Marine : La Double Pen ?
Tel père, tel fils a-t-on coutume de dire. Mais le proverbe se vérifie-t-il dans le cas de la fille de Jean Marie Le Pen ? En dépit des apparences et d’un héritage revendiqué, les divergences entre père et fille sont loin d’être anodines et participent même plus profondément d’une recomposition à la fois idéologique et stratégique de l’extrême droite française sur l’échiquier politique, à l’image de ce qui se produit un peu partout en Europe. Tout cela étant de nature à redéfinir de fond en comble les orientations qui étaient jadis celles du FN, de telle sorte que jean Marie Le Pen, à l’image d’une vraie mère poule n’y retrouverait même pas ses petits !
Toutefois, le discours de Marine Le Pen même s’il est, comme celui de son père parfaitement articulé semble si démagogique qu’il en parait insincère. Au delà des différences de forme, le parti n’aurait-il donc changé qu’en apparence et la stratégie actuelle de dédiabolisation ne consisterait elle donc qu’à revêtir d’habits neufs une vieille idée qui n’aurait guère changée ?
Qui est d’abord Jean Marie Le Pen ? Avant tout, c’est un passionné de politique. Candidat chez les FFI à l’âge de 17 ans et pupille de la nation, il est loin d’être fasciste et semble redouter tout autant l’occupant nazi que l’Union Soviétique. Ses premières affinités le rapprochent de l’Action Française, comme François Mitterrand. C’est donc un monarchiste maurrassien, conservateur bon teint, mais loin d’être un fanatique. D’un mémoire de maitrise consacré à l’anarchisme français depuis 1945, semble ressortir par ses centres d’intérêt qu’il se situerait dans la mouvance politique actuelle appelée « libéral libertaire », faisant cohabiter en son sein des personnalités aussi diverses qu’Alain Madelin ou Daniel Cohn Bendit.
Avant tout et aussi surprenant que cela puisse paraître, il se réclame du gaullisme, mais ne pardonnera jamais à De Gaulle la liquidation de l’empire et de l’Algérie française. De là, date vraiment son engagement politique à l’extrême droite dure, comme cela fut aussi déterminant pour des gens comme Madelin, Devedjian ou Longuet. Après des débuts parlementaires et un passage dans le camp de Pierre Poujade, il obtient sans doute le soutien de François Mitterrand à la fin des années 80 pour obtenir une audience médiatique. Les deux hommes s’estiment et le président a par ailleurs conservé toute sa fidélité à ses anciens amis d’extrême droite, comme l’a révélé le journaliste Pierre Péan. La suite est connue de tous. Quant à ses nombreux procès et dérapages, force est de reconnaître qu’ils relèvent plus d’une volonté de provocation que d’un assentiment au nazisme, pour lequel il concède juste (comme beaucoup de français) une relative fascination, mais sans en partager les idéaux. Bon nombre de ses propos répandus au café du commerce n’ayant d’ailleurs pas vocation à se retrouver devant les prétoires. Son raidissement est à mettre en rapport avec la montée de l’anti racisme, ce qui est pour lui une occasion inouïe de voir promouvoir ses thèmes favoris et ainsi de devenir un acteur incontournable de la scène politique. De là date le contentieux avec la communauté juive, alimenté par la polémique négationniste et dont sa fille plus avisée espère liquider le douteux héritage. Malgré tout, par sa parfaite maitrise d’une langue recherchée, ses outrances verbales et son audace tribunicienne, Jean Marie Le Pen aura sans doute été le meilleur orateur politique de la Vème République. Autant de qualités, dont là encore, sa fille semble avoir recueilli l’héritage, mais que Jean Luc Mélenchon risque de lui disputer…
On connaît mieux Marine Le Pen, passionaria du mouvement. Elle a tout dit de son enfance malheureuse qui a trempé son caractère, ce que l’on sait moins c’est qu’autour de sa figure emblématique s’esquisse une tradition familiale qui va bien au-delà de son lien de filiation et ressemble à une vraie stratégie de conquête du pouvoir. L’étoile de Marine commence à se lever en 1998, c’est à cette date qu’elle remplace dans le cœur de son père, sa sœur ainée Marie Caroline pressentie comme 1ère dauphine pour recueillir la succession du patriarche, mais qui avait commis l’erreur de trahir pour se rallier à Bruno Mégret. A l’instar du couple Hollande-Royal, Marine fonctionne en binôme avec son compagnon, Louis Aliot qui n’est rien moins que le vice président du FN, l’animateur du très secret think tank « Club Idées Nation » et le porteur de son projet dans les médias. Une autre sœur Yann a épousé Samuel Maréchal, ex directeur du FN Jeunes, un temps favori lui aussi et passé comme tant d’autres de l’évangélisme à l’affairisme. La référence absolue en la matière, il faut la chercher en Italie, ce laboratoire des tendances de la mode politique en Europe, depuis l’ère berlusconienne. Elle s’appelle Alessandra Mussolini, elle est la petite fille du dictateur et rien moins que la nièce de Sofia Loren, beau CV pour celle qui rêva un temps d’une carrière d’actrice avant de poser pour le magazine Playboy et d’entamer par ailleurs un parcours politique authentiquement fasciste. Malgré son prestige, un tel cousinage est néanmoins lourd à porter pour notre Marine, qui va plutôt chercher ses modèles du coté du FPO autrichien de feu Jorg Heïder ou du parti néerlandais de Pym Fortyun. La sulfureuse italienne s’était illustrée par sa fameuse déclaration : « Mieux vaut être fasciste que pédé ! ». Peut être Heïder et Fortuyn qui ont en commun d’être morts tragiquement, avaient ils choisis d’être les deux à la fois !
Toujours est il que la nouvelle stratégie de Marine Le Pen n’a plus grand-chose à voir avec les fondamentaux du FN canal historique et cela semble partiellement expliquer les difficultés qu’elle rencontre pour rassembler un électorat majoritairement très conservateur sur les questions morales et farouchement islamophobe. Le tournant moderniste de la fille de Jean Marie Le Pen inquiète une bonne partie de sa base, constituée pour moitié par les troupes de choc des intégristes catholiques. Le ralliement in extremis de Mme Boutin au candidat sortant, acquis en contrepartie du retrait du mariage homosexuel dans le programme UMP, s’explique par la volonté de Nicolas Sarkozy de se voir revenir cet électorat frileux et ultra conservateur. Autre concession de taille à la modernité de Marine Le Pen, la revendication affichée de la laïcité à la française, qui lui permet de faire une distinction devenue nécessaire entre islamophobie culturelle et simple racisme. Pour elle, qu’ils soient juifs ou musulmans, il n’y avant tout que des français et les oppositions ethniques doivent céder le pas à une sincère volonté d’assimilation aux valeurs de la république. Les différences ne sont pas tant ethniques ou sociales que culturelles et c’est sur ce terrain habile qu’elle porte ses coups. Malheureusement, le gros de ses troupes, viscéralement raciste est majoritairement déconcerté par de telles subtilités. Il suffirait juste pour s’en convaincre de lire le « Journal d’une infiltrée » de Claire Checcaglini. Qui plus est, les positions de l’héritière en matière économique sont de nature à déconcerter sa base, qui tout comme son père reste attachée à une doxa ultra libérale et néo conservatrice sur le modèle américain des années Reagan ou encore sur celui des partis politiques d’extrême droite européens, parvenus comme en Norvège, Finlande ou bien Hongrie a devenir la 2ème force alternative du pays et donc, une fois assagis, devenus pragmatiques sur le plan économique. La crainte de l’Europe et encore plus de l’Allemagne, qui semble bien être le terreau sur lequel surfent les mouvements d’extrême droite européens, débouche par contre dans le cas français sur une surenchère démagogique, qui n’a rien à envier par maints aspects aux programmes de gauche les plus radicaux.
De plus, la stratégie de dédiabolisation et de main tendue à la communauté juive semblent un échec patent et la crédibilité de l’égérie du FN largement entachée comme à plaisir par son trublion de père qui continue ses provocations. Le patriarche jaloux de son pouvoir et sans doute très partagé entre le cœur et la raison quant à sa fille et à ses choix idéologiques, semble décidé à maintenir le parti dans un rôle d’eternel second, agitateur et tribunicien, mais animé d’un purisme sans concession et jusqu’au boutiste face à ses fondamentaux, quitte à se couper à jamais de toute perspective de pouvoir. Et pourtant, il s’en serait fallu de peu. Nombreux étaient dans la droite parlementaire ceux qui étaient prêts à franchir le pas décisif, y compris au plus haut sommet de l’état. Des passerelles existent, comme le très libéral et feutré Club de l’Horloge, vivier de la nouvelle droite, ou encore le courant de la droite populaire créé par le ministre en exercice Thierry Mariani. De nombreux hommes politiques, dont certains très en vue ont depuis longtemps pris l’habitude de naviguer entre la droite extrême et le bloc conservateur. Par malheur pour Marine, la nébuleuse qui gravite autour du FN héberge aussi des personnages autrement moins fréquentables. Ainsi en est-il de la mouvance identitaire qui se veut résolument moderne et solidariste, mais dont les membres sont issus du trop célèbre GUD ou encore d’Unité Radicale, ouvertement terroriste. De même le parrainage du peu recommandable Alain Soral et de son ami Dieudonné avec leur Parti Antisioniste n’est pas de nature à rassurer d’éventuels notables de l’UMP. On s’explique ainsi la rancœur des quadrats de la jeune garde sarkozyste (Copé, Wauquier, Lemaire, NKM, etc…), qui espéraient se tailler la part du lion dans un grand parti ultra conservateur à venir, issu des décombres de l’UMP et de sa chute annoncée.
La stratégie de Marine Le Pen, tout comme celle de Ségolène Royal en 2007 semble bien être de jouer la carte du peuple contre son propre parti. Pour autant, la stratégie de dédiabolisation a ses limites et la perspective d’un pacte avec la droite conservatrice repoussée aux calendes grecques, au grand dam surtout des UMPeistes, qui ne peuvent se retrouver dans le programme anti européen et surtout anti libéral du nouveau FN, en dépit des dernières gesticulations désespérées de leur candidat.
L’ironie de l’Histoire aura voulu que les péchés que l’on attribuait au père lui furent sans doute injustement reprochés ; Tandis qu’il appartenait à la fille de se reconnaître davantage et de faire accepter, sous une forme adoucie, un authentique héritage, qui est celui de la droite révolutionnaire anti libérale et anti marxiste, résolument populiste et hostile aux élites bourgeoises et parlementaires.
Il s’agit là, ni plus ni moins que de la résurgence d’un courant central de la vie politique française, un temps occulté, mais qui refait surface, sans même que l’on y ait pris garde :
Un nationalisme cocardier conjugué à des revendications sociales radicales. Autrement dit, le fascisme.
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