Louis Mermaz et la frontière ténue entre sectarisme et hyperfidélité
« Louis Mermaz, ancien ministre, Président de l’Assemblée Nationale et figure éminente de la vie politique, nous a quittés à son domicile en Essonne. Son engagement au service de notre pays a marqué son histoire. » (François Durovray, 15 août 2024).
C'est ainsi que François Durovray a annoncé la mort d'un socialiste célèbre, Louis Mermaz, ce jeudi 15 août 2024 à son domicile de Limours, dans l'Essonne. Petite caractéristique, François Durovray, le président du conseil départemental de l'Essonne, n'est pas un socialiste mais un élu LR, qui s'est présenté aux dernières élections législatives contre Nicolas Dupont-Aignan (le candidat FI a gagné).
Sans doute Louis Mermaz a gagné l'estime de ses anciens adversaires politiques parce qu'il a quitté la politique pour entrer dans l'histoire politique du pays, ce qui devait être un grand honneur pour cet agrégé d'histoire. Il allait avoir 93 ans dans cinq jours et était présenté comme un cacique du mitterrandisme flamboyant (lui-même ne l'était pas vraiment, flamboyant) à l'humour plutôt caustique.
Il était décrit au mieux comme un froid et distant au pire comme un sectaire, et son acuité intellectuelle qui servait à la fois ses convictions dites socialistes et sa fidélité irrévocable à François Mitterrand, même après 1993 lorsqu'il s'agissait de faire un inventaire du mitterrandisme (voulu par Lionel Jospin choqué par quelques révélations à la fin de la vie de l'ancien Président), mais quand on le compare aujourd'hui avec ce qu'est devenu le parti socialiste, on peut se permettre de dire qu'intellectuellement, c'était-(quand-même)-mieux-avant. Une question de pointure politique et intellectuelle. Je n'ose même pas mettre Louis Mermaz à côté de l'actuel pâle premier secrétaire du PS, Olivier Faure qui, pourtant, s'est permis de le décrire avec quelques mots fades à l'occasion de sa disparition : « Son esprit vif nous accompagnait dans tous nos combats, jusque dans ces derniers jours. » prenant une heure vingt de retard par rapport à l'élu LR !
Les hommages se sont multipliés par la suite venant de ses anciens camarades du PS, en particulier Jean-Luc Mélenchon qui a loué un « vrai modèle de défense des libertés publiques et des droits de l’être humain, sans double standard et sans peur du qu’en-dira-t-on », tandis que l'ancien Président François Hollande (adversaire de Jean-Luc Mélenchon en 2012) a parlé d'un « militant exemplaire » qui alliait « érudition », « mémoire » et « humour ».
J'ai déjà décrit la trajectoire politique assez fascinante de Louis Mermaz, se choisissant une terre favorable à ses convictions socialistes : l'Isère, dont il a présidé le conseil général pendant neuf ans (1976-1985), Vienne dont il a été le maire pendant trente ans (1971-2001), et la France, dont il a été député pendant vingt-deux ans (1967-2001, avec deux échecs en 1968 et 1993) puis sénateur pendant dix ans (2001-2011). Louis Mermaz a fait partie des tout premiers mitterrandistes, rejoignant dès 1954 le ministre de la Quatrième République, le suivant dans sa traversée du désert gaulliste et sa lente conquête du PS (où il était le responsable très influent des fédérations départementales), et si ses mandats locaux ont été interrompus par des échecs électoraux très marquants (Alain Carignon gagnant le conseil général et Jacques Remiller, futur député UMP, la mairie), il fut hissé au plus haut niveau de l'État par sa fidélité et son amitié pour le premier Président socialiste de la République.
Espérant en 1981 le Ministère de l'Intérieur, Louis Mermaz a finalement obtenu le perchoir, premier Président socialiste de l'Assemblée Nationale de la Cinquième République, poste d'autorité pour cet autoritaire flegmatique qui dispensa quelques sanctions à des jeunes députés de l'opposition un peu trop combatifs (et futurs ministres eux-mêmes). Ministre d'un peu de tout pendant le second mandat de François Mitterrand, il était l'homme à tout faire, en particulier, le plan B ou C d'un Président qui lui a fait miroiter Matignon en 1983 et le premier secrétariat du PS en 1988 (il ne fut "que" président du groupe PS à l'Assemblée). Retournant à ses études d'historien à partir des années 2010, il s'est intéressé à Chateaubriand, après s'être penché, comme parlementaire, sur la situation déplorable dans les prisons françaises.
Dans son allocution d'accession au perchoir, le 2 juillet 1981, Louis Mermaz pensait que François Mitterrand démocratiserait plus les institutions, alors que son mentor, au contraire, les a rendues encore plus monarchiques dans leur pratique (mais Louis Mermaz n'a jamais voulu le constater). Il a cependant prononcé quelques belles paroles comme celle-ci, ordinaires : « Dans cette enceinte, j'aurai le souci de diriger vos débats avec impartialité. J'ai conscience d'être le Président de toute l'Assemblée et pas seulement de la majorité qui m'a élu. À ce titre, je serai le garant des droits de tous les députés qui sont l'expression de la souveraineté populaire et qui sont les représentants de la communauté nationale. ». Et de considérer avec prétention que l'expérience socialiste servirait de modèle pour le monde : « Nous sommes attentifs à l'immense espérance qui s'est levée dans le pays, à l'intérêt porté par tant de nations à ce qui est en train de se produire en France. Oui ! Nous sommes fiers de voir notre pays renouer avec ses plus hautes traditions démocratiques. Le Parlement (…) témoignera aussi pour notre pays hors des frontières, car le renouveau de la France concerne le monde tout entier ! ».
Sa réputation de pur et dur, Louis Mermaz l'a gagnée au congrès du PS à Valence, à l'instar de Paul Quilès qui reprenait (bien malgré lui) le rôle de Robespierre. S'exprimant le 23 octobre 1981, le nouveau quatrième personnage de l'État a mis en garde contre la social-démocratie avec un langage fleurant bon le XIXe siècle : « Tous les éléments d’une contre-révolution se mettent aujourd’hui en place. Il faut frapper vite et fort contre le sabotage de notre économie. (…) Le socialisme à la française ne peut se contenter d’un replâtrage du capitalisme. Il faut changer le système des valeurs, mettre l'accent sur la justice sociale et la solidarité. (…) Il faut montrer que le socialisme, ça marche ! ». Selon lui, les socialistes ne devaient pas se contenter d'être gestionnaires, car sinon : « on va dériver vers une vague social-démocratie et on débouchera sur un retour au libéralisme. ».
Son discours du 23 octobre 1981 était très idéologique : « La culture de l'argent pour l'argent, le placement de l'argent pour le seul profit bancaire, cette logique-là, nous la refusons ! (…) Il y en a qui voudraient bien (…) dresser autour de la France une sorte de cordon sanitaire. La lutte des classes à l'intérieur, la lutte des classes à l'extérieur, nous y voilà bien, et par la faute de qui ? Il faut que le gouvernement frappe vite et fort, il faut qu'il frappe vite et fort, s'il veut lutter efficacement contre le chômage, contre les hausses de prix abusives, contre le sabotage de l'économie, contre les complicités qui s'organisent au-delà de nos frontières. C'est ainsi qu'il rendra pleinement confiance aux travailleurs, aux agriculteurs, aux chefs d'entreprises, qui emploient dix millions de travailleurs, à toutes ces petites et moyennes entreprises qui appellent une autre politique du crédit et qui, selon la formule de François Mitterrand, ne doivent plus être la chair à pâté du grand capital ! ».
Mais les mots n'ont jamais su combattre les faits ni les exigences de la réalité. Assumant clairement son vote, Louis Mermaz, sans renier son socialisme, a voté pour Emmanuel Macron deux fois, en 2017 et en 2022. On peut toutefois retenir de lui sa provocation en 1981, à l'adresse de la droite, lorsqu'il a lâché : « Nous ne sortons pas des égouts. Nous savons nous servir de couverts à poisson ! ».
Le journaliste Michel Noblecourt, qui a rédigé sa nécrologie pour "Le Monde" le 15 août 2024, a qualifié Louis Mermaz de « prince de la Mitterrandie » et l'a décrit ainsi : « Fin lettré, volontiers tranchant mais diplomate à ses heures, il n’est pas enclin au compromis. Cet émotif un peu timide, mal à l’aise dans les discours publics, cache derrière une ironie acerbe et un humour caustique une grande sensibilité. ».
Des princes de la Mitterrandie, il faut reconnaître que cette année en est une évidente hécatombe depuis Noël dernier : Jacques Delors, Louis Le Pensec, Robert Badinter, Henri Nallet, Roland Dumas, et maintenant Louis Mermaz. Au-delà des ténors clivants et partisans, ils furent les acteurs historiques d'une période bien particulière de la vie politique française, celle marquée par la chevauchée socialisante de François Mitterrand tant dans l'opposition que, une fois élu puis réélu, au sommet du pouvoir pendant quatorze années. Ils appartiennent désormais à l'histoire, ce qu'a bien compris, au-delà des clivages partisans, François Durovray et ceux qui leur rendent hommage.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (15 août 2024)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Grognard du mitterrandisme triomphant.
Louis Mermaz.
François Hollande.
Jean-Luc Mélenchon.
Lucie Castets.
Roland Dumas.
Lionel Jospin.
Manuel Valls.
Jacques Delors.
Jean Jaurès.
Henri Nallet.
Ségolène Royal.
Najat Vallaud-Belkacem.
Frédéric Mitterrand.
Jean-Pierre Chevènement.
Robert Badinter.
Édith Cresson.
Patrick Kanner.
Olivier Dussopt.
Louis Le Pensec.
Gérard Collomb.
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Pierre Moscovici.
Jacques Attali.
Louis Mexandeau.
Joseph Paul-Boncour.
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Charles Hernu.
Pierre Mauroy.
Roger-Gérard Schwartzenberg.
Georges Kiejman.
Jean Le Garrec.
Laurence Rossignol.
Olivier Véran.
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Hidalgo et les rats de Paris.
Les congés menstruels au PS.
Comment peut-on encore être socialiste au XXIe siècle ?
Nuit d'épouvante au PS.
Le laborieux destin d'Olivier Faure.
PS : ça bouge encore !
Éléphants vs Nupes, la confusion totale.
Le leadershit du plus faure.
L'élection du croque-mort.
La mort du parti socialiste ?
Le fiasco de la candidate socialiste.
Le socialisme à Dunkerque.
Le PS à la Cour des Comptes.
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