Notre président, Nicolas Sarkozy, a pris la parole hier soir. Je prends le pari de rédiger ce billet la veille, sans trop de risques de me tromper. Au besoin je rectifierai quelques lignes après son intervention si c’est vraiment nécessaire.
Il veut s’exprimer, car il sent bien le désarroi de la grande part des citoyens. La crise est là, concrète par toutes les nouvelles que nous donnent les médias et tout particulièrement en ce qui concerne l’emploi. Chaque jour de nouveaux chiffres de licenciements en cours ou programmés confortent ces inquiétudes. La semaine dernière une forte mobilisation dans toute la France a ajouté à la pression que doit ressentir le président.
Les Français, mais c’est sans doute vrai dans de nombreux pays occidentaux, leur principal souci c’est l’emploi et le pouvoir d’achat. Des réponses concrètes sont attendues par rapport à ces préoccupations. Je crains que la déception soit grande, parce que les moyens pour y répondre n’existent pas. Et les gens le savent bien, ce qui ne les empêchent pas de continuer à les exprimer. Beaucoup déclarent qu’ils ne seront pas derrière leur poste ce soir, façon de sanctionner le chef de l’État qui les écoute sans les entendre. Ils se contenteront des comptes rendus à la radio le lendemain, car ce qui sera dit les intéresse naturellement. Je parie fort que parmi ceux qui prétendent vouloir faire ce boycott il y en aura qui rejoindront tout de même les autres avec une petite pointe d’espoir au fond du coeur. Un peu comme on achète un billet de loterie, sachant très bien qu’on ne gagnera pas, mais, que, sait-on jamais, même si l’on n’est pas dupe, ce genre de miracle n’existe pas.
Au-delà de cette préoccupation à court terme, d’autres choses plus importantes, dont il serait urgent de prendre conscience, se cachent derrière l’inquiétude des citoyens :
- Une sorte d’angoisse face à la crise en cours et aux autres qui nous sont annoncés de plus en plus fortement,
- la perte de confiance vis-à-vis des principes qui nous gouvernent,
- des sentiments d’injustice et de révolte en raison de l’indécence affichée par des nantis qui s’octroient les richesses de manière tout à fait injustifiée,
- une très forte perception de la nécessité du changement de notre société, de nos modes de vie, de nos comportements. Les systèmes actuels sont insupportables.
Il est bien certain qu’il n’y aura aucune véritable réponse à ces interrogations pourtant fondamentales. C’est surtout pour cela que l’intervention de ce soir ne pourra apporter que déception.
Mais alors, que faire ?
Lorsqu’un incendie ravage une forêt, des pompiers interviennent pour tenter de le circonscrire, tout en protégeant les populations en danger et leurs biens. Ils font face à l’urgence pour éviter les catastrophes humaines. D’autres beaucoup plus loin vont installer des contre-feux afin de le maîtriser.
En politique également, on se dépêche d’apporter des réponses aux nombreux problèmes qui surgissent en permanence. Les moyens utilisés sont insuffisants, la technique des "contre-feux" n’est pas employée. Élection après élection, on constate que rien n’est vraiment réglé.
Aujourd’hui l’urgence est bien là. Évidemment, il est indispensable de répondre à la précarité grandissante et à l’augmentation du nombre de situations très difficiles pour faire face à la vie de tous les jours. Quelle est la meilleure méthode ? La relance par l’investissement ou par la consommation ? Il faut certainement un peu des deux. Les solutions proposées seront discutables à juste titre. Mais ce qui est clair aussi c’est que les moyens qui seront mis en oeuvre seront insuffisants.
Le Fonds Monétaire International, organisme auquel on peut faire confiance, annonce une croissance quasiment nulle dans le monde en 2009.
Le Bureau International du Travail, tout aussi crédible, prédit pour cette année 50 millions de chômeurs supplémentaires sur l’ensemble de la planète, dont 5 à 6 en Europe.
La fondation Abbé Pierre dans son rapport annuel indique que 600.000 personnes vivraient en France avec une allocation de solidarité de 628 € par mois. Il y aurait 3,5 millions de mal logés, voire très mal, ou sans logement.
La déception est grande également en ce qui concerne la politique de sauvegarde de l’environnement. Crise oblige, on met cela entre parenthèses pendant quelque temps, alors même que ce combat fait partie intégrante des changements indispensables pour que notre société revienne à la raison.
Ce sont quelques exemples qui illustrent le pourquoi de la forte inquiétude ambiante. Comment dans ces conditions espérer un redémarrage sérieux alors que l’on sait très bien qu’au-delà des plans de relance financiers (par l’investissement ou la consommation) le moteur essentiel est la confiance ? Tous les jours on entend sur les ondes des personnes qui déclarent différer, voire annuler des achats (voitures, immobilier, etc. ) qu’ils envisageaient, en raison de la peur qu’ils ont de l’avenir, de leur avenir.
Ce qu’il faudrait c’est une réponse forte aux aspirations de voir notre société évoluer vers une organisation plus équitable, plus responsable, plus humaniste. Les contre-feux en quelque sorte, comme pour les incendies de forêt.
Malheureusement, je pense que le système politique, quel qu’il soit, de droite, de gauche, du centre, n’a pas la possibilité de répondre à ces aspirations. Les hommes politiques sont piégés par les idéologies de partis. Leur préoccupation principale est de "gagner" les élections plutôt que de satisfaire les attentes. Le dénigrement systématique de l’adversaire tout comme le refus de toute solution qu’il avance les discréditent auprès de l’opinion. La perte de confiance qui en résulte fait que la plupart du temps, les citoyens, qui je le crois sont vraiment demandeurs de changement, refusent les réformes par "peur de se faire avoir".
Je pense que les syndicats ne remplissent pas leur rôle. Ils sont la plupart du temps arc-boutés sur des positions qui consistent à défendre des avantages acquis bien souvent obsolètes, ou à tenter d’obtenir quelques mesures supplémentaires totalement insuffisantes. Je ne les entends pas proposer un véritable nouveau modèle de société, répondant aux aspirations évoquées un peu plus haut.
Parmi les signaux marquants, il y en a un qui me semble particulièrement urgent. C’est de mettre un holà fort et rapide aux indécences affichées par quelques-uns qui ont réussi à canaliser les richesses en direction de leurs seuls profits. Je parle des rémunérations, des parachutes dorés, des comportements injustifiables. La semaine dernière c’était à Davos, le Forum Économique Mondial. Les grands patrons s’inquiètent du sort de la planète et se proposent de construire le monde de l’après crise. Quelques jours de réflexion dans le luxe, pour un budget de 89 millions d’euros. Les deux précédents n’ont accouché de rien et ces "grands penseurs" n’ont strictement rien vu venir. Ils se sont même félicités, paraît-il, de "la stabilité fondamentale du système financier américain". Chapeau !
C’est une remise à plat, une reconstruction complète qu’il nous faut. Un projet de société. Il ne s’agit pas de tout casser, simplement de le formaliser de vérifier qu’il correspond aux aspirations des citoyens et ensuite de réorganiser les moyens existants pour y aboutir.
Humanisme : chose certes difficile à définir, tant le mot a été galvaudé. Mais, je retiendrai bien volontiers les deux définitions suivantes :
Théorie qui vise à l’épanouissement de l’être humain.
Position philosophique qui met l’homme et les valeurs humaines au-dessus des autres valeurs.
J’ai pour ma part apporté dans mon livre Utopies ? un certain nombre d’idées, qui bien entendu ne sont que des pistes de réflexion dans une vue globale. Car c’est bien d’une construction d’ensemble dont on a besoin et non pas de mesures ou de mesurettes accolées les unes aux autres pour poursuivre l’édification de l’usine à gaz existante.
Parmi les propositions, on trouve par exemple dans le domaine économique et social, celle du "Bouclier Social" et un développement fort intéressant à propos du "concept de travail", en forte évolution.
Dans notre monde très complexe, on ne peut pas vivre, exister, s’intégrer à la société, sans un minimum de moyens. On s’efforce déjà de les donner, mais de façon trop compliquée et insuffisante. Ce "Bouclier Social" est une remise à plat, accompagnée de quelques améliorations, pour remplacer le patchwork de mesures en vigueur, accumulées les unes derrière les autres.
La notion de travail telle que nous la connaissons depuis des générations est en train de subir une évolution sans précédent. La machine sous toutes ses formes se substitue de plus en plus à l’homme. Les caisses automatiques prennent la place des caissières, les conducteurs de bus, de train, ou les pilotes d’avion vont disparaître. On peut s’y opposer, ralentir le mouvement, mais c’est inéluctable. Et cela va toucher de nombreux domaines. Ce n’est pas forcément un mal, ce qui nous intéresse ce n’est pas de travailler dur, mais de pouvoir vivre. Une remise en cause de notre approche de ces choses s’impose. Il existe un gisement d’activités peu ou mal exploitées, car non rentables dans la vision économique actuelle. On ne peut pas confiner la prospérité d’une Société aux seules richesses marchandes. Les citoyens et leur bon sens ne cessent de le dire.
Ce qui constitue l’utopie, ce n’est pas la faisabilité des propositions, mais la volonté de le faire. Puisque le système politique dans son mode de fonctionnement présent ne peut pas conduire ces réformes pourtant indispensables, notre démocratie représentative doit faire une part grandissante à la démocratie directe. Les outils modernes le permettent. Les citoyens doivent comprendre que leur responsabilité est engagée, que ces évolutions qu’ils attendent avec impatience ne pourront se faire que s’ils prennent en main leur destin. Alors, nos démocraties auront toute chance de devenir plus humanistes.
Démocratie : le mot est à la mode partout, chacun se l’appropriant pour justifier ses prises de position, ses actions. Il est de bon ton de l’accompagner de quelques qualificatifs (vraie, véritable démocratie, par exemple), car il y a de fausses ou de mauvaises démocraties. Pour donner toute valeur aux paroles prononcées, à la proposition faite, il est indispensable de se labelliser en précisant : "le véritable démocrate que je suis ...".
Le Larousse nous dit : Démocratie - "régime politique dans lequel le peuple exerce sa souveraineté lui-même, sans l’intermédiaire d’un organe représentatif (démocratie directe), ou par représentants interposés (démocratie représentative)"
Les historiens nous apprennent que la première définition connue de la démocratie est pour le moment attribuée à Thucydide, historien grec qui aurait vécu entre 460 et 395 av. J.-C.
Mais celle qui fait référence est celle d’Aristote (384 à 322 av. J.-C.), dans son ouvrage "Politique".
â Tout citoyen a le droit d’exprimer et de propager des opinions ou des idées quelles qu’elles soient, sans censure, sans interdit ;
â Toute décision politique doit respecter l’opinion de la majorité des citoyens.
Invité en Pays de Loire pour une conférence autour des idées du livre, suivie d’un échange/débat avec les participants, j’ai développé un nouveau diaporama de présentation.
Il dure 13 minutes. Deux à trois minutes pour présenter l’ensemble de l’ouvrage, le restant consacré aux principales pistes de réflexion qu’il propose dans le domaine économique et social.
PS : Finalement, je trouve que le Président s’est bien défendu, a été clair dans ses propos, convaincant même. Mais je ne sens pas le besoin pour autant de modifier le point de vue exposé ci-dessus.