Les Rencontres de Saint-Denis : une innovation institutionnelle d’Emmanuel Macron
« L’ambition sera de convenir de voies d’action qui pourront trouver des traductions concrètes et rapides dans les réalisations du gouvernement et des textes législatifs bâtis ensemble. Le peuple, par la voix de ses représentants et le cas échéant par référendum, aura le dernier mot. J’ai confiance, comme beaucoup de Français, dans notre capacité à converger sans reniement ni renoncement. » (Lettre d'Emmanuel Macron le 23 août 2023).
Étrange objet politique qu'est cette initiative politique et institutionnelle inédite (et de « grande ampleur ») du Président de la République, inédite de toutes les républiques confondues. Emmanuel Macron a proposé le 23 août 2023 aux chefs des partis représentés au Parlement de se réunir sur un terrain neutre (pas à l'Élysée), à la Maison d'Éducation de la Légion d'honneur dans l'ancienne abbaye de Saint-Denis, pour discuter de façon informelle des choses de la nation et du monde.
On sait que les grands débats, Emmanuel Macron sait les faire, aime les faire, il se complaît même à se frotter avec les gens, à se confronter aux idées et même à ses adversaires. L'initiative ne manque donc pas de panache, c'est même courageux de sa part quand on est autant impopulaire voire haïe parmi la classe politique d'opposition, mais elle laisse aussi un goût de suspicion : encore un coup politique ? une instrumentalisation présidentielle ? une manœuvre élyséenne ?
En prévenant les chefs de parti une semaine à l'avance, en fin août 2023, Emmanuel Macron laissait le temps aux partis de se préparer. Les ministres, d'ailleurs, étaient sans illusion et préparaient déjà des éléments de langage pour dénoncer le refus des partis d'opposition à venir dialoguer avec le chef de l'État, anticipant le refus notamment des insoumis. Au dîner de la majorité le 29 août 2023, la veille, beaucoup ne croyaient pas que l'opposition jouerait le jeu.
Et le miracle est arrivé : surprise générale, tout le monde était au rendez-vous le mercredi 30 août 2023 à 15 heures à Saint-Denis. Les quatre chefs des partis de la Nupes sont arrivés ensemble et n'ont pas hésité à communiquer avant leur entrée dans les lieux (à la sortie, ils n'étaient plus que trois, le communiste étant parti se coucher pour préparer une matinale). Le représentant du RN également, seul. En tout, douze heures de discussions à huis clos. Douze heures, mais certains participants n'hésitaient pas à dire que cela aurait pu durer le double : Emmanuel Macron aime parler, aime dialoguer. Les chefs des partis d'opposition sont venus sur la pointe des pieds, ne voulant surtout pas laisser croire qu'ils soutenaient la communication politique de l'Élysée, mais ne voulant pas non plus montrer qu'ils étaient hostiles au dialogue.
Pourtant, c'était bien de cela qu'il s'agit. Emmanuel Macron a admirablement réussi cette initiative politique et institutionnelle. Alors qu'on reprochait aux précédents Présidents de la République de rencontrer les chefs de leur propre majorité, laissant entendre qu'ils étaient plus chefs de parti que chefs de la nation, Emmanuel Macron va plus loin en rencontrant tous les chefs de parti.
Était-ce un piège ? Oui et non. Oui, cette rencontre a manifestement renforcé la légitimité politique et l'autorité institutionnelle du Président de la République après une année particulièrement difficile pour lui (malgré sa réélection, rappelons-le). Non, car il y a une évidente sincérité de la part du chef de l'État pour trouver un nouveau mode de gouvernance qui soit à la fois capable de prendre des décisions et capable de consulter les principales forces politiques. Emmanuel Macron a compris que la gouvernance par la verticalité (qui a toujours été de mise depuis 1959) n'est plus possible dans une société de transparence et de diffusion rapide et permanente de l'information (de plus, l'absence de majorité absolue au Palais-Bourbon nécessite des majorités de circonstance). Il essaie donc de nouveaux moyens d'agir ou de concertation et, pour cela, il ne manque pas de créativité ni d'originalité.
Si Emmanuel Macron a certainement obtenu plus d'avantages politiques que les chefs de l'opposition invités, ces derniers pouvaient difficilement refuser l'invitation car les gens, les Français, attendent d'eux qu'ils soient constructifs et qu'ils se comportent dans l'intérêt du pays et pas dans leur intérêt partisan. C'est cette conjonction des attentes qui a fait que cette rencontre a été positive, du moins à court terme pour le moment.
Qui étaient présents ? Le Président de la République Emmanuel Macron, la Première Ministre Élisabeth Borne, le Président du Sénat Gérard Larcher, la Présidente de l'Assemblée Nationale Yaël Braun-Pivet et le Président du Conseil Économique Social et Environnemental (CESE) Thierry Beaudet. Cela pour la partie institutionnelle. Notons (et répétons) que pour Emmanuel Macron, le CESE est une troisième chambre parlementaire, ce qu'il n'est pas (c'est plutôt un placard doré pour recasés, déchus ou un tremplin pour jeunes espoirs), j'en reparlerai certainement.
Pour la partie "partisane", onze chefs de parti étaient présents. Ceux de la majorité : Stéphane Séjourné, secrétaire général de Renaissance ; François Bayrou, président du MoDem ; Édouard Philippe, président de Horizons ; Laurent Hénart, président du Parti radical. Hors de la majorité, les autres sont : Jordan Bardella, président du Rassemblement national ; Éric Ciotti, président de Les Républicains ; Hervé Marseille, président de l'UDI ; Olivier Faure, premier secrétaire du parti socialiste ; Fabien Roussel, secrétaire national du PCF ; Marine Tondelier, secrétaire nationale d'EELV ; Manuel Bompard, coordinateur de FI.
Précisons enfin que n'étaient pas conviés ni Éric Zemmour, président de Reconquête qui n'a pas obtenu de sièges au Parlement ni un représentant de LIOT, groupe politique à l'Assemblée Nationale qui n'est pas un parti politique mais un rassemblement hétéroclite et administratif. Ce groupe a protesté contre son absence en disant que c'était à cause de la motion de censure qu'il avait déposée, mais cette raison ne tient pas car les groupes RN et FI ont déposé eux aussi de nombreuses motions de censure et leurs chefs de parti ont été pourtant invités.
Anecdote amusante : cette nuit du 30 au 31 août 2023 était particulière car il s'agissait de la nuit d'une super-Lune bleue. Lune bleue car seconde pleine lune du mois (c'est assez rare) et super-Lune car la Lune était très proche de la Terre (prochaine fois en 2037). Faut-il y voir une signification politique ? (à mon sens, non !). Anecdote personnelle : j'ai eu la chance de voir sur une plage française près de Sète son lever soudain sur la mer, à l'est, dans un ciel dégagé... Cette anecdote est certes hors sujet mais il fallait bien que j'exprime cette belle observation qui, paradoxalement, rappelle qu'une Lune "bleue" reste une Lune très rouge ! (de là à faire des interprétations politiques, je ne m'y risquerais pas).
Les conditions de la rencontre sont intéressantes : cadre pittoresque et historique (chargé d'histoire), un site, Saint-Denis, qui rappelle plus que l'histoire républicaine, l'histoire nationale jusqu'à nos rois capétiens les plus anciens. Les smartphones devaient être déposés à l'entrée de la salle de discussion. L'idée était donc la franchise, hors de toute posture, du moins médiatique, car évidemment, aucun journaliste n'était convié. Ni d'ailleurs aucun collaborateur des participants (pas même Alexis Kohler, le Secrétaire Général de l'Élysée).
La première pause a eu lieu après la première partie consacrée à la politique extérieure de la France (où un consensus salutaire a été émis sur le soutien à l'Ukraine), à savoir vers 19 heures 30. Dîner à 21 heures 45. Les discussions ont terminé vers 3 heures 15 du matin, véritable marathon de concertation. Selon un participant qui s'est confié au journal "Le Monde" (dans son compte-rendu du 31 août 2023), Emmanuel Macron aurait pu tenir jusqu'à 6 heures du matin : « C'est une machine de guerre ! ». "Le Monde" a tenté d'en savoir plus : « Crayon en main, Emmanuel Macron écoute, prend des notes. Il n’y a aucun greffier dans la salle, ni de "salle d’écoute". Au lieu de repousser les propositions, il commente, problématise les questions, explique la marche du monde. ».
Pour les chefs des partis d'opposition, l'obsession était de bien marquer leur différence avec le pouvoir, qu'ils n'étaient pas venus se compromettre avec la Macronie mais qu'ils étaient là pour dire au Président de la République ce qu'ils avaient sur le cœur (selon l'expression du président du RN). La discussion a donc dû être franche et probablement parfois tendue !
Sur le fond, quel était l'objectif ? Comme l'explique la lettre présidentielle d'invitation, il s'agissait de s'entendre sur quelques sujets et de faire avancer la France ...ensemble. Le concept général est donc ultra-ambitieux et c'est même une mission quasi-impossible. Comment mettre d'accord le RN, la majorité présidentielle et FI sur l'immigration, par exemple ?
L'idée d'une "conférence sociale" (pour le pouvoir d'achat, les bas salaires) semble avoir fait consensus (en automne). Sur les institutions, les propositions ont fusé et sont peu unanimes. Édouard Philippe aurait remis en cause le non-cumul des mandats, constatant que les parlementaires devenaient coupés du terrain sans mandat local. Jordan Bardella aurait proposé le retour au septennat, mais non renouvelable, et Emmanuel Macron lui aurait dit que l'impossibilité de solliciter le renouvellement du mandat présidentiel était une grande erreur (laissant penser qu'il critiquait la réforme de Nicolas Sarkozy). Les discussions ont beaucoup évoquaient l'immigration et le principe du référendum (notamment un référendum pour l'immigration). En revanche, la transition écologique semble n'avoir pas été bien abordée.
Longtemps attendu, un projet de synthèse de ces rencontres a été adressé aux participants par l'Élysée dans la nuit du 6 au 7 septembre 2023 avec l'objectif de pouvoir être amendé avant ce dimanche 10 septembre 2023 dans la soirée. Objectif est pris pour qu'une seconde réunion de ce type ait lieu en automne 2023 et peut-être, à la longue, que ces rencontres soient en pratique institutionnalisées (comme le G7, les sommets européens, etc.).
Dans cette dernière missive (de six pages), Emmanuel Macron a écrit : « L'esprit et le contenu de nos échanges correspondent, j'en suis convaincu, à ce que nos compatriotes attendent de nous. L'ensemble des participants a constaté que le contexte international et national justifiait, pour l'indépendance et la cohésion de la France, un format de discussion inédit, respectueux de la séparation des pouvoirs et des responsabilités respectives de chacun. (…) Il nous revient collectivement de donner une suite concrète à nos échanges sur la base de ce relevé de conclusions partagé. ».
Il a assuré en outre : « Toutes les forces politiques présentes seront associées à l'ensemble des initiatives qui découleront de nos échanges. ». Les réponses apportés aux problèmes nationaux pourront être de toute forme, à savoir : référendum, loi parlementaire, mesure réglementaire ou décision ad hoc.
La synthèse prévoit un débat parlementaire cet automne sur le nouveau partenariat avec les pays du Sahel. Sur les institutions : « Tous les participants se sont retrouvés autour de la nécessité de rendre l'action publique plus claire, plus lisible, plus efficace pour nos compatriotes avec des responsabilités mieux identifiées. ». D'ici à un mois, Élisabeth Borne est chargée de faire des propositions concrètes sur la déconcentration de l'action de l'État et sur une plus grande expérimentation locale. Sur le référendum, Emmanuel Macron a annoncé une future proposition sur l'article 11 de la Constitution (élargir le champ référendaire). La conférence sociale a été confirmée pour octobre prochain « relative à la question des branches où la rémunération est inférieure au salaire minimum et sur l'évolution des salaires et des revenus ». Le projet de loi sur l'immigration sera présenté et débattu après les élections sénatoriales du 24 septembre 2023.
L'éditorial du journal "Le Monde" du 2 septembre 2023 a abordé cette rencontre ainsi : « La façon dont sera accueillie et amendée la synthèse des échanges et des chapitres de travail proposée par le chef de l’État dira si un véritable mouvement s’est enclenché. Dans le cas contraire, la nuit du 30 août n’aura été qu’un feu de paille, au-delà de la performance réalisée par l’hôte de l’Élysée : tenir douze heures durant, dans un huis clos de bonne tenue, une représentation politique d’ordinaire encline à l’empoignade. (…) Le retournement est tellement soudain, tellement spectaculaire, qu’il légitime la suspicion dont font preuve les oppositions de gauche et de droite. Celles-ci craignent de se trouver prises au piège d’une manœuvre présidentielle visant à redonner du souffle à un second mandat mal parti. Le fait est cependant qu’aucun participant n’a claqué la porte. Tous ceux qui étaient conviés, y compris les plus radicaux, ont estimé qu’ils avaient plus à perdre aux yeux des Français à boycotter la rencontre qu’à débattre à huis clos de sujets graves qui les renvoient tous à l’ampleur de la crise démocratique. ».
Emmanuel Macron, qui a profité très habilement de l'effondrement des grands partis de gouvernement, est le premier Président de la République à reconnaître autant l'importance des partis politiques. C'est cela le paradoxe, celui finalement, sur les ruines d'un paysage politique dépassé (dont il n'est pas responsable), de bâtir un nouveau paysage politique plus proche des attentes du peuple. À suivre, donc.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (07 septembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Les Rencontres de Saint-Denis : une innovation institutionnelle d'Emmanuel Macron.
La France Unie soutient l'Ukraine !
Décalage.
Interview du Président Emmanuel Macron le 24 juillet 2023 à 13 heures sur TF1 et France 2 (vidéo).
Emmanuel Macron : le choix de l'efficacité.
Intervention filmée du Président Emmanuel Macron au conseil des ministres du vendredi 21 juillet 2023 (vidéo).
Composition complète du gouvernement d'Élisabeth Borne au 20 juillet 2023.
Le 4e remaniement ministériel du premier gouvernement d'Élisabeth Borne du 20 juillet 2023.
La France des investissements productifs félicitée par Emmanuel Macron.
Interview du Président Emmanuel Macron le 15 mai 2023 à 20 heures sur TF1 (vidéo).
Faut-il encore polémiquer sur le RSA ?
Emmanuel Macron : "J'appelle à la pause réglementaire européenne".
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