Finitude des ressources naturelles, augmentation de la demande mondiale, réchauffement climatique du à l'exploitation des ressources fossiles : il est urgent de proposer une politique énergétique responsable et innovante. Le groupe de travail "Politiques énergétiques" de Terra Nova, présidé par Alain Grandjean, développe dans son rapport final des propositions en vue d'un véritable projet de société. Il propose une politique énergétique axée sur la maîtrise de la demande, réaffirmant son ambition européenne et son ancrage dans l'intérêt général, la création d'une "Contribution au service public de l'énergie", s'appuyant sur une hausse progressive et maîtrisée des prix de l'électricité, le développement d'une filière industrielle innovante dans les énergies renouvelables et les nouvelles technologies de maîtrise de la demande, la mise en débat des principales options pour le mix énergétique à long terme, précisant entre autres la place du nucléaire.
"Le rapport en 5 minutes" : Energie avec A... par terranova
La catastrophe nucléaire au Japon ainsi que l’instabilité politique dans certains Etats du Moyen-Orient font peser l’incertitude sur une situation énergétique déjà tendue : un baril qui a dépassé les 100 dollars fin 2010 et une controverse autour de l’exploitation du gaz de schiste. L’ambition d’une véritable politique énergétique responsable et innovante s’impose plus que jamais. Elle devra s’articuler autour des points suivants :
– Partir d’une vision de long terme, partagée démocratiquement, pour fonder des approches claires et durables des enjeux sociaux, écologiques, économiques et industriels de l’énergie ;
– Traduire dans les prix de l’énergie la réalité des coûts, dans une logique de responsabilité économique et de justice sociale ;
– Réorienter, dans le cadre européen, la gouvernance du système énergétique vers une meilleure prise en compte de l’intérêt général.
L’application des propositions suivantes, développées dans le rapport du groupe de travail Terra nova présidé par Alain Grandjean, permettra la réalisation de cette ambition.
Faire de la maîtrise de la demande dans tous les secteurs un axe majeur de la politique énergétique, avec une forte priorité aux économies d’énergie dans le bâtiment et à la mobilité durable
Un plan « Energie 2030 pour la France » est élaboré, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes, comportant une politique de maîtrise de la demande ambitieuse, qui doit être la priorité d’une politique énergétique responsable. Ce plan fait l’objet d’un débat public national : il donne lieu à une loi d’orientation et à une loi de programme pour 5 ans soumises au Parlement.
Le logement :
Une action prioritaire et emblématique sera engagée avec le soutien à la rénovation thermique dans le bâtiment ancien par la mise en place progressive d’un système de bonus-malus lors de la vente d’un logement ancien en fonction de sa performance énergétique. En parallèle, la réforme du diagnostic de performance énergétique doit permettre d’en faire un outil fiable et la promotion d’un ensemble cohérent de règles de rénovation (en tenant compte de la spécificité des territoires, à l’exemple de la réglementation thermique déclinée spécifiquement dans les DOM) sera assurée par la création de labels nationaux et de mesures de soutien financier aux travaux (subvention, prêts bonifiés). Des dispositifs innovants de financement de la rénovation seront mis au point, notamment pour les logements collectifs et tertiaires.
Les transports :
La mobilité durable devient également une priorité, elle passe par davantage de sobriété et de report modal. Un plan national « 2 litres aux 100 km » est lancé pour permettre dès 2015 la commercialisation de véhicules à très basse consommation (hybrides ou 100 % électriques notamment). Ce plan s’appuie sur un système de bonus-malus rénové à l’achat destiné à davantage encourager toutes les technologies existantes pour diminuer la consommation des véhicules, et sur des aides ciblées à l’innovation pour les constructeurs. A l’échelle locale, la création d’un bloc de compétences cohérent « urbanisme, transports, voirie, énergie » au bénéfice des intercommunalités permettra de mettre en place des politiques intégrées et ambitieuses en faveur de la maîtrise des flux et du report modal. Enfin, une aide ciblée au développement de flottes de véhicules basse consommation est mise en place.
Créer une « Contribution au service public de l’énergie » pour assurer la solidarité avec toutes les personnes en situation de précarité énergétique, soutenir le développement des énergies renouvelables et accompagner les efforts de maîtrise de la demande en énergie
La Contribution au service public de l’électricité est généralisée à l’ensemble des énergies et devient la Contribution au service public de l’énergie (CSPE). Elle devient ainsi une taxe chapeau regroupant plusieurs taxes existantes, à l’image de la TGAP dans le domaine de l’environnement. Cette contribution au service public de l’énergie est une taxe affectée au financement d’une nouvelle tarification de l’électricité (voir ci-dessous) et d’une solidarité réelle avec les cinq millions de ménages les plus modestes dans leurs dépenses d’énergie et de carburant, au développement des énergies renouvelables, à la péréquation tarifaire entre les îles et la métropole et au soutien aux investissements dans la maîtrise de la demande en énergie.
Elle regroupe la contribution au service public de l’électricité existante, assise sur l’électricité, et un taux additionnel sur la TIPP et la TICGN étendue à toutes les utilisations du gaz. Au sein de cette assiette très large, les taux de taxation sont modulés en fonction du contenu carbone des différentes énergies, à un niveau initial de 30 à 40 € par tonne de CO2 (y compris pour l’électricité, avec un mécanisme de prix plancher, comme décidé en Grande-Bretagne), et dont l’évolution ultérieure est spécifiée, délivrant ainsi le signal prix sur les énergies fossiles indispensable à la transition vers une économie décarbonée. Une partie de cette taxe abonde un fonds national pour la maîtrise de la demande en énergie. Ce fonds intervient en soutien aux opérations de rénovation thermique dans le bâtiment, notamment dans l’habitat des plus modestes, en offrant des prêts à taux zéro pour les particuliers réalisant des travaux et des subventions pour la mise aux normes thermiques du parc de logement social. L’autre partie du produit de la taxe finance le développement des énergies renouvelables, la péréquation tarifaire entre les îles et la métropole et la tarification sociale de l’énergie. Par ailleurs, un fonds de garantie des risques de dommages liés au nucléaire civil est constitué ; il est alimenté via un complément à la taxe sur les installations nucléaires.
Faire émerger une filière industrielle robuste et innovante dans les énergies renouvelables et les nouvelles technologies de maîtrise de la demande
Une politique de l’offre est engagée en faveur du soutien aux nouvelles technologies de l’énergie (renouvelables, stockage, réseaux intelligents …) pour pallier l’échec de la politique de soutien actuelle, aujourd’hui principalement limitée à une politique de la demande via des tarifs d’achat de l’électricité renouvelable. Outre le maintien de l’effort de R&D aux niveaux européen et national, cette politique s’appuie sur la constitution d’un outil de soutien au développement des technologies et du tissu industriel du secteur.
Cet outil prend la forme d’un fonds de capital investissement Energies Vertes de l’ordre de 1Md€ géré par le Fond Stratégique d’Investissement (FSI) ou une nouvelle Banque publique d’investissement et financé par les ressources de cette institution. Ses interventions s’inscrivent dans une stratégie de constitution de filière industrielle, élaborée par le FSI en concertation avec les parties prenantes.
En parallèle à la constitution de ce fonds, une stratégie de consolidation de la filière artisanale et technique du bâtiment est mise en place. Elle s’articule autour d’une formation renforcée des acteurs et une incitation (fiscale ou via des labels professionnels) au regroupement des activités (plaquiste, chaudiériste, couvreur…) pour constituer de véritables entreprises de rénovation thermique capables de mettre en œuvre des opérations de rénovation globales, coordonnées et cohérentes.
Engager une hausse progressive et maîtrisée des prix de l’électricité en France afin de garder ouvert l’ensemble des options énergétiques à long terme, tout en protégeant les consommateurs modestes
Compte-tenu de la place du nucléaire dans le mix électrique français (80 % environ), en toute hypothèse, une sortie du nucléaire n’est pas envisageable rapidement. Les énergies renouvelables ne sont pas, aujourd’hui, disponibles en quantité suffisante pour assurer la relève et présentent, pour la plupart d’entre elles, un problème d’intermittence ; les économies d’énergie indispensables ne peuvent se déployer que dans la durée. La seule réponse à une sortie du nucléaire rapide serait aujourd’hui le recours massif aux énergies fossiles, plus coûteuses, fortement émettrices de CO2 et pour lesquelles la sécurité d’approvisionnement n’est pas assurée en Europe.
Pour autant, il est politiquement et démocratiquement indispensable de donner à la société la possibilité d’une sortie du nucléaire à terme, ce terme étant lui-même l’objet de débat. Pour ce faire, la durée de vie du parc nucléaire doit être allongée (en maximisant le niveau de sécurité visé) pour une durée et une capacité qui dépendent de la mise en place du programme de maîtrise de la demande et des grandes options énergétiques qui seront choisies dans le plan « Energie 2030 pour la France ».
Ce plan, correspondant à l’horizon du début de remplacement du parc électronucléaire actuel, doit permettre la mise en débat des principales options pour le mix énergétique à long terme, précisant entre autres choses la place du nucléaire.
Cette politique énergétique responsable suppose de préparer dès aujourd’hui le financement des investissements de maintenance, de qualité des réseaux et d’allongement de durée de vie des centrales, puis à terme le remplacement du parc de production sans préjuger des options technologiques qui seront retenues lors du débat national.
En conséquence, et compte tenu des ambitions sociales et d’appui au développement de la nouvelle contribution au service public de l’énergie, une hausse du prix de l’électricité en France de l’ordre de 4 à 5 % annuels en termes nominaux par an jusqu’en 2025 ne peut être évitée. Le rythme et l’ampleur de cette hausse pourront être ajustés progressivement en fonction notamment de la réalisation des opérations d’allongement de la durée de fonctionnement du parc nucléaire actuel et de la révision, à la hausse ou à la baisse, des coûts de déploiement des énergies renouvelables.
Si elle peut paraître élevée, une telle hausse doit être relativisée par rapport aux tarifs et prix de l’électricité en vigueur dans les autres pays européens. Les consommateurs français payent en moyenne environ 30 % moins cher leur électricité que leurs voisins de la zone euro, qui doivent eux aussi s’attendre à des hausses significatives : l’écart devrait se maintenir, voire s’accroître sur les dix prochaines années.
Une nouvelle tarification de l’électricité pour les clients résidentiels est à mettre en place dès 2012. Pour tous les consommateurs, un signal plus fort et progressif sera donné sur la part variable du tarif pour donner une incitation à la sobriété énergétique. Pour les ménages les plus modestes (environ 5 millions de foyers) une réduction de 25 à 50 % de la facture d’électricité sera mise en place dès 2012 en fonction de plusieurs critères : le revenu, la composition familiale et les caractéristiques du logement (performance thermique, mode de chauffage et localisation).
Cette nouvelle tarification permettra ainsi de réaliser des objectifs sociaux et écologiques sans pénaliser les plus modestes.
Réaffirmer l’ambition européenne de notre politique énergétique et son ancrage dans l’intérêt général
La France propose l’élaboration d’un plan énergétique européen à long terme, pierre angulaire d’une politique énergétique commune, intégrant les choix nationaux. Ce plan, qui devra être adopté par le Parlement européen, s’appuie sur l’évolution à long terme des moyens de production électrique nationaux. Il vise notamment à évaluer la cohérence entre les choix des Etats-membres sur les plans techniques et financiers. Il dégage les priorités d’actions relatives aux infrastructures de réseaux et les moyens de les financer. Il inclut aussi une réflexion sur une stratégie européenne d’approvisionnement pétrolier et gazier. Il prévoit enfin des harmonisations techniques et de procédures d’appels d’offre communautaires. Concernant la sûreté nucléaire, les Etats-membres renforcent leur coopération dans le cadre institutionnel actuel (traité Euratom, association des autorités de sûreté ouest-européennes WENRA, Autorités de sûreté nationales), dont la rigueur est mondialement reconnue.
Dans ce cadre, la France soutient une politique ambitieuse de coopération entre les gestionnaires européens de réseaux de transport électrique et gazier de façon à favoriser l’intégration progressive du système énergétique européen, le développement industriel et à participer à l’élaboration de règles de marché privilégiant la sécurité d’approvisionnement. Une telle politique est toutefois délicate à mettre en œuvre dans le cadre juridique européen tant qu’EDF reste actionnaire de Réseau de Transport d’Electricité (RTE) avec un pouvoir de contrôle. Afin de permettre cette politique, RTE (qui est filiale à 100 % d’EDF) devient la propriété directe de l’Etat, aux côtés d’investisseurs publics européens de long terme (Caisse des Dépôts et Consignations, groupe de la Banque européenne d’investissement, etc.).Une réflexion est conduite sur l’élargissement des missions de service public et d’animateur du système électrique français de RTE.
Simultanément l’évolution du service public de la distribution d’électricité fait l’objet d’une conférence nationale réunissant l’ensemble des parties prenantes (collectivités territoriales, Etat, ERDF, fournisseurs d’électricité, commission de régulation de l’énergie). Cette concertation portera notamment sur le devenir des concessions de gestion du réseau de distribution, le rôle des collectivités territoriales, en particulier dans les investissements, la place donnée au régulateur, le développement des réseaux intelligents ou encore le financement de cette activité. La question de l’évolution des liens entre service public de la distribution d’électricité et celui de la distribution du gaz sera traitée dans le cadre de cette concertation.
Par ailleurs, la loi NOME doit être réformée. En effet, pour des raisons de sécurité, il est impératif de mettre les revenus de la production nucléaire à l’abri des incertitudes du marché, incertitudes que la loi NOME, en l’état, ne fait qu’aggraver. Elle conditionne les moyens de la sécurité nucléaire aux fluctuations des marchés de gros qui feront varier les revenus de l’opérateur : le montant de l’ARENH
pourrait de plus évoluer de manière inadaptée ; enfin la suppression des tarifs jaunes et verts (clients moyens) en 2015 va aggraver la volatilité des recettes. Concrètement, la production électrique du parc nucléaire doit être achetée par une entité publique via un contrat pluriannuel. Plus généralement il est impératif, de réfléchir à une organisation qui garantisse que la tarification de l’électricité est compatible avec l’ensemble des enjeux sociaux, économiques et écologiques soulevés dans ce rapport.