Macronisme et démocratie
Face aux grèves et aux manifestations d’opposition à son projet de réforme des retraites, le gouvernement en appel au respect de la démocratie par les manifestants, les syndicats et les partis d’opposition. On peut, alors, comprendre que seuls le parti présidentiel et ses affidés agiraient dans le cadre d’une règle qui serait celle voulue par la démocratie. Parés de cette vertu démocratique ses représentants rejettent toute opposition comme étant antidémocratique et vouent les opposants à la « fosse aux lépreux » et manifestent de leur pureté démocratique par des incantations qui ne sont pas sans rappeler « L'isolement des lépreux au Moyen-Âge ». On fustige les oppositions, on dresse des anathèmes, on lance des opprobres dans un vaste mouvement qui consiste à rejeter les opposants hors du débat démocratique puisqu’on leur dénie tantôt le statut de représentants du peuple tantôt le statut d’honnête citoyen ; le parti présidentiel relègue les opposants à sa réforme hors de la société et, en tout cas, leur refuse le droit d’être des démocrates. On exclut du débat les opposants en discréditant leur discours et leurs actions, les reléguant hors de la démocratie comme jadis on séquestrait les lépreux au cours d’une cérémonie assez macabre : « La séquestration se faisait avec solennité. Un prêtre allait chercher le lépreux dans sa demeure et le conduisait à l'église sur une civière et couvert d'un drap noir tout comme un mort. […] L'officiant par trois fois jetait une pelletée de terre du cimetière sur la tête du ladre, en disant : tu es mort au monde » ; le ministre de l’Intérieur a remplacé la pelletée de terre par un flot de propos odieux et méprisants du niveau de ceux d’une cour de récréation d’école primaire.
Voilà le décor planté, les protagonistes positionnés. Reste à décrire le fond de l’intrigue : la démocratie.
Démocratie fait partie de ces mots vertueux, comme l’évoquait le sociologue Michel Cattla à propos du mot innovation, qui ont perdu leur sens, leur consistance linguistique. Chaque politicien a sa propre version de la définition de la démocratie, une définition le plus souvent à géométrie variable pour s’adapter aux circonstances et aux besoins de la démonstration politique du moment. Dans ce contexte d’une sémantique aussi floue qu’opportuniste il n’y a rien de surprenant que d’entendre (BFM-TV lundi 30 janvier 2023 à 22h26) le porte-parole du parti présidentiel, tel un bateleur de foire, asséner sous couvert de règle démocratique une approximation qui confère à son propos une volonté de tromper l’auditoire, dire « c’est le parlement qui vote la loi, la rue n’a pas voix au chapitre ce n’est pas la rue qui va faire la loi ». Sur un plan purement formel la rue ne fait pas la loi, mais elle l’inspire car la loi doit être faite pour elle. Il n’est donc pas surprenant que la rue s’exprime quand elle pressent que la proposition de loi peut lui être néfaste. De la même façon, en présence d’une telle surdité de la part des gouvernants, il est normal que les partis d’opposition et surtout les syndicats (représentants de la « Rue ») appellent à s’opposer, et la « Rue » peut éventuellement s’opposer dans la violence, à la proposition gouvernementale dans l’esprit de la désobéissance civile conceptualisée par Henry David Thoreau au 19e siècle et développée par Sandra Laugier et Albert Ogien dans leur livre « Pourquoi désobéir en démocratie ». N’oublions pas, contrairement aux macronistes et aussi d’autres, que c’est grâce à des mouvements que l’on peut inscrire dans le concept de désobéissance civile que s’est construite notre société : 1789, 1830, 1848, 1870 auxquelles il faut ajouter les grands mouvements sociaux avec grèves et manifestations.
Alors qu’il reproche aux partis d’opposition de ne présenter aucune proposition et de se cantonner dans un système de fausses informations, ce même porte-parole assène un chapelet de postulats qui n’ont de vérité que sa croyance dans la parole du gourou et d’objectif que de conforter dans cette croyance les affidés du parti présidentiel. Ce mantra, de fait et par essence, interdit tout débat. Le système de communication est tel qu’il peut même aller jusqu’à produire des contre-vérités comme lorsque le porte-parole énonce que le système de répartition ne concerne que les travailleurs actifs et tient les entreprises en dehors ; c’est une erreur historique monumentale qui montre le manque de culture de certains politiciens. Quand le système actuel de retraites a été mis en place au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les entreprises participaient à son financement, elles cotisaient en reconnaissance de la « valeur du travail fourni par les salariés » qui contribue au bien-être de l’entreprise. Dès le début des discussions le patronat s’était opposé au paiement de cette cotisation, depuis quelques décennies les cotisations ont changé de nom, pour devenir des charges dont l’actuel président de la République exempte allègrement les entreprises donnant raison, 70 ans après la création du système de retraites, aux revendications du patronat d’alors. Peut-on faire vivre une démocratie en élaborant son discours suivant le principe d’un mantra basé sur du mensonge et de la falsification, notamment de l’histoire ?
Voilà que les bateleurs du macronisme sont aussi des faiseurs qui fabriquent une vérité propre à servir la stratégie du chef. C’est bien ce que signale un député macroniste du sud de la France lorsqu’il déclare en parlant de son parti : « On ne gouverne pas la France avec des tableaux Excel, mais avec de l’envie et une vision. Aujourd’hui, on manque d’humilité et de compassion dans nos annonces. » Mais, pour avoir une envie d’un monde meilleur et une vision du chemin à parcourir il faut écouter la « Rue » qui dit ses aspirations, ses difficultés, ses espoirs, sinon on conduit une politique de l’entre‑soi qui ne vise qu’à ajouter du bien-être à ceux qui déjà vivent dans l’opulence : ça doit s’appeler une « politique pour les riches ». En observant le porte-parole du parti présidentiel on mesure à quel point il est un clone de son chef de parti qui agit plus en gourou qu’en gouvernant. À travers lui on a l’image d’un parti élevé en secte du néocapitalisme d’où tous ceux qui n’adhèrent pas à cette philosophie sont exclus comme l’exprime souvent le chef de l’État lorsqu’il dit qu’il a été élu sur la base d’un programme et qu’il doit mettre en œuvre ce programme coûte que coûte. Pourtant, lui-même reconnaissait il y a quelque mois qu’il avait été élu plus dans un mouvement d’opposition à l’extrême droite que sur sa ligne politique. Quoi qu’il en soit un programme politique n’est qu’un indicateur de la philosophie générale du candidat d’un parti à une élection ; une fois élu le candidat devrait mettre en place une gouvernance reposant sur analyse des situations et une écoute des citoyens. Avec l’arrivée de Michel Rocard comme Premier ministre d’un président qui n’était que légèrement teinté de socialisme, la donne a changé en faisant de la doctrine du candidat élu un élément prévalent sur la philosophie générale du parti. Si bien que depuis quatre quinquennats les citoyens sont plus sollicités à voter pour un catalogue de mesure que pour une philosophie politique. Aujourd’hui le président de la République ne représente que lui, pas un parti avec une philosophie politique, et nous sommes dans l’ère du marketing : il s’agit de vendre, non pas des idées ou une vision du monde et de la société, mais un candidat avec un catalogue de mesures ponctuelles et souvent parcellaires qui n’ont pas pour objectif de concourir à une amélioration du bien-être des gens ; leur unique but est de répondre ponctuellement à des problèmes en fonction d’une idéologie économique où souvent l’élu présente des solutions alors qu’il n’a pas connaissance du problème ni même, d’ailleurs, s’il y a réellement un problème. À la place d’idée, de pensée et de créativité politique, on se retrouve avec un empilement de tableaux Excel comme dans un rayon de supermarché. La politique du gouvernement n’est alors que de la gouvernance d’entreprise, sous couvert de pragmatisme ! Là, rien de surprenant à la désaffection des citoyens pour les suffrages : à quoi bon aller voter alors que rien de ce qui est fait l’est pour nous ; en conséquence de soi la temporalité des élections perd son sens et sa valeur : à quoi bon attendre 5 ans pour changer de représentant si sa politique nous apparaît néfaste…
La politique ne devrait pas n’être qu’un bazar avec ses rayonnages, elle devrait apporter un souffle à l’humanité. Pour cela il faut que les politiciens rangent leur catalogue de mesures et écoutent la rue. C’est ce qu’écrivait Albert Camus : « La démocratie, ce n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité ». Considérant que la majorité est celle acquise par le suffrage, dont il faudrait aussi reconnaître l’hétérogénéité des votes et de leur intention, la majorité présidentielle a le devoir impérieux d’écouter la « Rue » qui, convenons-en, est une minorité importante au sens du suffrage mais qui, au sens de la société, est une majorité éclatante de sens. À ne pas écouter et prendre en considération ses citoyens le pays court le risque d'un embrasement comme l’évoquait Martin Luther King en 1967 à Stanford lorsqu’il disait qu’au bout du compte, l’émeute est le langage de ceux qui ne sont pas entendus. La démocratie, n’en déplaise au macronistes, n’est faite que de compromis comme l’écrivait le philosophe Paul Ricoeur : « Nous n’atteignons le bien commun que par le compromis entre des références fortes mais rivales ».
Quoi qu’il en soit il n’y aura vraisemblablement pas d’insurrection populaire, bien que celles de jadis n’aient été prévues que par les historiens à postériori de leur survenue, même si la loi devait être adoptée de façon totalement antidémocratique par une de ces articles voyous de la Constitution : le 49-3 et le 47-1, parce que de nos jours comme l’écrivait déjà en son temps Aldous Huxley : « On invite l'homme actuel à se regarder le nombril plutôt que d’exercer sa volonté et son courage ».
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