Madame Jacques et Monsieur Bernadette bientôt libérés
Pendant que Ségolène testait son nouvel ensemble rouge à Villepinte, les Chirac s’étaient invités sur le service public pour évoquer leur histoire, leur famille, leur vie, leurs pièces jaunes et l’omelette. C’était Drucker qui officiait, ça ressemblait à un grand pot de départ, une sorte d’adieu aux ors.
Le temps n’incitant pas à la balade, dimanche dernier le canapé s’imposait d’emblée pour passer le temps. Dès la mi-journée, Bayrou tentait de démarrer Ferrari sur Canal+, sur son air très connu du « tous les médias sont aux ordres mais les Français en sont pas dupes ». Les grandes oreilles du Béarn s’humidifièrent un instant à l’évocation d’un père parti trop tôt, mais dont il assurera n’avoir « jamais manqué ». Au moment où ce soi-disant « troisième homme » de la course à l’Elysée parlait tracteur et simplicité, la « première femme » s’apprêtait à entrer sur le terrain, enfin, à Villepinte, le rouge mis, et les cordes vocales bien entraînées pour édicter et articuler comme elle sait le faire les « 100 » propositions issues du brain storming participatif « inventé » par Julien Dray et Jean Louis Bianco. Ségolène Royal allait elle aussi jouer sur la corde sensible, son petit poing serré contre son ventre pour répéter qu’elle agirait pour la jeunesse de « ce pays » comme elle l’aurait fait pour « ses propres enfants ». C’était beau à pleurer selon les groupies, selon Lambert Wilson peut-être aussi, mais c’était quand même bien moins drôle que le silence de plus en plus audible de Montebourg, porte-parole suspendu plus pour longtemps.
Bayrou sur Canal, Ségolène à Villepinte et...Bernadette Chirac chez Michel Drucker, sur France 2, dans « Vivement Dimanche », assurément LE rendez vous le plus guetté de ce dimanche, celui en tout cas qui fera le plus d’audience, de loin. Pas de proposition à attendre, pas de grandes promesses, rien sur le salaire minimum ou la démocratie participative, peu de choses à vendre, en fait, si ce n’est du Chirac. Du Chirac qui construit des hôpitaux pour les enfants malades, du Chirac qui donne de l’argent pour les personnes âgées hospitalisées, du Chirac qui souffre dans sa chair de l’anorexie d’une de leur fille. Du Chirac façon sœur Emmanuelle, du Bernadette Chirac, donc, tout en coiffure et en haute tenue, port de tête impeccable, élocution précise, savoir vivre manifeste. Madame Jacques Chirac, comme la présentera, debout, Michel Drucker, invitée d’honneur, une fois de plus de ce « On refait la messe », rendez-vous inoxydable du service public dominical. Sur le canapé de Mimi, on ne s’allonge pas, on se redresse. On ne s’explique pas, on se fait reluire. Le public bade, les invités servent de glaçage, rien n’intervient qui ne soit pas de niveau, impeccable, d’aplomb. C’est le système Drucker. Dans ce loft-là, évidemment, Bernie se trouve comme une carpe dans un étang de Corrèze. Tout à son aise. Chimène Badi a beau chanter, rien n’y fait, aucune fausse note ne peut venir troubler l’ensemble. On parle pièces jaunes, Fondation des Hôpitaux de France, grands sentiments, Maison de Solène, anorexie mentale, souffrance d’une mère, d’un père face à l’impossibilité de communiquer avec un enfant malade, lutte contre la pédophilie sur internet. On compatit, mais on s’ennuie un peu. Heureusement que le sourire en dents de scie de Michel Drucker est là pour détendre les strings, sinon on connaîtrait la même émotion que les Ségolénophiles de Villepinte, tous aux larmes (citoyens) face aux trémolos de leur favorite. On est rarement ému, de toute façon, chez Drucker, il a cette façon de botter en touche quand il faut, une sorte d’anti-Delaruisme primaire qui lui évite certains fossés. Et puis, ce n’est pas du direct.
Les hôpitaux passés, et le match de rugby gagné par de vaillants bleus fatigués mais tenaces, les tréteaux et les chaises repliés à Villepinte, Bayrou sur son tracteur ou dans son QG de campagne, c’était l’heure de la fin de Vivement Dimanche, que ce gendre idéal cycliste de Drucker a gentiment appelé « Vivement Dimanche prochain ». L’heure en général où tout se dénoue, y compris les blagues, y compris les portraits dits « incisifs » de la petite rondouillette et pas très douée Faustine Bollaert, y compris les imitations plus ou moins réussis de Canteloup, y compris les spécialités culinaires de Coffe. Cette fois-ci, avant-hier, point de Faustine, mais Coffe, et Canteloup. Point de Faustine, pour cause de... Jacques Chirac (Monsieur Bernadette Chirac). Un Jacques Chirac qui parle « pour la première fois », insiste Drucker, de Bernadette, intimement, publiquement. Et effectivement, on retrouve le Chi, dans on palais, à l’aise et détendu, sans oreillette visible, qui répond aux question d’un Drucker fiché, attentif, sur des œufs. « Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec celle qui allait devenir votre épouse ? » « Comment l’avez-vous trouvée ? » « Quand avez-vous décidé de vous marier ? » « Est-ce que c’est elle qui vous a poussé à faire de la politique ? ». Et le Chi, pas avare en mots, sans frais de bouche, y va de ses souvenirs, Sciences Po, les premiers exposés, l’audace de Madame, son courage, sa ténacité, sa volonté. Plus tard, il évoquera ses mentors, De Gaulle et Pompidou, ce dernier qui le premier l’a poussé en politique, et puis sa famille, ses enfants, son sentiment de n’avoir « pas suffisamment pu être auprès d’eux », d’avoir « manqué quelque chose ». Un Chirac à l’aise, qui reparle de sa femme « tortue » (« elle aime les tortues, elles les collectionne, elle est lente, c’est comme ça ») tandis que lui est plus impulsif, plus impatient. Un Chirac presque mitterrandien (qui ne l’est pas en ce moment ?) en réponse à la très attendue interrogation du jour, « Y a-t-il une vie après la politique » : « Il y a une vie oui, jusqu’à la mort » répondra en substance le locataire en fin de bail.
De retour sur le canapé aussi rouge que Ségolène, Michel demande sa réaction à Bernadette, qui se dit « émue », expliquant que ce n’est pas dans leur habitude de se « livrer » ainsi. « Nous sommes très pudiques », dit-elle, très touchée d’entendre « son mari » parler ainsi. Mais pas d’accord sur le fait qu’il n’ait pas été là « pour ses enfants ». « C’est un père admirable, attentif, présent, qui ne nous a jamais manqué » dit-elle. C’est là le pic émotionnel de la prise d’hostie druckerienne. Ensuite vient l’omelette. Quatre œufs qu’on bat, une poêle chaude dans laquelle un peu de beurre a fondu (vous pouvez aussi la faire sans beurre avec des pommes de terre et de l’huile) les œufs dans la poêle, quelques minutes, et le tour est joué. L’omelette de Coffe recevra l’approbation de madame Chirac. Puis on parlera chien, on visitera les appartements privés (« Ca va vous manquer ? » demandera Michel « Oui, bien sûr » répondra Bernadette) et Drucker posera à madame Jacques la même question qu’à monsieur Bernadette : « Y a -t-il une vie après la politique ? », question à laquelle la première dame de France répondra par un couplet sur sa Fondation, ses Hôpitaux, la souffrance des enfants, des adolescents, des personnes âgées hospitalisées. « Il y a tant de choses à faire. » Canteloup pourra alors imiter Ségolène, Nicolas, Miss France, Douste-Blazy et De Villepin(te ?), rien n’y fera, le sourire restera de rigueur, un peu poli, un peu forcé parfois sur le visage de la vieille dame droit dans ses escarpins, qui n’a pas qu’un château dans son Espagne, sa Corrèze, qui est incontestablement « dans les cartons », mais qui ne se fait pas de cheveux blancs quant à son avenir. Leur avenir.
C’est la méthode Coué des personnes âgées d’évoquer l’avenir, pour conjurer le présent qui ne leur offre que le passé comme miroir. L’avenir pour ceux de chez la politique ne s’écrit pas une fois la politique finie. Il se contente d’avancer « jusqu’à la mort », pour reprendre l’expression de Chirac lui-même. Les titres restent, « Président », « Premier ministre » mais l’île de Ré seule respire encore, un isolement, un exil. Une fin.
Dimanche dernier, pour Drucker le plein de voix, la meilleure audience de son émission (6,5 millions de vainqueurs de l’Irlande devant leur poste au moment des petits adieux de monsieur Bernadette et de madame Jacques), et pour la politique, donc, le crépuscule d’une génération au bord de l’extinction, remplacée par d’infidèles rejetons de 20 ou 25 ans leurs cadets, une ancienne génération qui n’aura que sa mémoire (et quelques strapontins constitutionnels) pour exister encore, tant bien que mal, dans l’imaginaire collectif.
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