Lionel Jospin en quelques commentaires
« Toutefois, aussi audacieux qu’Emmanuel Macron se soit montré dans la conquête du sommet de l’État et aussi énergique qu’il s’affirme dans l’action, son inexpérience politique lui a fait commettre des erreurs dans l’exercice du pouvoir. » (Lionel Jospin, le 3 septembre 2020, éd. du Seuil).
L’ancien Premier Ministre Lionel Jospin fête son 85e anniversaire ce mardi 12 juillet 2022. Sa place dans l’histoire politique de la France n’est pas mince puisqu’il fait partie des cinq dirigeants socialistes à avoir mené le parti socialiste au pouvoir, lui en juin 1997, après Léon Blum en mai 1936, Guy Mollet en janvier 1956, François Mitterrand en mai 1981 et avant François Hollande en mai 2012 (eh oui, inscrire ce dernier nom sur la liste peut paraître étonnant mais c’est ainsi).
En 2022 (et depuis même bien avant), Lionel Jospin fait figure de dinosaure de la vie politique, plus que tout autre, car il ne reste plus beaucoup de monde de sa génération ayant marqué profondément de son empreinte politique le paysage français. Sa vie politique s’est terminée comme un accident : lui, le Premier Ministre si populaire (ce qui est rare quand on est au pouvoir), favori de tous les sondages, s’est fait balayé dès le premier tour pour quelques centaines de milliers de voix de moins que le candidat Jean-Marie Le Pen. Son discours du 21 avril 2002 a déçu bien au-delà de ses fidèles partisans en se retirant définitivement de la vie politique, laissant provisoirement la place, pour mener les élections législatives de juin 2002, à François Hollande, premier secrétaire du PS depuis 1997 et qui le resta jusqu’en 2008 (plus longtemps que François Mitterrand).
Cette phrase a peut-être encore plus déçu que la "raclée" démocratique que les électeurs lui avaient donnée quelques heures auparavant. Dans son dernier livre "Un temps troublé", sorti le 3 septembre 2020 (éd. Seuil), il a ressassé encore et encore sur les raisons de son échec, accusant Jean-Pierre Chevènement et Christiane Taubira de l’avoir plombé : « À la fin des cinq années, la perspective d’ouvrir une nouvelle étape en remportant l’élection présidentielle était ouverte. Il aurait fallu pour cela que la "majorité plurielle", restée unie dans l’action gouvernementale, le demeurât au moment du rendez-vous décisif. En 1995, au premier tour, seuls le parti communiste et les Verts avaient présenté un candidat, tandis que les radicaux de gauche et le mouvement de citoyens étaient derrière moi. J’avais alors été porté en tête du premier tour. La reprise de ce dispositif aurait eu le même effet en 2002 dans un contexte plus favorable et cette fois, la victoire aurait été possible. En se présentant, Jean-Pierre Chevènement et Christiane Taubira en ont décidé autrement. Mon éviction, le 21 avril 2002, fut-elle juste la sanction d’années d’échec ? On peut en douter. Elle fut un cruelle déception pour la gauche, une divine surprise pour la droite (…). ».
Évidemment, cette permanente position victimaire que n’a jamais cessé de prendre Lionel Jospin ne correspond pas à la réalité, déjà parce qu’en 1995, il le rappelle d’ailleurs, la gauche n’était pas plus unie qu’en 2002, et à l’époque, le mouvement des citoyens et les radicaux de gauche ne représentaient pas beaucoup d’électeurs malgré la flambée radicale de gauche aux européennes de 1994 (due au seul Bernard Tapie). Lionel Jospin aurait donc été certainement présent au second tour, peut-être toujours premier candidat, si ces partis avaient présenté un candidat.
L’autre biais, c’est qu’il fait l’impasse sur ses propres impasses. Sa campagne était mauvaise, il disait que son programme n’était pas socialiste (mais les non socialistes n’en étaient pas pour autant rassurés), il a refusé de prendre en compte les problèmes de sécurité, il a critiqué son adversaire Jacques Chirac en dessous de la ceinture (sur son âge, etc.). Et surtout, il avouait l’impuissance de l’État face aux délocalisations, refusant de changer de perspective. La réalité, c’est que les électeurs de Christiane Taubira et de Jean-Pierre Chevènement, si ces deux-là n’avaient pas été candidats, n’auraient pas voté pour Lionel Jospin, sinon, ils l’auraient fait malgré la présence de leur candidat au premier tour. En outre, Jean-Pierre Chevènement s’était considérablement éloigné de la gauche pour cibler un électorat souverainiste majoritairement de droite très différent de celui de Lionel Jospin. Une élection n’a jamais été une arithmétique, elle est toujours une dynamique.
Le Premier Ministre battu a regretté amèrement sa phrase définitive sur son retrait politique car dès 2006, il devenait évidemment la statue du commandeur, l’homme providentiel qu’on aurait pu venir chercher au nom de l’intérêt national. Il a ainsi participé à l’université d’été du PS le 26 août 2006 et a déclaré neuf jours plus tard qu’il était prêt à « assumer la charge de chef de l’État ». Mais, enfermé dans ses propres propos, peu en vogue dans les sondages d’intentions de vote, et doublé par un couple d’ambitieux, Ségolène Royal et François Hollande, Lionel Jospin n’a jamais pu revenir sur le devant de la scène politique. Et lorsqu’en décembre 2014, pour succéder à Jacques Barrot mort subitement, le Président de l’Assemblée Nationale Claude Bartolone lui a proposé sa nomination au Conseil Constitutionnel, il n’a pas dit non, au contraire de Michel Debré qui cherchait encore à exister politiquement au début des années 1970 lorsque le Président Georges Pompidou lui avait proposé un même fauteuil.
Lionel Jospin a-t-il encore une influence dans le débat politique ? Nous dirons de moins en moins. Les jeunes générations ne le connaissent même pas. Le fait qu’il a été membre du Conseil Constitutionnel, et à ce titre, le devoir de réserve et de neutralité qui s’imposait, ne l’ont pas aidé à continuer à exister politiquement (son successeur Alain Juppé subit, volontairement, le même sort). En mars 2016, François Hollande l’avait même pressenti comme Président du Conseil Constitutionnel, à la fin du mandat de Jean-Louis Debré, mais finalement, son éternel rival Laurent Fabius a été choisi.
Profitant de son départ du Conseil Constitutionnel en mars 2019 (son mandat n’a pas duré neuf ans car il remplaçait Jacques Barrot nommé en mars 2010), Lionel Jospin a repris sa liberté et ne s’est pas privé de commenter l’actualité politique.
Récemment, le 12 mai 2022 sur BFM-TV, il s’est déclaré très réservé sur la politique du Président Emmanuel Macron à propos de la guerre en Ukraine : « Construire la paix autour de la seule thématique de ne pas humilier la Russie me paraîtrait une faute. Je veux dire par là que Poutine ne peut pas sortir vainqueur de cette guerre. (…) Nous avons une dette à l’égard des Ukrainiens. Et donc, la paix, le moment venu, devra à mon sens se faire sur des bases claires, celle dans laquelle l’agresseur n’est pas récompensé et celle dans laquelle la victime courageuse, résistante, voit ses exigences retenues et soutenues par le monde occidental. (…) Je me permets un peu, respectueusement, d’interpeller le Président de la République pour qu’il clarifie la position de la France quand sera venu le moment de la paix. ».
Malgré cette critique envers Emmanuel Macron, Lionel Jospin, qui soutenait Anne Hidalgo au premier tour, n’a pas hésité à annoncer son soutien au Président sortant pour le second tour de l’élection présidentielle, tant en 2022 qu’en 2017, et le 16 mai 2022, il pouvait même être très satisfait du choix présidentiel pour Matignon : en effet, Élisabeth Borne, avant d’avoir été la directrice de cabinet de la Ministre de l’Écologie Ségolène Royal entre 2014 et 2015, elle a été la conseillère transports du Premier Ministre Lionel Jospin entre 1997 et 2002 et donc, il la connaît bien.
Plus récemment et plus engagé, Lionel Jospin s’est opposé à la mélenchonisation du PS avec l’accord de la Nupes. En particulier, il a soutenu sur le terrain la candidate du PS aux élections législatives dans la 15e circonscription de Paris (une partie du 20e arrondissement), Lamia El Aaraje. Députée sortante élue le 6 juin 2021 avec 56,6% face à Danielle Simonnet (au premier tour, L. El Aaraje : 25,7% et D. Simonnet : 20,8%), succédant à l’ancienne ministre George Pau-Langevin nommée en novembre 2020 Adjointe à la Défenseure des droits et vice-présidente du collège chargée de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité, elle était favorable à la vaccination obligatoire contre le covid-19 mais contre le passe sanitaire.
Dans les accords entre FI et le PS, Lamia El Aaraje n’a pas été investie par la Nupes car elle n’était pas officiellement sortante, son élection ayant été invalidée le 28 janvier 2022 par le Conseil Constitutionnel pour une raison qui n’était pas de sa responsabilité (un de ses concurrents s’était présenté sous une fausse identité et avec une fausse investiture), Jean-Luc Mélenchon a préféré pousser une de ses militantes, Danielle Simonnet qui a eu l’investiture de la Nupes. Lamia El Aaraje a maintenu toutefois sa candidature en socialiste dissidente, soutenue donc notamment par Lionel Jospin, mais elle a été battue au second tour avec seulement 41,6% contre Danielle Simonnet (au premier tour, D. Simonnet : 47,3% et L. El Aaraje : 17,9%). Encore une défaite pour Lionel Jospin, ancien député de Paris (mais du 18e arrondissement).
Comme je l’ai indiqué plus haut, Lionel Jospin a commenté la vie politique dans son dernier livre ("Un temps troublé", éd. du Seuil), en particulier l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. Je propose quelques extraits de ses points de vue.
Lionel Jospin a diagnostiqué un déficit d’autorité pendant le quinquennat Hollande : « Paradoxalement, la gestion ordinaire des hommes et des choses où aurait dû s’illustrer la Présidence "normale" a entraîné la désaffection des Français. Ils ont été désorientés par un défaut d’autorité, l’absence de solidarité au sein de la majorité et la désagrégation d’une identité politique. (…) D’entrée de jeu, le Président Hollande avait renoncé à inclure dans son dispositif politique des représentants de ses soutiens du second tour : les insoumis, le parti communiste, voire François Bayrou. L’absence de tout geste à leur égard s’explique peut-être par l’écart qui existait entre leurs conceptions et par l’assurance de disposer déjà, grâce aux socialistes, aux radicaux de gauche et aux écologistes, d’une majorité confortable à l’Assemblée. Veiller à la solidité de la majorité restreinte choisie devenait d’autant plus impérieux. Or ni sa cohésion ni sa solidarité ne furent assurés. D’un côté, l’exécutif n’a pas été attentif aux doutes exprimés dans son camp (…). De l’autre, l’esprit de fraternité s’était émoussé (…). ».
Il a défendu la Cinquième République malgré ses premières impressions de 1958 : « Depuis De Gaulle, l’élection du Président au suffrage universel [direct] a été validée par les Français et le Général n’est devenu ni empereur ni roi. Notre pays a vécu dans la stabilité sous le régime de la Cinquième République pendant soixante ans. Faudrait-il bouleverser nos institutions, réécrire notre Constitution et entrer dans une Sixième République ? Je ne pense pas que l’urgence soit là. En réalité, notre régime politique est mixte. (…) Deux cohabitations courtes, en 1986-1988 et en 1993-1995, et une cohabitation longue, de 1997 à 2002, en ont apporté la démonstration. À mon sens, il n’est pas souhaitable, aujourd’hui, de se focaliser sur le débat institutionnel. (…) Un débat sur les institutions nous détournerait de l’examen des attentes réelles de nos compatriotes. ».
Sur les critiques contre le quinquennat dont il a été l’initiateur en 2000 : « La réduction à cinq ans du mandat présidentiel n’est certainement pas une cause du malaise politique ni de l’impopularité de nos Présidents. D’ailleurs, s’ils sont devenus impopulaires bien avant la fin de leur quinquennat, pourquoi vouloir leur accorder un mandat plus long ? ».
Il a commenté l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 ainsi que sa "griserie" : « De Gaulle avait de longue date des compagnons. Mitterrand s’était trouvé patiemment des camarades. Macron n’a que des fidèles récents ou des obligés. (…) Inconnu de tous peu d’années avant sa victoire, ayant forcé son destin seul, [Emmanuel Macron] ne devait rien à ceux qui l’ont suivi ou forment aujourd’hui son gouvernement. Le succès entraîne souvent une griserie. Et celle que procure la croyance d’avoir gagné seul est trompeuse. Cela s’est ressenti dans le comportement de notre Président. ».
Et de fustiger la double expression présidentielle : « Celle, maîtrisée et solennelle, des discours publics ou des interventions télévisées. Celle, improvisée dans l’instant, brusque, comme arrachée à l’homme par un incident ou une confidence. Les réseaux sociaux se sont chargés de répandre ce second type de langage. Or à plusieurs reprises, des propos abrupts, excessifs ou inexacts ont choqué l’opinion. Il y a du Nicolas Sarkozy chez Emmanuel Macron. Tous deux sont talentueux, ils ont le même goût du pouvoir et l’un et l’autre oscillent entre le désir de séduire et le plaisir de dominer. Les deux se sont laissés aller à de surprenantes "petites phrases". ».
Il a aussi fustigé la "fable du "grand remplacement" : « Conceptuellement, la thèse du "grand remplacement" est absurde en ce qu’elle suppose un peuple français originel. Quel est-il ? Quand s’est-il constitué ? Et quand a commencé le remplacement ? (…) [Les théoriciens de la substitution] n’ont pas de doute sur les acteurs actuels du "grand remplacement". Il s’agit des Maghrébins et des Africains, venus le plus souvent de nos anciennes colonies et qui sont généralement de religion ou de culture musulmane. (…) Pour les tenants du "grand remplacement", ces fractions de la population sont un danger pour l’identité de la France. Toutefois, cette thèse ne trouve guère de justification dans les faits. Partons de l’appartenance religieuse, puisqu’elle est le critère premier que mettent en avant les tenants de cette thèse. (…) 30% des immigrés de la deuxième génération vivent aujourd’hui avec un conjoint non musulman et le taux devrait logiquement augmenter pour les générations suivantes. Or les enfants ayant grandi dans ces familles religieusement mixtes ne se disent musulmans que dans la moitié des cas. (…) De plus, l’évolution du taux de fécondité (…) tend à se rapprocher, dès la seconde génération, du niveau observé en moyenne en France. On ne peut donc pas miser sur ce facteur pour anticiper une augmentation rapide du nombre des musulmans en France. La thèse du "grand remplacement" apparaît comme un fantasme. ».
Enfin, sur Jean-Luc Mélenchon qu’il a côtoyé longtemps au sein du PS et qui a été son ministre loyal : « Il a choisi d’adopter un ton véhément et une problématique politique "dégagiste" qui l’éloignent de la tradition et des méthodes du socialisme démocratique. ».
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 juillet 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Lionel Jospin en quelques commentaires.
Lionel Jospin, éléphant à la retraite.
Nomination au Conseil Constitutionnel (9 décembre 2014).
Le coup de Jarnac du 21 avril.
Lionel Jospin était le meilleur ! (22 janvier 2010).
Le jospinosaure, un ruminant qui rumine encore et toujours.
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