Les races, non ; la diversité, oui

L’injonction d’égalité est devenue très forte dans nos sociétés. Égalité est un synonyme de justice. Il est difficile de s’y opposer.
Ce qui marque notre époque est que cet impératif symbolique, qui concerne le langage, les institutions, le droit... a débordé dans la réalité. Il nous faut voir la réalité comme égale et les inégalités comme création humaine. Il y a presqu’une inversion du phénomène. Alors que nous nous efforcions de pratiquer l’égalité malgré les inégalités naturelles, nous créons le récit d’un monde dans lequel c’est l’homme qui crée les inégalités. Un des aphorismes les plus précis en ce sens est dû à Tahar Ben Jelloun : « la nature crée des différences, la société en fait des inégalités. » Quand le loup mange l’agneau, il n’y a entre eux que des différences, aucune inégalité !
Les hommes sont égaux en droit nous dit l’article premier des Droits de l’Homme. Nous en sommes arrivés à considérer que tout doit être égal, non seulement en droit mais en faits. L’égalité des droits de l’Homme est par principe une égalité en droit qui passe outre un monde inégal. L’égalité voulue dans les droits de l’homme est une égalité formelle, qui établit qu’on ne peut utiliser les faiblesses et les forces pour majorer l’inégalité que constitue cet état naturel des choses. Les inégalités physiques ne doivent pas engendrer d’inégalités sociales ou politiques. Voilà la règle que l’on tente d’appliquer, sachant que c’est difficile, si difficile qu’il y aura toujours quelque part quelqu’un qui pourra dire que cela ne lui a pas été appliqué. Ce quelqu’un pourra être reconnu et avoir cessation de l’injustice et réparation. C’est un principe, un idéal, qui s’applique à la conduite des hommes, à la création et la conduite des institutions… il n’est pas appliqué parfaitement, son approche est asymptotique.
Nous en sommes arrivés à considérer toute inégalité comme illégitime et devant être réduite, voire supprimée. Nombre de discours actuels voient dans les différences du réel, sur quoi nous ne pouvons rien, une atteinte à cet idéal. Nombre de discours ne voient plus la différence philosophique ancienne, de la Grèce ancienne, entre « ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. » Nombre de discours estompent, et même effacent cette différence entre le réel et le symbolique. Il faut donc nier les différences, à la racine. Et bien sûr, c’est impossible. Parce que le réel s’impose à nous, c’est même sa définition et que le réel nous impose des différences partout. Et surtout, nous sommes tous singuliers, nous sommes uniques, et nous tenons à le faire savoir, c’est la moindre des choses : nous devons nous faire entendre, nous avons des choses à dire, nous nous exprimons dans le monde, c’est une obligation, (ça se fait même sans rien faire) c’est une fonction, un plaisir nécessaires. Alors, comment faire ? Comment concilier les différences qui instaurent de fait de l’inégalité et les différences qui font la vie, qui sont la vie.
La conciliation entre différence bonne et différence mauvaise (inégalitaire) se fait par l’auto-déclaration : la plainte ou la fierté autorisent et même valorisent les différences. Tous les autres cas sont du côté du mal : stéréotype, racisme, sexisme, mot en « phobie »… C’est ainsi que la race est mauvaise parce qu’elle contient subrepticement le racisme, supprimer le mot de la Constitution serait salutaire. La diversité est bonne, parce qu’elle n’est jamais assez assurée (plainte) et qu’elle est demande de reconnaissance positive de sa différence (fierté). Etre racisé, bien qu’attaché au mot « race », est bien vu (plainte). Quand un comique américain dit que l'Afrique a gagné le championnat du monde, c'est un tollé, à quoi il répond que ces joueurs sont français et africains en même temps. Il ne convainc pas. Beaucoup de Noirs dans l'équipe de football, mais il n'y a pas de Noirs, seulement des Français. Le tweet d’Aude Ancelin, qui prend les deux aspects autorisés (fierté-plainte) d’une seule brassée : « Allez bravo, merveilleux Kylian. Tu es le visage de la France ce soir. Celui que les identitaires ne célèbrent qu’une fois tous les vingt ans, et que la police nationale malmène dans les quartiers. » Ce faisant, elle s’est fait ramasser sur l’absence d’universalité : tu fais partie des identitaires que tu condamnes (il n’y avait pas de raison de parler de ça, donc il ne fallait pas en parler). Deux poids-deux mesures donc : déclaration de victimisation ou de fierté, correct ; dans tous les autres cas, négation des différences. C’est une ligne de partage assez bien dessinée.
C’est un constat, il doit y avoir quelques exceptions, mais peu. Le noter dans chaque occurrence, doit faire son « travail » dans le débat public, c’est-à-dire permettre de voir un peu mieux ce qu’il en est de nos chemins balisés sur ce thème des différences et des inégalités.
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