Mariage homo - Guigou : Je vous ai bien eus !
Depuis quelques semaines, circule parmi les opposants au Mariage pour tous le discours d’Elisabeth Guigou, alors Garde des Sceaux, prononcé à l’Assemblée Nationale le 3 novembre 1998. Il s’agissait alors de soutenir le PACS. Voilà pour le contexte, Mme Guigou prétendant aujourd’hui que celui-ci est occulté quand on cite ses propos. Mais quatorze ans après, Mme Guigou explique sans rire comment elle nous a… baisés.

La plupart des opposants au Mariage pour tous souscrivent à l’argumentation qu’elle a développée à l’époque, et c’est bien pourquoi ils font circuler ce texte. En gros, que dit-il ? Droits nouveaux pour les couples homosexuels, mais pas d’ouverture au droit à l’enfant. Voici quelques extraits qui valent leur pesant d’or :
« Une famille ce n’est pas simplement deux individus qui contractent pour organiser leur vie commune. C’est l’articulation et l’institutionnalisation de la différence des sexes. C’est la construction des rapports entre les générations qui nous précèdent et celles qui vont nous suivre. »
Jamais de la vie !
Apparemment très convaincue, Mme Guigou insiste : « …il fallait aussi bien marquer qu’au regard de l’enfant, couples homosexuels et hétérosexuels sont dans des situations différentes. La non-discrimination n’est pas l’indifférenciation. Le domaine dans lequel la différence entre hommes et femmes est fondatrice, et d’ailleurs constitutive de l’humanité, c’est bien celui de la filiation. Voilà pourquoi le PACS ne légifère pas sur l’enfant et la famille. » Tels sont exactement les arguments actuellement maintenus par la philosophe Sylviane Agacinski qui, elle, persiste dans son refus du mélange des genres avec une probité, une cohérence et une constance qui l’honorent (Le Nouvel Observateur du 10 janvier 2013).
Mais voici une citation qui, admirable en 1998, devient saumâtre en 2013. Mme Guigou : « Enfin, certains ajoutent encore une menace : le pacte ne serait qu’une première étape vers le droit à la filiation pour les couples homosexuels ! Ceux qui le prétendent n’engagent qu’eux-mêmes. Le Gouvernement a, quant à lui, voulu que le pacte ne concerne pas la famille. Il n’aura donc pas d’effet sur la filiation. »
Moi-même, à l’époque, je me disais que les cathos faisaient peut-être un mauvais procès d’intention à la gauche, qu’il fallait lui faire confiance, qu’après tout le PACS était une sorte de mariage Canada Dry sans grande importance. Hélas, les opposants avaient entièrement raison : leurs craintes étaient totalement fondées.
Manipulation assumée
Élisabeth Guigou a-t-elle sincèrement changé de conviction ? Peut-être. Elle dit avoir été « touchée » par des couples homosexuels. Pourquoi pas ? À part qu’on peut être touché sans devoir céder, et qu’on peut être touché par les enfants qui rechercheront désespérément d’où ils sont issus davantage que par celles ou ceux qui les auront délibérément placés en situation de ne pas savoir ou comprendre qui sont leurs vrais parents.
Cependant, Mme Guigou n’a pas seulement été touchée. Elle avoue ouvertement avoir manipulé l’opinion : « …tout le monde oublie de rappeler qu’à l’époque notre objectif était, pour faire accepter le pacs, de le dissocier de la filiation. » La suite de l’interview va dans le même sens. Elle annonce même que, pour la PMA, il « n’est pas raisonnable de vouloir tout faire en même temps. » (ibid) On en revient donc au syndrome de la grenouille : on fera bouillir l’eau lentement, et la grenouille finira par être ébouillantée, mais en douceur.
Chacun jugera, avec le recul, des accents de sincérité de Mme Guigou en 1998 (toute sa déclaration est un réel morceau d’anthologie, mais au goût amer avec le recul). Tout ce qui est possible se fera. Ce n’est qu’une question de temps. Tout ce que nous récusions hier devient nécessaire et merveilleux aujourd’hui. La simple notion de vérité n’a plus la moindre pertinence, celle-ci étant assimilée aux revendications de groupes influents.
Et si on écoutait les religions ?
On a beaucoup, ici même, critiqué les religieux pour leur opposition au Mariage pour tous et pour leurs réticences à l’évolution des mœurs. Argument de Jean-Paul Cluzel : « Affirmer que les enfants doivent se construire dans le cadre d’un mariage traditionnel homme-femme me paraît nier la réalité d’aujourd’hui. » (ibid). La réalité d’aujourd’hui : telle est la tarte à la crème « philosophique » des décideurs contemporains. Fort heureusement, il y a toujours eu des gens pour résister à la « réalité d’aujourd’hui » lorsque celle-ci leur paraissait intolérable. Je citerai deux noms, comprenne qui pourra : Dietrich Bonhoeffer et Martin Luther King. Tous les deux étaient chrétiens, ils se sont appuyés sur des valeurs millénaires qu’ils argumentaient avec force et pertinence, jusqu’à le payer de leur vie. Si les religieux ont toujours tendance à freiner quand tout le monde dévale la pente, c’est que leurs convictions procèdent de valeurs et d’enseignements qui « ont du poids » (tel est le sens du verbe « honorer » en hébreu), loin de la « vanité » du temps, la vanité signifiant, en hébreu, « vapeur » ou « buée », c’est-à-dire : superficiel, sans poids.
Le Nouvel Observateur a décidé de faire comme Élisabeth Guigou : aller officiellement dans le sens indiqué par la girouette en se ralliant au Mariage pour tous. La semaine prochaine, peut-être redeviendra-t-il mendésiste. Cette schizophrénie très socialiste devient insupportable. Entre une droite impitoyable et une gauche sans autre conviction que le sens du vent, nous voilà bien démunis.
Cette année, c’est le centenaire de la naissance de Camus. Quand tous ses amis intellectuels, Sartre compris, étaient emportés à tous vents de doctrine soviétique, le « philosophe pour classes terminales » sut avoir raison contre presque tout le monde. Cinquante-trois ans après sa mort, sa hauteur de vue lui confère une stature qui réduit tous les autres à l’état de nains.
Nous avons besoin non de Guigou mais de Camus.
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