Manifeste pour les « produits » de haute nécécssité
Grâce à Stéphane Paoli, toujours à l’affût du mouvement des idées, on a découvert ce week-end sur France-Inter le manifeste pour les « produits » de haute nécessité signé par deux grands écrivains martiniquais Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau et cinq autres intellectuels antillais.
Je ne connais pas grand-chose aux problèmes des Antilles. Comme pas mal de français, j’ai le vague sentiment qu’il faudrait arrêter de porter cette économie à bout de bras et les laisser se débrouiller seuls. L’idée d’envoyer là-bas des profs et autres fonctionnaires mieux payés qu’en métropole m’agace un peu, à la fois pour notre porte-monnaie et pour leur dignité. En gros, ce conflit n’était pas le mien.
En lisant le manifeste de neuf pages, j’avoue que j’ai été agréablement surpris à la fois par la forme et par le fond. Pour la forme on n’en attendait pas moins de ces deux immenses écrivains. Illustrations
>>>La hausse des prix ou la vie chère ne sont pas de petits diables-ziguidi qui surgissent devant nous en cruauté spontanée, ou de la seule cuisse de quelques purs békés. Ce sont les résultantes d’une dentition de système où règne le dogme du libéralisme économique. Ce dernier s’est emparé de la planète, il pèse sur la totalité des peuples, et il préside dans tous les imaginaires - non à une épuration ethnique, mais bien à une sorte d’épuration éthique.
>>>Nous avons tendance à croire que les aspirations de notre vie, et son besoin de sens, peuvent se loger dans ces codes-barres que sont le pouvoir d’achat ou le panier de la ménagère.
>>> ...l’illusoire bienfaisance de ces accords sera vite balayée par le principe du Marché et par tous ces mécanismes que créent un nuage de voracités, (donc de profitations nourries par l’esprit colonial et régulées par la distance que les primes, gels, aménagements vertueux, réductions opportunistes, pianotements dérisoires de l’octroi de mer, ne sauraient endiguer.
>>> Toute déflation salariale dégage des profits qui vont de suite au grand jeu welto de la finance
En parlant de l’eau : commencer à sauvegarder les dernières chiquetailles d’un trésor
Sur le fond, il y a quelque chose de très original dans ce texte. Il commence par soutenir sans réserve le mouvement,
« c’est en solidarité pleine et sans réserve aucune que nous saluons le profond mouvement social qui s’est installé en Guadeloupe, puis en Martinique, et qui tend à se répandre à la Guyane et à la Réunion. »
puis glisse progressivement vers une remise en cause du système capitaliste, « L’autre très haute nécessité est ensuite de s’inscrire dans une contestation radicale du capitalisme contemporain qui n’est pas une perversion mais bien la plénitude hystérique d’un dogme. »
et de la société marchande,
« C’est le gratuit en son principe qui devrait s’installer aux fondements de nos sociétés neuves et de nos solidarités imaginantes... »
il parle de poésie
« On ne peut vaincre ni dépasser le prosaïque en demeurant dans la caverne du prosaïque, il faut ouvrir en poétique, en décroissance et en sobriété. »
et des fameux produits de haute nécessité,
« La haute nécessité est de tenter tout de suite de jeter les bases d’une société non économique, où l’idée de développement à croissance continuelle serait écartée au profit de celle d’épanouissement ; où emploi, salaire, consommation et production serait des lieux de création de soi et de parachèvement de l’humain. »
et il termine par l’écologie et la sauvegarde de la planètepour un renaissance :
« Ainsi, chers compatriotes, en nous débarrassant des archaïsmes coloniaux, de la dépendance et de l’assistanat, en nous inscrivant résolument dans l’épanouissement écologique de nos pays et du monde à venir, en contestant la violence économique et le système marchand, nous naîtrons au monde avec une visibilité levée du post-capitalisme et d’un rapport écologique global aux équilibres de la planète....
Alors voici notre vision :
« Petits pays, soudain au coeur nouveau du monde, soudain immenses d’être les premiers exemples de sociétés postcapitalistes, capables de mettre en oeuvre un épanouissement humain qui s’inscrit dans l’horizontale plénitude du vivant... »
Je m’excuse de plus citer qu’analyser ce texte mais je le trouve tellement beau et tellement à propos dans cette période de crise que je préfère le citer. Je vous encourage à le lire en entier.
Pour les pisse-froid qui trouveront ce texte irréaliste, tant pis pour eux, qu’ils aillent investir leur argent chez le nouveau Madoff ou faire du consulting chez Omar Bongo. Bravo à ces messieurs antillais. Un seul petit regret, pourquoi sept messieurs ? Et les dames ?
A noter pour ceux que ça intéresse un petit livre adressé à Barack Obama par Glissant et Chamoiseau qui parle de la créolisation du monde. L’intraitable beauté du monde.
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