Macron, ce séducteur
Durant cette campagne présidentielle les médias ont clairement choisi leur chouchou en la personne d'Emmanuel Macron, les journalistes vedettes des médias mainstream en étant tellement proche culturellement et politiquement. Son réseau personnel et professionnel acquis comme haut fonctionnaire, ministre ou banquier d'affaire lui ont également permis de financer aisément sa campagne électorale. Mais l'analyse du phénomène Macron, maintenant Président, serait tronqué si l'on en restait là.
Ce n'est pas non plus le programme d'Emmanuel Macron qui a convaincu les français, un programme d'ailleurs publié seulement quelques semaines avant le premier tour. Les raisons du vote Emmanuel Macron au second tour, selon plusieurs sondages, ont été plus stimulées par le rejet de Marine Le Pen ou par la volonté de changement politique[1]. Ce serait donc une erreur d'analyser sa victoire que d'un point de vue rationnel. Son programme est d'ailleurs dans ses grandes lignes la poursuite des politiques des précédents quinquennats. Pourquoi alors le président sortant serait-il aussi impopulaire ?
Il est ainsi préférable d'analyser également les raisons de son élection à un niveau plus émotionnel. Somme toute la politique est plus une affaire de ressenti que de réflexion. Les dernières élections ou referendums nous ont clairement illustré ce propos. Les électeurs ont répondu favorablement à des propositions irrationnelles et infondées, les fameuses « fake news ». Rappelons-nous des élections américaines, des référendums britannique et colombien dont les victoires réactionnaires usèrent d'arguments fallacieux pour ne pas dire totalement faux. L'électorat est d'autant plus réceptif à ces arguments de la « post vérité » qu'il se trouve dans une situation sociale difficile et que les médias mainstreams excluent ou moquent les alternatives possibles au modèle néolibéral[2]. Une véritable alternative écologique, économique et sociale exige ainsi un changement d'hégémonie culturelle et un bouleversement des paradigmes de vie qui ne sont pas encore majoritaire dans ce pays.
Ainsi, durant la présidentielle française nous avons éliminés au 1er tour le programme de la France Insoumise, probablement le programme le plus détaillé et même le seul officiellement chiffré, qui répondait à la fois aux urgences écologiques et sociaux. D'autre part, le programme, austère, sérieux de François Fillon tout comme son personnage (en plus de corrompu) n'a pas suffisamment emballé les électeurs pour lui permettre de se qualifier au second tour.
Les deux candidats qualifiés pour le second tour, Marine Le Pen et Emmanuel Macron ont utilisé tous les deux un registre beaucoup plus émotionnel. La finaliste d'extrême droite a joué sur le registre de la peur et sur le désir du repli sur soi. Les attentats d'une extrême violence sur le territoire français, les conditions économiques et sociales, la crise des « migrants » ainsi que des issus électorales surprenants le monde médiatique, comme le brexit ou l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, ont alimenté le discours anxiogène de Marine Le Pen.
Pour sa part le nouveau Président français, Emmanuel Macron, choisit une campagne axée sur une narrative optimiste et positive, se tournant résolument vers l'avenir en embrassant avec détermination et opportunisme une mondialisation forcement heureuse. Ces discours et interventions le montraient comme une personne souriante, agréable, dynamique, voulant entraîner avec enthousiasme les français dans sa vision du monde. C'est ainsi qu'il utilisa abondamment des mots « ensemble », « mes amis », « avec vous », qui cherchent à inclure ses militants et sympathisants au projet qu'il portait. Il s'opposait également aux sifflets ou hués envers ses adversaires, ce qui au premier abord semblait niais, mais néanmoins le montrait comme une personne non agressive, beau joueur, ne cherchant pas la confrontation habituelle au monde politique et laissant ainsi le ressentiment aux militants des autres partis.
En regardant le reportage Emmanuel Macron - Les coulisses d'une victoire[3] il apparaît comme un leader d'équipe qui ressemble plus à un manager d'une « team » du secteur privé qu'à un homme politique. Il y a un passage qui m'a particulièrement interpellé, c'est lorsque Macron harangue ses troupes deux semaines avant le premier tour. Il leur dit clairement qu'il faut mettre toute l'énergie possible dans cette fin de campagne car c'est « celui qui en veut le plus qui gagnera ». Il ne parle pas de convaincre sur son programme, il parle réellement d'énergie à transmettre aux électeurs. C'est ainsi que l'on peut comparer la campagne de Macron à une start up politique avec ses stratégies et ses gains exponentiels. Ses concurrents sur le marché politique en ont fait les frais...
D'autre part, le personnage Macron, en rompant les barrières sociales et culturelles tant dans sa vie privée que dans sa vie professionnelle, est un personnage qui peut fasciner nombre de français en manque d'inspiration. C'est ainsi qu'il a épousé son ancienne professeure par exemple, ou qu'il devint millionnaire en étant gérant adjoint de la banque Rothschild. Il ne s’embarrassa pas non plus à suivre le cursus classique du politique pour se présenter à l'élection présidentielle jusqu'à les remporter... C'est ainsi qu'il a construit une image de « golden boy » à qui tout réussi. Il est clair que ce rêve à l'américaine où tout est possible a dû attirer bon nombre de nos concitoyens.
Les français avaient de ce fait pour choix au second tour deux options au contenu fortement émotionnel qui cherchaient à stimuler notre cerveau reptilien. Marine Le Pen utilisa une émotion fortement négative comme la revanche, le repli sur soi, la haine de l'Autre. Au contraire d'Emmanuel Macron qui s'appuya sur un contenu émotionnel positif fort, optimiste et dynamique à la fois. Après de nombreuses années de crises, économique, sociale, politique et sécuritaire, les français ont donc décidé de sortir par le haut, émotionnellement parlant, en marchant vers l'avenir accompagné par un dirigeant qui les aura plus séduit que convaincu.
Bien que cette option fût choisie, la France reste fortement divisée et il semble que d'autres options peuvent rapidement se retrouver majoritaires dans le pays. La dynamique peut changer rapidement surtout si les français se rendent compte qu'au-delà des sourires, des belles paroles et photos, ils retrouvent les mêmes idées sociales libérales chez le nouveau président qui ont fait échouer ses deux prédécesseurs. Prochain défi d'Emmanuel Macron : prolonger la lune de miel avec les français et continuer à leur vendre du rêve.
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