Les socialistes aussi votent pour le FN !
Retour sur les résultats du second tour de l’élection législative partielle de la seconde circonscription de l’Oise du 24 mars 2013.
À la suite de la démission de Jérôme Cahuzac de son siège de député, il y aura, les 16 et 23 juin 2013, une élection législative partielle dans la troisième circonscription du Lot-et-Garonne, celle de Villeneuve-sur-Lot, une terre habituellement très favorable au PS mais qui pourrait, comme en juin 2002, basculer à l’UMP (selon les premiers sondages).
Le parti socialiste joue gros dans cette élection, tant les sondages pour le gouvernement sont catastrophiques (IFOP, BVA, TNS Sofres, YouGov etc.).
Le candidat du FN compte bien répéter l’exploit de sa camarade de la deuxième circonscription de l’Oise qui, les 17 et 24 mars 2013, avait réussi non seulement à se qualifier au second tour mais aussi à rassembler près de la moitié de l’électorat.
Le temps du front républicain est complètement révolu. Le temps où les socialistes et les communistes, même en se bouchant le nez, votaient pour Jacques Chirac pour barrer la route à Jean-Marie Le Pen, en donnant une victoire de 82%, digne des républiques bananières, est terminé.
Il n’y a plus de front anti-FN
Les premières brèches eurent lieu entre les deux tours des élections cantonales de mars 2011, lorsque l’UMP avait refusé le principe de front UMP-PS contre le FN. En fait, ce ne sont pas les appareils mais les électorats qui ont fait ces brèches. Certains candidats du FN ont ainsi gagné parfois 20% entre le premier et le second tour, que son adversaire fût PS ou UMP. Il n’y a donc plus, dans le comportement électoral, d’ostracisme contre le FN.
Notons d’ailleurs que cette notion de "front républicain" qui vise à isoler électoralement le FN est contre-productive et peut avoir des effets dévastateurs dans l’électorat en donnant appui à ceux qui parlent d’UMPS, dénonçant une sorte de collusion entre les deux grands partis de gouvernement UMP et PS (on voit cependant la "pertinence" d’un tel concept pour le mariage des couples homosexuels, par exemple).
Mais ce ne sont pas les consignes des partis qui sont en cause. Quels électeurs, attachés à leur liberté individuelle, se soucieraient-ils vraiment des consignes pour le second tour ? Ils ont voté en leur âme et conscience au premier tour, parfois avec des motivations très différentes, et au nom de quoi pourrait-on leur faire voter mécaniquement pour un autre candidat au second tour si leur candidat du premier n’était plus présent ? Au nom de quoi ne voteraient-ils pas en leur âme et conscience au second tour également ?
D’ailleurs, les études d’opinion l’ont confirmé sur plusieurs décennies, les consignes de second tour n’ont aucune influence sur l’électorat mais sont essentielles dans la posture politique. Par exemple, dire qu’on va voter pour François Hollande au second tour inconditionnellement et deux mois après, dix mois après, se revendiquer d’une opposition ferme et brutale, c’est montrer qu’on prend ses électeurs un peu légèrement pour des imbéciles.
Posture politique
La posture politique est essentielle car elle permet l’étanchéité (ou pas) de certains élus, à défaut de maîtriser son électorat. Et il faut bien admettre qu’il y a une perméabilité nouvelle entre l’électorat de l’UMP et celui du FN. Ainsi, si les états-majors des deux partis (UMP et FN) sont fermement opposés à toutes sortes d’alliance électorale (et on le comprend quand on voit leur programme économique et européen complètement incompatible), leurs "sympathisants" (mot dont il faudrait préciser la définition) le sont beaucoup moins. Au contraire.
Dans le sondage IFOP publié le 17 avril 2013 (téléchargeable ici), 53% des sympathisants de l’UMP et 72% des sympathisants du FN seraient favorables à des accords électoraux entre l’UMP et le FN pour les élections locales, soit, grosso modo (vu l’imprécision des sondages), une moitié des sympathisants de l’UMP et les trois quarts des sympathisants du FN.
C’est une évidence que la radicalisation du discours de l’UMP depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à sa présidence en 2004 a fait naturellement évoluer un certain nombre de ses militants et les a poussés à retrouver quelques affinités avec les thèses anti-immigration du Front national.
Néanmoins, la césure en deux parts quasiment égales de l’UMP lors du vote interne du 18 novembre 2012 a montré également qu’il y avait une moitié qui ne s’y reconnaissait pas, ou même, les deux tiers si l’on ne prend en compte que le jeu des motions et pas celui des personnes (sur lesquelles se sont greffées des considérations plus affectives et moins idéologiques).
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Jean-François Copé a stoppé net ses discours très sécuritaires depuis janvier 2013. Pour se reconstruire une réelle légitimité, il a besoin, au contraire, de recentrer son discours (il l’avait encore rappelé à l’occasion des "manifs pour tous" qu’il n’y aurait aucune collusion entre UMP et FN). Ce n’est pas un hasard non plus si l’ancien Premier Ministre François Fillon avait évoqué, à propos du FN, une « différence d’approche irréconciliable » dans un documentaire réalisé par Franz-Olivier Giesbert et diffusé le 8 mai 2013 sur France 3, pour se différencier de Nicolas Sarkozy.
Relations entre FN et centre droit
La perméabilité entre le parti de centre droit parlementaire et le FN a été un sujet de débat depuis le 4 septembre 1983 et l’élection municipale partielle de Dreux où le candidat RPR avait conquis la mairie sur la maire PS sortante grâce à la fusion de sa liste avec celle du FN (dirigée par le redoutable Jean-Pierre Stirbois) qui avait acquis un sixième de l’électorat. Neuf mois plus tard, la gestation était arrivée à terme : le FN faisait jeu égal avec le PCF aux élections européennes de juin 1984 avec 10% au niveau national.
Dès le début, il y a eu deux écoles. La première, plus parmi les élus locaux, ne voyait aucun mal à faire des alliances locales avec le FN pour battre la gauche, leur priorité (pour faire face au gouvernement socialo-communiste). La seconde, plus exprimée parmi les leaders nationaux, voulait au contraire former un "cordon sanitaire" étanche entre centre droite et FN. Les réflexions pouvaient s’être développées par la morale (Bernard Stasi et Simone Veil furent bien seuls au début pour imposer cette étanchéité) ou par l’intérêt électoral (Jacques Chirac a montré une fermeté permanente à ce sujet). L’intérêt immédiat et ponctuel de s’allier avec le FN était effectivement vite perdu à moyen terme avec la perte de tout l’électorat modéré, bien plus nombreux.
La grande perméabilité des électorats
Depuis le second tour des élections cantonales du 27 mars 2011, cette étanchéité est clairement terminée au sein de l’électorat dans sa globalité. Les socialistes, encore en mars 2013, n’ont rien compris à ce qu’il s’est passé dans la seconde circonscription de l’Oise. Ils ont encore parlé d’une osmose entre le FN et l’UMP alors que justement, ces deux partis étaient restés seuls en lice au second tour. Ils prétendent encore qu’il y a mélange des deux électorats… en se croyant moralement irréprochables sur ce sujet.
Or, il n’en est rien. Si la candidate du FN a réalisé un score inimaginable il y a encore quelques mois dans l’Oise, en doublant son score du second tour, c’est parce qu’elle est devenue une candidate comme une autre, sans l’étiquette d’infamie qui était autrefois associée au Front national. Les opposants à Jean-François Mancel ont naturellement continué à s’opposer à lui avec un autre candidat qu’au premier tour.
En clair, les électeurs socialistes du premier tour sont tout aussi prêts à voter au second tour pour le FN contre l’UMP que les électeurs UMP du premier tour sont prêts à voter au second tour pour le FN contre le PS. Cela veut dire que le FN est parvenu à bénéficier d’une sorte de large ratissage de toutes les oppositions. Cela n’en fait pas un parti à l’électorat cohérent, mais cela en fait un parti capable désormais d’avoir des élus au scrutin majoritaire, et cela, c’est très nouveau depuis la montée du FN en 1984.
Sans doute il y a des explications, conjoncturelles (la crise économique, la faille précoce de François Hollande, l’affaire Cahuzac) et structurelles (l’opération de dédiabolisation du FN par Marine Le Pen a été couronnée de succès, malgré quelques retours en arrière comme l’hommage appuyé à l’historien Dominique Venner qui s’est indécemment suicidé devant des touristes le 21 mai 2013).
Course aux idées ?
Dédiabolisation ? Oui, ce n’est pas un succès, c’est un triomphe dans les médias. Rappelez-vous au milieu des années 1980. Personne ne voulait débattre (en public) avec un représentant du FN. Les responsables quittaient même les plateaux de soirée électorale le cas échéant. Aujourd’hui, non seulement Marine Le Pen a eu l’occasion de débattre avec à peu près toutes les forces politiques, y compris le NPA de Philippe Poutou, mais elle est aussi le chouchou des médias.
Est-ce un mal ou un bien ? Impossible de lire dans les étoiles, mais la démocratie nécessite évidemment le débat entre personnes ayant des opinions différentes, sinon, ce ne serait plus la démocratie. À force de refuser le débat, certains en font leur miel et avancent discrètement mais sûrement.
Le résultat, pourtant, c’est que les idées du FN ont non seulement contaminé les discours du centre droit depuis une dizaine d’années, mais aussi, depuis une année, ceux de la gauche, et c’est cela la nouveauté.
Entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2012, le staff de François Hollande n’avait pas hésité à venir à la pêche de cet électorat très particulier, y compris Arnaud Montebourg dès le lendemain du premier tour. Au final, François Hollande a gagné le second tour avec seulement un million cent mille voix d’avance, ce qui est très peu comparativement à la force de frappe de Marine Le Pen au premier tour (six millions quatre cent mille voix) qui avait lancé le 1er mai 2012 un appel à ne pas choisir l’un ou l’autre des candidats du second tour.
De nombreuses voix socialistes pour le FN
Deux études sérieuses (à télécharger ici) ont été réalisées sur le report des voix entre le premier tour et le second tour de l’élection législative partielle de mars 2013 dans l’Oise. Elles confirment que l’électorat de gauche, en particulier socialiste, est maintenant capable, autant que l’électorat de l’UMP (voire mieux), de voter pour le FN au second tour.
Une première étude, proposée par l’IFOP, se base sur les résultats de quelques scrutins depuis 1997. Aux législatives 1997, un candidat FN au second tour progressait un peu plus par rapport à son score du premier tour face à un candidat de gauche (donc, avec l’appui de la droite) que face à un candidat de droite (avec l’appui de la gauche) : +14% dans le premier cas, et +9% dans le second cas.
Or, aux cantonales de 2011, il n’y a plus eu de différence dans les progressions : +11% que ce soit face à un candidat de gauche ou face à un candidat de droite, et aux législatives de 2012, +16% face à un candidat de gauche et +17% face à un candidat de droite (donc, avec un report de voix légèrement supérieur à gauche).
L’étude angoissante de Joël Gombin
Une seconde étude, réalisée par le politologue Joël Gombin, propose une analyse statistique des reports de voix dans chaque bureau de vote dans la deuxième circonscription de l’Oise : « Même s’il est probable que [la candidate du FN] ait bénéficié du soutien d’abstentionnistes de premier tour qui ne se seraient mobilisés pour elle qu’au second tour, l’analyse objective des grandes masses en présence conduit à penser qu’une part significative de ces électeurs gagnés au second tour provient des rangs de la gauche. ».
Joël Gombin a ainsi évalué que 43% des électeurs de la candidate du PS au premier tour se seraient reportés sur la candidate du FN : « Il n’existe pas, dans ce cas d’espèce en tout cas, de frontière étanche entre un électorat socialiste et des candidats frontistes, comme on l’a longtemps cru, et le FN possède désormais une réelle capacité de mobilisation au second tour. ».
Le politologue a également estimé que 19% des voix du candidat UMP au premier tour seraient passées au FN au second tour et 25% dans le sens inverse (du FN au premier tour vers l’UMP au second tour).
Le plus remarquable est sans doute que seulement 20% des électeurs de la candidate du PS auraient suivi la consigne nationale du PS à faire barrage au FN au second tour en votant pour le candidat de l’UMP. Quant aux électeurs du Front de gauche (son candidat est arrivé en quatrième place et n’a obtenu que 6,6% des suffrages exprimés), seulement 15% d’entre eux auraient voté au FN au second tour (c’est le plus faible report de voix estimé) tandis que 62% d’entre eux se seraient abstenus ou auraient voté nul.
Autre point intéressant, la candidate du FN a très mal fixé son électorat du premier tour puisqu’elle en perdrait 38% entre les deux tours, dont près de 2 000 voix seraient retournées au candidat de l’UMP au second tour : « Si tous ses électeurs de premier tour l’avaient soutenue au second tour, [la candidate du FN] serait la nouvelle députée de la [deuxième] circonscription de l’Oise. ».
La conclusion de Joël Gombin est sans ambiguïté et a de quoi faire frémir le PS : « Si ces dynamiques se confirment durant le cycle électoral 2014-2015, elles pourront faire très mal à gauche comme à droite. Il est sans doute temps que la gauche arrête de penser que le Front national, c’est le problème de la droite, sans quoi elle risque de perdre, un jour, et les élections, et son honneur. ». Du reste, c’est bien le candidat du PS, Lionel Jospin, qui fut la première victime présidentielle du FN en avril 2002. Nul doute que si Marine Le Pen réussissait à se qualifier au second tour en 2017, ce serait également au détriment du candidat du PS (probablement François Hollande).
Selon "L’Express" du 20 avril 2013, cette étude de Joël Gombin serait remontée jusqu’à l’Élysée et Matignon et aurait inquiété les plus hauts dignitaires du socialisme gouvernemental.
Sur le terrain, exaspération à gauche
Sur le terrain, certains élus locaux s’en rendent compte. Ainsi, le maire UMP de Grandvilliers, une petite ville picarde de trois mille habitants située à une trentaine de kilomètres de Beauvais, a constaté : « Dans le bureau de vote n°2, [la candidate du FN] a obtenu 202 suffrages sur 319 exprimés [soit 63%]. C’est étonnant car, en général, ces électeurs habitent en partie dans des logements sociaux, votent à gauche. ».
Pris en "micro-trottoir", un ouvrier de Granvilliers qui a toujours voté à gauche expliquait sa désillusion en votant FN : « Choisir le FN, c’est un vote de rejet. (…) Finalement, c’est encore pire que Sarkozy. » en évoquant les 200 euros qu’il a perdus à la suite de la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires.
Même conclusion avec ce maçon de 46 ans qui avait toujours voté à gauche : « [Le Président et le gouvernement] prennent les Français pour des vaches à lait ! (…) Je ne sais pas si, une fois au pouvoir, ce sera mieux [avec le FN], mais je n’ai pas de remords, ce Président n’est pas fait pour gouverner. Il n’a pas la carrure. ».
Bête immonde ?
Contrairement à ce que prétendait encore le 1er mai 2013 le sénateur David Assouline, porte-parole du PS, le FN n’est pas la "bête immonde" des "pires heures de notre histoire". En tout cas, pas selon la grande majorité des électeurs. En continuant ce genre de discours récurrent nettement contreproductif, le PS serait presque à inciter les électeurs à soutenir le FN pour défendre la démocratie.
Le FN n’est qu’un capteur de colère qui a réussi à rassembler ceux qui ne supportent plus la déconnexion des gouvernants avec la réalité populaire, et depuis trois ans, le FN a réussi à ne plus faire peur. Au contraire de son père, qui ne voulait absolument pas gouverner (voir sa réaction spontanée lorsqu’il apprend son maintien au second tour en 2002), Marine Le Pen a tout fait pour se donner les moyens d’arriver au pouvoir. À ce titre, le scrutin majoritaire pourrait même maintenant l’avantager, vu le grand potentiel des reports de voix (comme expliqué dans cet article).
Seul, le PS reste dans une vision simpliste et anachronique du phénomène FN et n’a rien compris de la lente évolution des électeurs. Mais tous les états-majors, y compris à l’UMP, craignent désormais que les listes du FN se hissent en première place aux élections européennes de 2014.
Il s'agit de combattre le FN avec des arguments dans un débat d'idées, pas par cet effet irrationnel de répulsion qui n'a plus lieu d'être et qui ne dupe plus personne.
Le Front national n’a rien à voir avec le passé.
Mais j’aimerais qu’il n’ait non plus rien à voir avec l’avenir.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (23 mai 2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Second tour de l’Oise : un avertissement au PS …et à l’UMP.
Le front républicain en mars 2011.
Le 21 avril 2002 et le choc national.
Études postélectorales sur la législative partielle de l’Oise (à télécharger).
Nouvelles règles du jeu pour les scrutins locaux.
Sondage IFOP du 17 avril 2013 (à télécharger).
Conférence de presse de François Hollande.
Hollande, un an après.
Y’a d’la joie…
Les idées du Front national.
Marine Le Pen.
Étude de Joël Gombin (25 mars 2013).
"Le Figaro" du 27 mars 2013.
"L’Express" du 20 avril 2013.
Le candidat PS aussi à la pêche aux voix du FN.
Morale molle et ambitions dures.
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