Manuel Valls va-t-il manquer au paysage politique français ?
« Être français, ce n’est pas renoncer à ses origines, ce n’est pas renoncer à son identité, c’est les verser au pot commun. C’est une citoyenneté qui n’est pas petite, qui n’est pas réduite à l’origine de chacun, du sang, du sol ou par naturalisation, mais qui est grande, ouverte, fondée sur la volonté de construire l’avenir ensemble ! » (Manuel Valls, le 9 janvier 2016).
Être français, c’est la volonté de construire l’avenir ensemble. Voilà ce qu’avait dit avec force et conviction Manuel Valls devant le CRIF le 9 janvier 2016. Il était alors Premier Ministre, et était en train de rendre hommage aux victimes des attentats de janvier 2015. Un an auparavant, sous le choc de ces attentats, dans un très beau discours aux députés français, il avait proclamé son amour de la France ainsi : « La France, c’est l’esprit des Lumières. La France, c’est l’élément démocratique. La France, c’est la République chevillée au corps. La France, c’est une liberté farouche. La France, c’est la conquête de l’égalité. La France, c’est la soif de fraternité. Et la France, c’est aussi ce mélange si singulier de dignité, d’insolence, et d’élégance. » (13 janvier 2015).
L’avenir ensemble… Quitter la République française. Et retourner, lui, le "républicain chevillé au corps", lui l’ardent défenseur de la Cinquième République, lui, le patriote, retourner dans une monarchie. Il y a comme un parfum de trahison dans la décision de Manuel Valls de vouloir conquérir la mairie de Barcelone. Il compte l’annoncer officiellement ce mardi 25 septembre 2018 après plusieurs mois de tergiversation, mais cette annonce était prévisible dès ce vendredi 21 septembre 2018 avec un message d’une signature qui ne prêtait pas au doute : "Valls 2019".
Les prochaines élections municipales à Barcelone auront lieu le dimanche 26 mai 2019. Les précédentes élections du 24 mai 2015 avaient offert de justesse la victoire à une coalition de gauche radicale soutenue par Podemos. Le 13 juin 2015, Ada Colau (41 ans) a réussi à se faire élire maire grâce à l’apport des autres voix de gauche. Elle avait obtenu 11 sièges (sur 41) face au maire sortant Xavier Trias (de CiU, un parti centriste) qui n’en avait obtenu que 10. Les deux partis espagnols gouvernementaux ne représentent pas grand-chose : 4 sièges pour les socialistes (PSC) et 3 sièges pour la droite populaire (PPC). Dans les sondages, le Parti populaire représente autour de 5% et le Parti socialiste dans les 10-15%.
Pour faire face à la crise politique en Catalogne depuis un an, le Ciudadanos (parti de centre droit) a proposé en avril 2018 à l’ensemble des formations politiques catalanes opposées à l’indépendance de la Catalogne de présenter une candidature commune aux élections municipales à Barcelone. Et a proposé que ce candidat fût Manuel Valls, originaire de Catalogne (et Catalan de naissance, il n’a acquis la nationalité française que bien plus tard). Manuel Valls est populaire en Catalogne car c’est un Catalan qui a réussi en France, pays généralement aimé par les Catalans. Il est du centre gauche et peut raisonnablement rassembler tous les partis de centre droit et de gauche gouvernementale (néanmoins, le PSC a refusé cette alliance).
Le Ciudadanos a le vent en poupe puisque, aux dernières élections régionales du 21 décembre 2017, il est arrivé en tête avec plus de 1,1 million de voix (25,4% des suffrages exprimés), en remportant 36 sièges sur les 135 que compte le Parlement de Catalogne. Une audience plus grande que l’indépendantiste exilé Carles Puigdemont arrivé à la deuxième place avec 21,7% des suffrages exprimés. Le Ciudadanos représente environ 15-20% dans les sondages actuellement (alors qu'il n'avait obtenu que 11,0% le 24 mai 2015).
La victoire de Manuel Valls est donc possible, mais elle n’est pas automatique. Elle sera même très difficile. Il devra d’abord convaincre ses partenaires de faire une large union autour de lui, et ensuite, il devra convaincre les électeurs de ses convictions catalanes. Ce n'est pas gagné. Les indépendantistes sont très farouchement hostiles à la candidature de Manuel Valls. Et un sondage réalisé par Time Consultants et publié le 14 mai 2018 par le site Cronica Global a évalué la popularité des trois possibles candidats du Ciudadanos. Manuel Valls n'aurait que 10,9% d'intentions de vote, derrière l'ancienne tête de liste à Barcelone en 2015, Carina Mejias (54 ans) qui obtiendrait 12,5%, et bien après la tête de liste aux élections régionales de 2017, candidate pour la présidence de la Généralité (chef de l'opposition au Parlement de Catalogne depuis le 26 janvier 2016), la pétillante Inés Arrimadas (37 ans) qui aurait 19,6%, mais qui ne serait peut-être pas défavorable à la candidature de l'ancien Premier Ministre français. Ces 11% de sympathisants est un seuil qui pourrait s'améliorer au cours d'une campagne (c'est le but d'une campagne électorale), mais Manuel Valls n'est pour autant pas un inconnu et le résultat le moins enthousiasmant pour lui, c'est le fort rejet qu'il pourrait susciter : en effet, 70,4% des sondés seraient sûrs de ne pas voter pour lui.
Trahison ? Peut-être dans un cadre strictement français, de paysage politique français, mais peut-être pas compris comme tel dans un cadre plus large, européen. Rappelons d’ailleurs pour la coïncidence que le 26 mai 2019, ce seront avant tout les élections européennes. On aurait d’ailleurs pu imaginer Manuel Valls s’investir comme tête de liste des pro-européens en France, mais sans doute que le combat était miné de l’intérieur : la détestation du Président Emmanuel Macron à son égard (j’y reviens ci-dessous) est trop forte pour recevoir une telle mission.
Après tout, les habitants de Lourdes ont bien vu leur maire vouloir devenir maire de Toulouse (Philippe Douste-Blazy), ceux d’Épinal leur maire vouloir devenir maire de Paris (Philippe Séguin), ceux de Saint-Herblain leur maire vouloir devenir maire de Nantes (Jean-Marc Ayraut), etc. Il y a plein d’exemples où un élu d’une population l’abandonne pour se faire élire par une autre population. Pris dans le cadre d’un paysage politique européen, cela choque moins que d’un point de vue purement français. D’ailleurs, Daniel Cohn-Bendit n’a-t-il a été élu quatre fois alternativement par des électeurs français et des électeurs allemands au Parlement Européen ?
Alors, la candidature de Manuel Valls à la mairie de Barcelone, je n’y vois pas de trahison. Mais plutôt de la déception, de l’amertume, voire du gâchis. Car après tout, à 56 ans, Premier Ministre imposant pendant plus de deux ans et demi, animal politique plein de dynamisme, de combativité, d'autorité, de ténacité, et aussi de convictions (notamment sur la laïcité), Manuel Valls était un présidentiable français tout ce qu’il y avait de sérieux et de solide, avec un programme élaboré et réfléchi. Un âge proche de celui de Georges Pompidou et de François Hollande à leur élection. Ni tout jeune, ni vieillissant. Et l’ambition de Manuel Valls, elle immense et ancienne, au point d’être comparé à Nicolas Sarkozy, aurait pu le rendre irrésistible au sein d’un électorat centriste.
C’est là la tragédie de Manuel Valls. Comme Alain Juppé à droite, il n’aurait jamais dû passer par les fourches caudines de la primaire socialiste. L’élection de 2017 aurait probablement dû être un duel entre Manuel Valls, représentant le pouvoir sortant, et Alain Juppé, n’incarnant pas le renouvellement mais incarnant la sécurité, le retour à un certain ordre établi, de compétence, de modération, de professionnalisme. Les deux personnalités se sont fait renvoyer par leurs électeurs de primaire. Si l’échec d’Alain Juppé n’était que personnel (son programme n’était pas très éloigné de celui de François Fillon), celui de Manuel Valls était bien plus grave, était politique, Benoît Hamon représentant d’abord une sorte de gauche écolo-archaïque pour la décroissance qui n’avait rien à voir avec les idées de Manuel Valls. Comment ce dernier aurait-il pu soutenir le candidat choisi par son parti ? Piège politiquement mortel.
La tragédie de Manuel Valls, c’est qu’Emmanuel Macron a été jusqu’au bout de la logique vallsienne. C’est d’ailleurs Manuel Valls qui a insisté auprès de François Hollande pour intégrer Emmanuel Macron dans son gouvernement. Il y a un peu plus de quatre ans, Emmanuel Macron n’était encore rien politiquement ! Le terrain du réformisme de centre gauche, était occupé uniquement par Manuel Valls.
Peut-être aveuglé par les obsessions partisanes d’ancien premier secrétaire de François Hollande, Manuel Valls a été incapable de se dégager du Parti socialiste qui n’avait plus d’avenir électoral. Nommé à Matignon, et avec l’ascendant qu’il avait sur François Hollande, il aurait pu vraiment imposer un changement de paradigme, une alliance progressiste avec les forces de l’opposition, des UMP modérés, des centristes de l’UDI, et d’abord, les centristes du MoDem, dont le président François Bayrou n’a pas été beaucoup remercié de son soutien au second tour en 2012.
Résultat, le train du bouleversement du bipartisme LR contre PS est passé sans lui. Manuel Valls a été dépassé par sa propre logique ! Ensuite, les maladresses qu’il a commises contre son ministre Macron ont fait le reste. Lui imposer un 49 alinéa 3 pour sa loi alors qu’Emmanuel Macron avait réussi à convaincre une majorité de députés à la voter. Lui refuser le droit de défendre ce qui est devenu la loi El Khomri a été aussi une humiliation supplémentaire.
Le départ de la vie politique française de Manuel Valls, c’est donc d’abord un constat d’échec. L’échec d’un jeune rocardien, élu conseiller régional à l’âge de 23 ans, qui n’a jamais connu que la politique pendant ses vingt-trois années de "carrière" et qui a atteint des sommets, mais pas le principal. Alors, il va là où l’opportunité se tend pour son avenir, tournant le dos de ses ambitions françaises.
Après tout, il n’est pas rare qu’une personnalité de premier plan, passe d’une ambition présidentielle totalement crédible à une (simple) ambition municipale, qu’il s’agît de garder sa mairie comme Jacques Chaban-Delmas (Bordeaux), Pierre Mauroy (Lille), Alain Juppé (Bordeaux), Gaston Defferre (Marseille), Martine Aubry (Lille), Jean-François Copé (Meaux), Dominique Baudis (Toulouse), François Baroin (Troyes), ou qu’il s’agît, au contraire, d’en conquérir une, comme Jean Lecanuet (Rouen), Raymond Barre (Lyon), François Bayrou (Pau), parfois sans le succès escompté, comme Valéry Giscard d’Estaing (Clermont-Ferrand), Philippe Séguin (Paris), Édouard Balladur (Paris), et peut-être, pourquoi pas ? Jean-Luc Mélenchon (Marseille). Il n’y a eu que les ambitions municipales de Jacques Chirac (à Paris) qui n’ont pas occulté son ambition présidentielle restée toujours intacte après son échec de 1988.
Alors, pour répondre à ma question : Manuel Valls va-t-il manquer au paysage politique français ? La réponse est évidemment et cruellement non ! C’est justement parce qu’il ne manquera pas, parce qu’il est devenu un supplétif, un "inutile" dans son positionnement politique, quand j’écris "inutile", c’est dans le sens de "sans projet politique", que Manuel Valls quitte désespérément la France pour tenter un nouveau challenge personnel. Une nouvelle virginité politique. Sans nous. Nous, les Français… Bon vent !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (22 septembre 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Manuel Valls s’en va à Barcelone.
Manuel Valls : les cinq raisons d’un échec.
Le vaccin anti-Macrobe.
Second tour de la primaire socialiste du 29 janvier 2017.
Quatrième débat de la primaire socialiste du 25 janvier 2017.
Premier tour de la primaire socialiste du 22 janvier 2017.
Troisième débat de la primaire socialiste du 19 janvier 2017.
Deuxième débat de la primaire socialiste du 15 janvier 2017.
Premier débat de la primaire socialiste du 12 janvier 2017.
La primaire socialiste de janvier 2017.
Programme de Manuel Valls (à télécharger).
Manuel Valls candidat à la primaire PS de janvier 2017.
La ville d’Évry.
Discours de Manuel Valls le 13 janvier 2015 au Palais-Bourbon (texte intégral).
Discours de Manuel Valls le 9 janvier 2016 au CRIF (texte intégral).
Manuel Valls et l’esprit républicain.
Manuel Valls vs François Fillon (24 septembre 2015).
La ville de Manuel Valls.
La confiance Valls, volet 2 (16 septembre 2014).
La confiance Valls, volet 1 (8 avril 2014).
Les relations entre l’Élysée et Matignon.
Nomination de Manuel Valls à Matignon (31 mars 2014).
Valls sera-t-il Premier Ministre ? (15 mars 2014).
Manuel Valls et son ambition présidentielle.
Manuel Valls à la primaire socialiste.
Manuel Valls et les institutions de la République.
Valls-Bayrou, même combat ?
Et la Corse dans tout cela ?
Et les gens du voyage ?
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