Loi Macron : la réalité-télé politique continuera tant que les acteurs resteront sur scène
La fausse dramaturgie de l'« adoption » de la loi Macron n'est qu'un nouvel épisode de la réalité-télé politique qui se joue depuis l'abandon de souveraineté après la ratification du traité de Lisbonne en 2008.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH179/Macron_Superman-5b2ba.jpg)
Peu importe finalement ce que contient la loi Macron : elle n'a pas été écrite pour être lue et déchiffrer 185 pages d'un fouilli législatif décourage les meilleures volontés d’entrée. Rendre illisibles les lois est bien entendu une vieille ficelle. On sait combien le procédé a été efficace lors de l'adoption du Traité de Lisbonne (1). Il n'est pas question que les citoyens comprennent quoi que ce soit à cette loi Macron, surtout après le mauvais souvenir, pour la classe politique, du référendum de 2005 . Un dessin animé avec Superman comme héros (voir l'illustration) suffira donc bien comme explication sur le site du gouvernement de Manuel Valls. On se demande bien jusqu´où peuvent encore aller le mépris et l'arrogance du gouvernement envers les citoyens.
Cette loi est dans la continuité de ce que les livres d´Histoire à venir appelleront le coup d'Etat du 8 février 2008, soit la ratification du traité de Lisbonne par la voie du Congrès et après révision sur-mesure de la Constitution française le 4 février. Ce coup d'Etat fut parfait : peu de personnes réalisèrent sur le moment la portée de cette ratification qui sonna le glas d’abord à la légitimité et ensuite à la souveraineté des institutions représentatives de la République. En effet 80% des lois sont depuis issues de Bruxelles, dixit Viviane Reding, commissaire européenne à la Justice de 2010 à 2014.
L'Assemblée, qui déjà n'avait pas grand pouvoir dans la Constitution de la 5ème République, est donc depuis devenue une simple chambre d’enregistrement. Mais elle reste bien utile comme paravent et comme éternelle pièce de théâtre, dramatique ou lyrique, hélas pas souvent comique, à même de fixer l'attention. Les rôles doivent rester pourvus : une soi-disant opposition, une soi-disant majorité, des soi-disant frondeurs, des fractions ici et là...
La dramatique « adoption » avec le recours du 49.3 de la loi Macron fut un nouvel épisode de ce théâtre continu. Cette loi bénéficiait de fait d'une large majorité. Posons-nous en effet la simple question : quelle raison la principale « opposition », l'UMP, aurait-elle eue pour voter contre ? Est-ce que vraiment la défense des professions réglementées peut peser face aux nouvelles "avancées" néo-libérales sur le travail le dimanche et la nuit, sur la justice prud'homale, sur le licenciement collectif, sur les plans sociaux... ? Comme tout le monde le sait, les origines de cette loi profondément néo-libérale ne sont pas à chercher dans le programme de F. Hollande en 2012. Elles le sont en revanche dans le rapport Attali de 2007 remis à N. Sarkozy et passé en relais à F. Hollande dans une belle continuité. Mais le rapport Attali n'est lui-même pas la source première. On s'en rapproche bien plus avec les Grandes Orientations de Politique Économique (GOPE) de l’UE, qui, elles, sont systématiquement oblitérées par les médias mais en revanche expliquées par le parti politique UPR. Il suffit ainsi de lire les GOPE de 2014 pour comprendre le lien dans le chaos des mesures annoncées (2).
Une fois l'adoption acquise, on veut ainsi s'étonner dans les rangs de l'UMP que lors du vote prévu de la loi Macron, donc le principal moment législatif de l'année et peut-être du quinquennat de F. Hollande, une commission interne à l'UMP avait été programmée. Comme le rapporte le Point, il revient au député Guénhaël Huet de mettre les pieds dans le plat : "Qui est l'imbécile qui a programmé une commission nationale d'investiture cet après-midi au moment où nous devons voter la loi Macron ?". Sauf qu'il n'y aucune raison que ce soit un imbécile, mais au contraire il est complètement logique que ce fut tout à fait voulu pour être sûr que la loi passe en éliminant de l'Assemblée quelques voix peut-être hostiles, ou en leur donnant un bon prétexte pour tout simplement ne pas aller voter. Ce petit coup de pouce incognito de l'UMP à la loi Macron finalement aura rendu l´utilisation du 49.3 inutile, sinon à avoir donné à l´épisode parlementaire une pointe de dramatisme à la gloire des "frondeurs", frondeurs qui ont depuis bien sagement regagné leur siège de député et gardé leur carte de parti après leur numéro.
Le théâtre politique continue donc entre grandes communions sous l' « esprit du 11 janvier » puis, un mois plus tard, déchirements dramatiques réglées à coups de 49.3. Il est possible que certains députés soient sincères (après tout il s'en est bien trouvé un à ne pas participer à la communion du 11 janvier ) mais dans l'ensemble il s'agit d'une mauvaise pièce de théâtre sans intérêt.
Tant qu'on discute du 49.3, des frondeurs, des fractions à gauche et à droite, tant qu'on chante à l'unisson la Marseillaise à l'Assemblée ou bien au contraire tant qu'on fait semblant de s'y déchirer, on ne parle pas de l’essentiel : l’Assemblée est une chambre d'enregistrement et le gouvernement de Paris ne fait qu’appliquer les volontés via notamment Bruxelles des grands intérêts financiers et industriels.
Ce grand théâtre est basé sur l'orchestration et la collision des partis politiques participant à cette grande tromperie et qui sont d'accord sur l'essentiel. En commenter le déroulement revient à donner de l'importance à une émission de télé-réalité. En effet la scène politique n’est pas différente aujourd'hui d'une telle émission : les acteurs politiques sont aujourd'hui bel et bien confinés dans un lieu clos, social sinon même physique, sous le regard sinon le contrôle des médias en permanence, les yeux rivés sur leurs courbes de popularité complètement dépendantes de ces médias. En fait il s'agit vraiment de réalité-télé, une réalité étrange où chaque action et parole sont en fonction des médias qui enregistrent continuellement et où chacun est tenu de ne pas évoquer l'éléphant dans le magasin de porcelaine : le transfert de pouvoir via Bruxelles qui rend vaine toute discussion sur les sujets essentiels. La fausse dramaturgie de l'adoption de la loi Macron en était un nouvel épisode.
Ce jeu continuera tant que le paravent sera encore nécessaire ou tant que ne soit pas élue une véritable alternative politique refusant de se plier aux règles de cette réalité-télé. Une telle alternative est, à l'exemple de l'UPR, libre de montrer l'éléphant du doigt ou, comme l´enfant dans le conte d'Andersen, dire que le roi est nu. Ce faisant, bien sûr, elle n'est pas la bienvenue dans les médias dominants. Le vrai clivage politique aujourd'hui est donc être soit à l'extérieur, soit à l'intérieur de ce contrôle médiatique (en être indépendant ou pas). C´est donc soit appartenir au monde réel, soit jouer son rôle dans la réalité-télé.
(1) Tribune de V. Giscard d'Estaing : "Le texte des articles du traité constitutionnel est donc à peu près inchangé, mais il se trouve dispersé en amendements aux traités antérieurs, eux-mêmes réaménagés. On est évidemment loin de la simplification. Il suffit de consulter les tables des matières des trois traités pour le mesurer !"
(2) Extrait du GOPE de 2014 :
« Le Conseil de l'Union Européenne recommande que la France s'attache, au cours de la période 2014-2015 [...]
- (4) à supprimer les restrictions injustifiées à l'accès aux professions réglementées et à l'exercice de ces professions, et à réduire les coûts d'entrée et à promouvoir la concurrence dans les services ;, [...] à prendre des mesures pour ouvrir le marché intérieur du transport de passagers à la concurrence avant 2019 ; [...]
- (6) à prendre des mesures supplémentaires pour lutter contre la rigidité du marché du travail, et plus particulièrement à prendre des mesures pour réformer les conditions des accords de maintien de l’emploi en vue d'accroître leur utilisation par les entreprises en difficulté [...] »
La loi Macron donne grandement satisfaction aux « recommandations » (en réalité exigences) du Conseil :
- sur le point (4) : déreglementation des transports en autocar, ouverture des professions réglementées
- sur le point (6) : assouplissement du travail le dimanche et la nuit, « réforme » de la justice prud'homale, nouvelles règles de licenciement collectif, plans sociaux proportionnés aux moyens des entreprises
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