Contrairement à ses homologues internationaux, le gouvernement français ne s’applique pas à lui-même la rigueur qu’il préconise pour l’ensemble de ses citoyens. Il y a ainsi toujours des moyens pour financer hausses de salaires ou voyages somptuaires pour les gouvernants, mais plus rien de disponible lorsqu’il s’agit de mettre en place des mesures au bénéfice de tous. Or, toutes les réformes réussies chez nos voisins ont commencé par un travail de leurs gouvernements sur eux-mêmes : les gouvernants ont ainsi renoncé à autant que ce qu’ils ont demandés à leurs concitoyens... La France ne prend pas ce chemin... Et se pose alors la question de la légitimité de réformes issues d’un gouvernement qui réforme pour tous, sauf pour lui-même ?
En 1993, le Canada
était annoncé comme au bord de la faillite par le FMI
et ses obligations publiques dégradées au rang d’obligations pourries par
certains instituts de notation .
Il s’en est suivi un plan d’austérité sans précédent
qui fait aujourd’hui de ce pays le meilleur élève du G8 :
croissance de plus de 2,5 %, épargne des ménages en hausse, absence de déficit
publique, dette publique en passe d’être résorbée...
Un constat idyllique que beaucoup, avec
l’avènement du nouveau gouvernement, pensaient possible en France.
Mais les dirigeants canadiens - tout comme les dirigeants
italiens ont accepté une baisse de leur rémunération de 30 % dans le cadre du
budget 2007 - conscients qu’ils ne
pouvaient demander à leurs concitoyens de « maigrir » tous seuls, ont
souhaité donner l’exemple... Ainsi on pouvait lire dans les documents
d’orientation du bureau du vérificateur général du Canada
la phrase suivante : « Pour les gestionnaires du secteur public,
le défi consiste à intégrer les principes de bonne gestion à la prise de
décisions. En fait, ils doivent donner l’exemple. S’ils ne le font pas, leurs
subalternes ne se fieront plus non plus
à ceux-ci. »
Le discours sur la « faillite »
a été - en France - repris par le Premier ministre François Fillon pour
justifier les nouveaux efforts en termes de retraite, de désengagement de
l’Etat, de santé publique...
En gros, en termes de réduction de la dépense
publique.
Ce discours est légitime sur le fond :
l’endettement de la France
atteint soit 79,7 % du PIB selon les critères comptables, soit 64,2 % du PIB selon les critères retenus pour
mettre en place les ratios de Maastricht ; et n’a cessé de croître depuis 1978...
En revanche, les dirigeants français ne semblent
pas réellement soucieux de s’appliquer ce qui a fait le succès de la réforme
canadienne ou allemande, c’est-à-dire de s’appliquer à eux-mêmes ce qu’ils
demandent à leurs concitoyens.
Voit-on les ministères réduire leur train de vie ?
Non ! On peut ainsi s’interroger de la nécessité pour le président d’être
accompagné dans son voyage d’Etat en Chine (donc aux frais du contribuable) par sa mère, un de ses fils ou encore
la ministre de la Justice, et ce alors même que la secrétaire d’Etat aux Droits
de l’homme demeure en France... D’autant plus que contrairement à ce que l’on a
pu entendre de la part du porte-parole de l’Elysée, les Chinois n’ont que faire
de la présence de tel ou tel... Entend-on
parler de baisse de rémunération des ministres, du président et des
parlementaires ? Non, bien au
contraire : le président de la République ne vient-il pas de se faire accorder
une hausse de salaire de 140 % !
Entend-on parler que tel ou tel
ministère renonce à ses frais d’apparat (voitures de fonctions, avions privés...)
et ses frais de représentation ?
Non, bien sûr : l’Elysée donnant le « La »... avec une
multiplication par 3 de ses frais de fonctionnement !
Dans ces conditions, la légitimité des réformes
ne peut être que très rapidement remise en cause.
Invitée voici quelques années par la présidence allemande dans une délégation tout ce qu’il y a de plus officielle, un cocktail
avait été organisé en notre honneur avec l’ensemble de la classe politique
d’alors.
Il nous avait été servi, sous les ors sobres du château de Bellevue,
en gants blancs et avec tout l’apparat nécessaire : du vin blanc du Rhin,
du jus d’orange, de l’eau gazeuse et divers bretzels... Ni champagne, ni
petits fours.
Certains membres de notre délégation française -
et non des moindres... il y avait même des membres de l’actuel gouvernement -
avaient interrogé leurs homologues allemands sur cette sobriété. Il leur avait
été répondu que les parlementaires et politiques étaient récipiendaires de la
richesse du peuple allemand et qu’ils n’avaient pas à dépenser ses deniers
inconsidérément, en dépenses d’apparat.
Cette anecdote allemande illustre probablement les
raisons des échecs perpétuels des réformes en France :
- les gouvernants ne sont pas prêts à s’appliquer
à eux-mêmes les potions amères qu’ils infligent à leurs concitoyens ;
- les gouvernants - et on les comprend, la lutte
a été âpre pour arriver là où ils sont - sont les premiers à s’accorder des
hausses de dépenses, de salaires et de budgets de fonctionnement sans tenir
compte du fait qu’ils ne montrent l’exemple :
- ni à leurs concitoyens : comment accepter pour un simple citoyen de
voir ses retraites réduites de 20 ou 30 % après une vie de labeur et de
cotisations - alors que ses propres dirigeants se sont au préalable immunisés contre
tout risque de baisse de revenu ou de niveau de vie ?
- ni à leurs administrations : comment accepter
un gel des salaires, des carrières ou
des budgets de fonctionnement alors qu’au sommet de l’Etat, tel n’est pas le
cas ?
Certes, me direz-vous, ces dirigeants politiques
ont des responsabilités lourdes et prenantes qui justifient quelques petits
« à côtés »... Mais on a pu entendre ces mêmes dirigeants s’indigner contre
les rémunérations de leurs homologues du secteur privé, qui s’autorisaient certaines hausses de leurs rémunérations alors
même que l’entreprise dont ils avaient la charge était au bord du gouffre :
n’a-t-on pas entendu ces mêmes politiciens se dire choqués par l’attitude des managers
d’Alcatel-Lucent ?
Si l’entreprise France est en
« faillite » et si nos responsables politiques sont fidèles à leurs
discours d’hier,
leurs rémunérations actuelles sont - selon leurs propres termes -
inacceptables.
Pourtant, loin d’aligner leurs gains sur la
situation globale du pays dont ils ont la charge, il semble que nos dirigeants souffrent
chroniquement d’une vision à deux vitesses :
au citoyen moyen les efforts, « payer plus pour avoir moins » en fin
de course, à ses gouvernants la sécurité acquise sur le travail de tous.
Si en période de croissance cette
« morale » est supportable car la prospérité est inévitablement
partagée et bénéficie finalement à tous,
elle devient insupportable lorsqu’une dépression survient car alors les
efforts concentrés sur les seules classes moyennes - celles trop
« riches » pour être éventuellement soutenues par l’Etat providence
et trop « pauvres » pour être vraiment indifférentes au risque de
déclassement social - deviennent
insuffisants pour financer les dépenses inconsidérées des élites et les charges
de plus en plus lourdes de l’Etat qui ne peut laisser dans la déchéance une
part croissante de ses concitoyens.
Il reste à espérer qu’il ne faudra pas la lecture
du « Journal d’un mort au champ d’honneur de la réduction de la dette
publique »,
comme cela a eu lieu au Japon il y a peu, pour que la classe politique
française comprenne enfin comme la canadienne ou l’italienne, qu’il ne sert à
rien d’assener ses commandements du haut de sa passerelle sans se soucier de ce
qu’il se passe en soute, car un jour la soute ne peut plus entendre les ordres
et les moteurs du navire s’arrêtent. Il est alors trop tard pour éviter que
celui-ci ne dérive ou n’évite un obstacle...
Un magnifique paquebot git par 3 000 mètres de fonds
pour nous le rappeler.
Il appartient à nos dirigeants d’éviter que la
mécanique se grippe en montrant ne serait-ce qu’un minimum de solidarité avec
la soute, et cela passe, que cela soit agréable ou non, par l’exemple...