Lettre ouverte à Messieurs Collard et Menard et aux nouveaux « compagnons de route » du FN
Messieurs,
A l’occasion des élections municipales qui sont l’objet de joutes au sujet de l’intégration des résidents étrangers dans nos villes, je souhaite vous interpeller sur les positions du FN sur ces thèmes.
Si je souhaite attirer votre attention sur ces sujets qui structurent fondamentalement les thèses du FN, c’est que je pense que ces thèses s’opposent frontalement aux valeurs universelles qui fondent notre République, et je souhaite ouvrir le débat sur cette question qui est un révélateur fondamental des problématiques qui traversent nos sociétés.
Le débat porte, sur le fond, sur la possibilité ou non de cohabiter, entre des personnes issues de cultures et de civilisations différentes (1).
Bien sûr, contrairement à Monsieur Le Pen, le FN et Marine Le Pen sont désormais d’une prudence de Sioux sur ces sujets et dans leur expression publique actuelle, il n’y a plus de référence explicite à certaines questions épineuses. Mais ces questions restent posées :
Le FN et Mme Le Pen défendent–ils encore et toujours l’impossibilité pour les peuples de cultures différentes, de cohabiter sur un même territoire ? Car cette thèse centrale a longtemps justifié, à leurs yeux, le rejet de l’immigration. Il faudrait, pour eux, que les personnes étrangères vivant au sein de notre Nation acceptent de s’assimiler à notre culture en reniant la leur. En d’autres mots, tu deviens comme nous ou tu pars…
Si la question est de savoir si les populations étrangères doivent intégrer ou du moins accepter de se plier dans l’espace public au respect des valeurs de laïcité de notre culture, la réponse est bien sûr que oui ; et à ce titre il faut en effet interdire le port du voile islamique à l’école comme de tout signe ostentatoire religieux ou d’oppression de la femme. Il ne s’agit pas ici de nier les contradictions entre valeurs universelles issues de la culture démocratique et des traditions culturelles particulières à certaines autres (2) ; mais cela ne suppose en aucun cas, comme l’affirme le FN, que la cohabitation soit impossible, ni que toutes ces personnes ne sont pas susceptibles d’intégrer nos valeurs. Ce sont ces glissements « idéologiques » successifs propres au FN, qui ne sont pas conformes à notre vision républicaine.
En effet, cette hypothèse de non communication entre les peuples est contredite par toutes les recherches anthropologiques et sociales qui montrent l’existence de valeurs universelles entre tous les peuples même très différents quant à leur mode vie et de représentation du monde. Il en découle la possibilité d’échanges vrais même entre personnes de cultures très différentes comme l’attestent les travaux de Claude Levi-Strauss, de Françoise Héritier… A partir de là, ces chercheurs prouvent qu’au delà de la compréhension du mode de fonctionnement des autres sociétés, on peut élaborer une démarche commune et collective pour construire une cohabitation entre ces communautés, dans le respect des différences et sans renier les principes laïques de notre République, si c’est la volonté de ces différentes communautés. Bien sûr, le chemin n’est pas facile ni ici ni ailleurs, comme le montrent par exemple les affrontements entre les populations arabes éprises de valeurs laïques et les intégristes en Tunisie, en Egypte en Turquie,…ou la cohabitation difficile des habitants entre eux dans nos villes ; mais ce dialogue est la seule voie pour une pacification des rapports sociaux. Cette stratégie est aux antipodes de celle du FN basée sur la montée des tensions. En réduisant les populations arabes aux musulmans, puis les musulmans aux intégristes, le FN commet volontairement une double simplification de la réalité complexe, qui conduit à alimenter la haine de ces populations et son discours électoral.
Au contraire, le socle de valeurs communes à tous les démocrates, rend possible, au-delà des différences, les échanges entre civilisations et fonde les valeurs de laïcité, si paradoxalement en vogue au FN ces derniers temps (en fait, depuis que le FN a abandonné officiellement, l’intégrisme catholique cher à certains de ces courants historiques, et qu’il instrumentalise la laïcité au nom de la lutte contre l’islamisme radical). Mais il faut le souligner, ce discours récent sur la laïcité de la part du FN est en contradiction flagrante avec ses discours différentialistes tenus par eux -mêmes et par ailleurs…
Les valeurs universelles justifient à juste titre, pour les étrangers et pour les nationaux, le rejet de l’intolérance, le respect des cultures (et donc aussi bien sûr de celle de la France), le refus de pratiques barbares comme l’excision, et de manière plus globale, nous invitent au respect des femmes, et au rejet de toute forme de discrimination entre les personnes. C’est ce socle commun qui fonde le respect des différentes formes d’expressions culturelles, mais toujours, dans les limites du respect de valeurs universelles. Car il peut, en effet, y avoir conflit entre universel et local ; mais le débat ne peut être tranché de manière générale et définitive en faveur systématiquement, des valeurs locales, nationales et contre celles des autres, comme le fait le FN. C’est de l’ethno-centrisme, qu’il s’appelle défense des valeurs du christianisme ici, ou de l’islam ailleurs, … qu’il s’habille sous les oripeaux d’un discours néo-laïque ou sous la forme de défense de l’Occident chrétien contre les autres religions ou contre les autres civilisations au nom de la « supériorité » de la nôtre. En matière de valeurs, il y a des différences, non des hiérarchies ; et il y a des valeurs universelles qui peuvent entrer en conflit avec des pratiques culturelles locales mais on ne peut en aucun cas fonder ainsi des préférences quant à des droits universels de la personne humaine à se vêtir, à se nourrir ou à se loger. La préférence nationale pose problème à ce titre. Si des personnes d’origine étrangère sont légalement présentes sur notre territoire, elles ont les mêmes droits en ces matières, ni plus ni moins que les « nationaux ». Le problème se situe en amont par rapport à la régulation des flux migratoires non à ce stade. Par ailleurs afin de ne pas alimenter des haines et des faux débats, il faut veiller effectivement au fait que les dispositifs et aides sociales soient également répartis entre les personnes de faibles revenus et qu’on ne privilégie pas certaines au détriment des autres. Mais il s’agit là de vigilance dans l’application de règles, non d’autre chose. Or, comme c’est le cas aujourd’hui en France, les populations étrangères résidant légalement , sont en proportion plus marginalisées que les nationaux. Donc il est logique que de ce fait qu’une proportion plus importante de ces personnes bénéficient de ces aides au même titre qu’un résidant français. En tout cas l’ennemi c’est bien la misère et l’exclusion, non l’étranger.
Une autre notion qui pose aussi problème et fonde tout le socle du discours du FN est la question à la fois de la hiérarchie des « races » et des civilisations et le mélange volontaire dans certains de leurs discours entre l’affectif et le social.
Dire qu’il y a des différences entre civilisations, ne fonde en rien le fait qu’il puisse y avoir une hiérarchie entre elles, avec des « supérieures et des inférieures ». L’exemple cité par Mr Le Pen, sur l’affection, forcément différente, en intensité et nature, que l’on porte pour ses proches par rapport à des étrangers à sa famille, est une transposition inadaptée et monstrueuse par rapport aux sujets que nous traitons sur la différence de civilisations. Cet argument essaie de fonder ce qui n’est pas défendable ; à savoir le rejet de l’autre au nom de la proximité de sa famille sur le plan affectif : c’est une escroquerie intellectuelle, un mélange des concepts et des champs d’analyse des réalités sociales et humaines à visée xénophobe. De plus on rajoute subrepticement, la notion de hiérarchie à celle de différence et on mélange le plan affectif et le social. Quand on mélange ainsi les affects et les logiques d’organisation sociale on fait le socle des idéologies totalitaires (cf. écrits de W.Rech « la psychologie de masse du fascisme »). Hannah Arendt, Georges Orwell ont bien montré que les sociétés totalitaires sont construites sur le fait que certains principes de la vie affective, des valeurs émotionnelles et certains éléments d’irrationalité sont ainsi transposés du plan individuel au plan collectif. Cela donne le culte du chef, l’attachement indéfectible et irrationnel aux valeurs de sa culture, la croyance en la supériorité de sa culture (ou de sa « race » ) sur celle des autres, … L’Histoire est là pour nous le montrer.
Tout cela, Messieurs les « compagnons de route » du FN devrait vous poser question : allez- vous cautionner ces thèses dangereuses pour la cohabitation pacifique des peuples ? Ou préférez-vous les passer sous silence ? N’en voyez-vous pas les conséquences désastreuses ?
L’incapacité réelle, du PS et de l’UMP à trouver des solutions à la crise économique et sociale que nous traversons ne justifie en rien que l’on se rabatte sur le FN comme alternative. Le refus de la pensée unique en matière de politique économique, ne justifie pas la défense des propositions xénophobes du FN, hier ultralibérales, aujourd’hui protectionnistes et à visées sociales « sélectives » en faveur des nationaux.
Les français se doivent de construire une alternative cohérente qui ne tombe ni dans les ornières de la gestion sans perspectives des forces gouvernementales actuelles ni dans le discours du FN qui rend impossible à mon avis tout soutien à ce mouvement pour les raisons que j’ai exposé.
Ce projet ne peut être que démocratique, écologique et social sur la base des valeurs humanistes et laïques qui ont fondé notre République : ne nous fourvoyons pas dans de fausses solutions basées sur le rejet de l’étranger en tant que bouc émissaire. Mobilisons notre imagination pour élaborer une véritable porte de sortie à nos problèmes.
La France et l’Europe méritent mieux que le projet du FN et de Mme Le Pen !
Georges Fandos
Mail : georges[email protected]
Blog : http://georgesfandos.hautetfort.com
Notes :
(1) Ce débat s’inscrit de façon plus de façon plus générale sur le conflit, bien connu des anthropologues entre une conception qui valorise les approches universalistes ou différentialistes des cultures. Il porte plus précisément sur des discours politiques qui s’appuyant sur des conceptions différentialistes, que soutien le FN, en tirent des conclusions pour signifier l’impossibilité d’une coexistence et d’une construction démocratique commune à ces personnes et aux autre français.
Ce débat est d’autant plus important que ces thèses fondent la théorie et la pratique politique du FN bien au-delà de ces questions.
(2) Ces conflits ont été théorisés depuis longtemps par des chercheurs comme le philosophe Cornélius Castoriadis. Il montre les conflits existant entre les valeurs des mouvements démocratiques et des préceptes anti-égalitaires ou discriminatoires pour les femmes de certaines religions ou traditions (cf. ses écrits dans « l’Institution Imaginaire de a Société »). Mais cela concerne aussi bien les intégristes islamistes que juifs ou catholiques. L’instrumentalisation de la laïcité par le FN est patente du fait qu’il ne s’est jamais manifesté contre ces autres formes d’intégrismes et qu’ au contraire il sympathise avec certains d’entre eux, par exemple les colons juifs de l’extrême droite israélienne qui invoquent les textes sacrés pour justifier l’occupation du territoire en Palestine…
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