Liberté d’expression sur le Net : Nadine Morano n’aime-t-elle pas les chansons de Dorothée ?
On sait Nadine Morano prompte à dégainer dans beaucoup de circonstances. La presse et le Net sont remplis de ses déclarations à « l’emporte pièce » qui rappellent les « fulgurances » de son collègue et ami Frédéric Lefebvre.
Les faits :
En mars 2009, Nadine Morano avait envoyé à DailyMotion et YouTube une demande visant à obtenir « en urgence la date, l’heure et les adresses IP utilisées et tout élément d’identification, pour la mise en ligne des commentaires ci-joints des internautes, dont les pseudonymes suivent ». Dans la réquisition judiciaire s’en suivait donc une liste de pseudos. Trois mois plus tard, Sud Ouest révèle ce cas d’une mère de famille de Saint-Paul-Lès-Dax qui fait partie des personnes identifiées. Et l’on en sait désormais un peu plus sur la gravité des faits.
Dominique Broueilh , une internaute, sera entendue le 11 juin par un OPJ (officier de police judiciaire) du 36 Quai des Orfèvres, en fait la brigade de répression de la délinquance contre la personne. Nulles "Twin Tower", nulle autre attaque terroriste ou mafieuse. En fait, elle est convoquée pour « injures publiques envers un membre du ministère ». Il est reproché à cette femme de 49 ans d’avoir laissé le commentaire suivant : « Hou la menteuse », sous une vidéo de Nadine Morano « cuisinée » par un journaliste d’iTélé.
Elle à notamment déclaré au site Nounoupascale : " ... / ... je demanderai des dommages et intérêts que je souhaite reverser, le cas échéant, aux associations qui s’investissent dans la protection de l’enfance sur Internet. D’ailleurs, depuis la plainte, ça s’est beaucoup calmé. Qu’on ne soit pas d’accord avec moi, c’est légitime, mais il n’est pas légitime de m’insulter, ou qui que ce soit d’ailleurs, sur Internet. Je ne sers pas mon pays pour cela. Des fois, je vous assure, j’ai peur quand je tape mon nom sur Internet. Et je pense à mes enfants qui sont choqués par certains contenus ... / ... "
L’internaute incriminée par Nadine Morano est atterrée "Au début je n’y ai pas cru, mon mari et mes enfants non plus. Je me suis dit que ce n’était pas possible. Je ne l’ai pas insultée. Je ne me rappelais même plus de ce commentaire. Ça date de quelques mois. Pour moi, "Hou la menteuse", c’est avant tout une chanson de Dorothée. Je voulais faire de l’ironie" a expliqué l’internaute à Sud Ouest.
Injure publique ou entrave à la liberté d’expression, garantie par plusieurs textes, tant en droit français qu’européen
En France, c’est dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui consacre la liberté d’expression. Article 11 : "La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi"
Déclaration universelle des droit de l’homme de 1948
Les articles 18 et 19 consacrent la liberté d’expression, conjointement à la liberté de conviction et de religion :
Art. 18 : "Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites" ;
Art. 19 : "Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit" — Version française officielle de l’ONU
La Convention européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe
Le Conseil de l’Europe a ouvert à la signature à Rome, le 4 novembre 1950 sa Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, entrée en vigueur le 3 septembre 1953. C’est l’article 10 de cette Convention qui garantit la liberté d’expression :
"Article 10 – Liberté d’expression
1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire".
On remarquera le deuxième alinéa qui envisage que la liberté d’expression puisse être soumise à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi pour diverses raisons telles que la raison d’État, mais aussi, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui… (Voir le texte complet de la Convention ) - Source Les infostratèges
En conclusion (provisoire) il n’est plus possible de dire "s... je te vois" dans une gare ou "hou la menteuse" en commentaire sur un site au risque de se retrouver au 36 Q.... des O....... pour atteinte à la sûreté de l’état et injures publiques à ses représentants.
C’est embêtant, car il va falloir maintenant faire attention à ne plus citer des phrases ou chansons des schtroumpfs ou du manège enchanté. En effet, placés dans un autre contexte que celui dans lequel ces personnages évoluent peut vous mener devant les tribunaux. Car cette affaire prouve que Dorothée et ses chansons sont un symbole de la résistance au pouvoir en place !!! Alors, comparer la coiffure de l’ourson colargol avec celle d’une de nos éminences pourrait vous mener droit au gibet !
Et pourtant, en 2007, un certain Nicolas Sarkozy écrivait dans une lettre lue à l’audience durant le proces contre le journal charlie hebdo : "Je préfère l’excès de caricature à l’absence de caricature“. Excès de caricature : oui, mais "S... je te vois" et "hou la menteuse" : NON
Par contre, déclarer :
Et aussi :
Ne sont pas injurieux et ne donneront lieu à aucune intervention de la brigade de répression de la délinquance contre la personne.
Nous laisserons le mot de la fin à Nadine Morano pour mieux comprendre ce qui attend le Web et ses participants :
"Chacun peut comprendre qu’une trop grande consommation de médias nuit à la qualité des relations sociales, influe sur les résultats scolaires et sur la vie familiale », a expliqué Nadine Morano qui demande également qu’« à titre personnel, et au vu de la multiplication des affaires qui portent atteinte à la dignité des personnes, je pense qu’il faudrait instaurer une police internationale de la Toile. Je suis pour la liberté, mais aussi pour un « Code de la route » sur le Net."
Trop de liberté tue la liberté et trop de démocratie tue la démocratie. Refrain bien connu mais appliqué avec détermination ces derniers temps ...
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