.
Tout comme le MoDem lorsqu’il s’agissait de parler de l’échiquier politique, Bayrou est évidemment hors compétition avec 502 références sous diverses appellations.
Vient ensuite N. Sarkozy, dont les contributeurs disent, on s’en doute, tout le bien possible.
C’est ensuite Quitterie Delmas qui est citée 82 fois. Les contributeurs déplorent que cette jeune femme, qui avait semble-t-il accumulé un fort capital de sympathie, n’ait pas été investie par le MoDem dans la 10ème circonscription de Paris (plus de détails : http://lesjeuneslibres.hautetfort.com/, article publié le 17 mai). Et ils le font savoir, haut et fort.
Parmi
les personnalités citées une seule fois, on trouve pêle mêle Baroin, Duhamel,
Tapie, Sartre, Jospin et même... Clémenceau (ou plutôt sa statue).
Morin et Kouchner viennent après Quitterie Delmas (50 et 44), et le moins que l’on puisse dire est que le capital de sympathie qui leur est concédé est assez mince.
Une singularité est à noter : hormis F. Bayrou, les personnalités pourtant connues du MoDem sont assez peu citées. Ainsi en est-il de Sarnez (9), du "bédouin" Lassalle (7), de Comparini (4), de Cavada (3) ou de Begag (1).
Je
ne sais pas expliquer ce décalage, mais je le trouve étonnant. Si quelqu’un veut
s’y coller et essayer de l’expliquer ...
Conclusion
Une émotion apparemment profonde et sincère, un potentiel de sympathie indiscutable, des sentiments positifs : on a connu des augures moins favorables à certains autres baptêmes.
Il se dégage de tout cela une énergie énorme, portée par des gens montrant, en tout cas à travers leurs écrits, un dynamisme et une volonté inouïs.
Si Internet accélère les échanges, il accélère aussi le murissement des idées. La preuve en est ici donnée : une communauté à peine formée et déjà en quête d’une culture commune au bout de huit jours, c’est une première !
Trop d’émotion ? Sans doute. Mais atténuée par un fort potentiel d’action qui, cependant, demeure aujourd’hui... très potentiel. Si la direction du MoDem parvient à transformer l’essai en canalisant cette énergie et en faisant travailler ensemble tous ces gens, alors c’est une machine politique sans précédent qui verra le jour.
Le saura-t-elle ? Le pourra-t-elle ? A chacun d’en juger. Les contributeurs au site bayrou.fr, sans cacher leurs inquiétudes, semblent avoir déjà fait leur choix.
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