Marine Le Pen déstabilisée par Yann Galut
Refusant la discussion avec Martin Schulz, l’un des poids lourds des élections européennes du 25 mai 2014, la chef du FN a finalement montré sa légèreté programmatique face à un interlocuteur méthodique et… calme.
Depuis trois ans qu’elle est préside le Front national, on ne pourra vraiment pas dire que Marine Le Pen est victime d’un ostracisme dans les grands médias nationaux. Pour preuve, ce jeudi 10 avril 2014 sur France 2 où elle était encore l’invitée principale de la très longue émission de David Pujadas "Des paroles et des actes".
La forme
Comme dans son habitude, David Pujadas est assez peu perspicace pour poser ses questions, au contraire d’un Jean-Jacques Bourdin beaucoup plus incisif. Il serait même plutôt dans le genre Michel Drucker, prêt à aider son interlocuteur en cas de panne.
Quant à elle, Marine Le Pen était toujours égale à elle-même. Toujours à parler fort, sur un ton tellement élevé qu’elle en avait perdu sa voix à la fin de l’émission. Toujours à couper ses interlocuteurs à la limite de l’impolitesse. Toujours à botter en touche, à faire diversion, à parler de l’interlocuteur au lieu de son message, à rester uniquement dans les idées générales, à surfer sur une vague plus ou moins démagogique, à ne jamais préciser ses slogans.
Après tout, c’est son droit et apparemment, ce genre de comportement semble porteur vis-à-vis d’un électorat en pleine errance. Mais il ne faudra alors pas qu’elle se chagrine des réactions qu’elle peut provoquer, comme ce constat assez ironique du journaliste Daniel Schneidermann le matin du 11 avril 2014 : « C’est boulevard Le Pen, sur France 2. Des paroles et des actes n’est pas une émission, c’est un jeu vidéo, où Super Marine, des heures durant, pulvérise les bananes, dézingue les boucliers, et gagne des vies. Bing bing bing. Écrabouillés Saint-Cricq, Lenglet, Lamassoure, et le petit nouveau, le président du club de rugby de Toulon, Mourad Boudjellal, à qui la châtelaine de Saint-Cloud balance froidement sa montre à 150 000 euros. Comme tous les jeux vidéo, tout est fait pour créer l’addiction, et ça pourrait bien ne jamais s’arrêter. ».
Des ratés dans le moteur
Pourtant, Daniel Schneidermann a dû louper la fin de l’émission, car Marine Le Pen n’a pas été au top de sa forme ce jeudi soir.
La cause ?
Yann Galut, qui a 48 ans.
Yann Galut a remplacé au pied levé le Président du Parlement Européen, Martin Schulz, candidat social-démocrate à la Présidence de la Commission Européenne, qui devait débattre avec Marine Le Pen. Cette dernière, bien trop prudente, avait préféré décliner ce type de confrontation. C’est sûr, hors de l’Hexagone, l’ancienne candidate à l’élection présidentielle n’a plus beaucoup d’assurance.
Au point même d’avouer qu’elle est souvent absente du Parlement Européen. Députée européenne depuis juin 2004, de nouveau candidate le 25 mai 2014, elle a même pris le temps de justifier intellectuellement son manque d’assiduité : par son absence, elle refuse de participer aux institutions européennes qu’elle combat.
Et puis, vous comprenez, je n’ai pas le temps, je dirige un grand parti national à Paris, j’ai eu aussi une campagne présidentielle qui m’a pris du temps. Personne pour lui dire : bien, mais alors, madame, démissionnez donc de votre siège de députée européenne, ne soyez pas candidate pour une fonction que vous exécrez, que vous négligez. Encore de la cuisine politicienne, encore de l’alimentaire du portefeuille. Marine Le Pen, décidément, est loin d’être hors du système.
Mais revenons à Yann Galut.
Yann Galut
Qui est Yann Galut ? Il y aurait plusieurs manière de le présenter. Je vais le faire très succinctement. Yann Galut est député socialiste de Bourges et d’après David Pujadas, il a eu l’occasion d’aller sur ce plateau de télévision parce qu’il a dirigé un livre sorti cette année contre le FN : "Le guide anti-FN" (éd. Librio Flammarion).
Yann Galut n’est pas un inconnu dans le paysage politique. Très jeunes, il a milité dans les mouvements étudiants et antiracistes : à l’UNEF-ID (Union nationale des étudiants de France) en 1984 et à SOS-Racisme en 1987. Il fut permanent à la FIDL (Fédération indépendante et démocratique lycéenne) en 1988 (pourtant, il n’était plus lycéen), tout comme la future ex-ministre Delphine Batho. Il était également responsable international de SOS-Racisme aux côtés de Harlem Désir, et a intégré en 1992 le bureau national du MJS (Mouvement des jeunes socialistes), sous la direction de Benoît Hamon. Après ses études, en 1996, il est même devenu l’avocat de SOS-Racisme.
Son engagement électoral a commencé en mars 1995 avec sa participation à la liste municipale du maire sortant Jean-Claude Sandrier (PCF) battue par le député Serge Lepeltier (RPR). Mais deux ans plus tard, en juin 1997, ce fut la revanche ; il fut élu député de Bourges, battant le nouveau maire Serge Lepeltier (futur ministre), et est devenu ainsi le plus jeune député de France, à 31 ans. Avec l’échec de Lionel Jospin, il a perdu sa circonscription en juin 2002 et n’a pu la regagner qu’en juin 2012 avec l’élection du Président François Hollande.
Proche du mouvement altermondialiste ATTAC, luttant contre l’évasion fiscale au point d’enquêter sur l’exil fiscal de l’acteur Gérard Depardieu, défendant les étrangers en situation irrégulière de l’église Saint-Bernard à Paris, Yann Galut a créé au sein du PS une cellule de riposte argumentaire contre le FN sous le nom "La gauche forte".
Duel sur l’Europe
Le débat entre Marine Le Pen et Yann Galut était d’autant plus intéressant sur l’Union Européenne que tous les deux avaient voté non au référendum du 29 mai 2005.
Sur la forme, Yann Galut a adopté un style très "soft", tout en douceur, aucune invective, pas de paroles déplacées, aucun haussement de voix, aucun anathème. Juste des arguments. Juste des questions. En face de lui, il n’y a eu qu’une personne qui ne répondait pas à ses questions, qui lui coupait sans cesse la parole, qui ne l’écoutait pas.
Yann Galut a attaqué Marine Le Pen sur trois sujets.
Le premier, c’est que la mise d’un place d’un protectionnisme, même différencié (en fonction de la situation de la concurrence en France), n’aiderait en aucune manière les entreprises françaises à renforcer leur compétitivité. Au contraire, elles seraient alors obligées d’acquérir leurs matières premières importées de manière bien plus coûteuse.
Le deuxième, c’est que la sortie de l’euro, sans évoquer la dette publique qui s’envolerait mécaniquement, augmenterait automatiquement le prix de l’essence d’au moins 20% et aurait un effet désastreux tant sur les ménages que sur la compétitivité des entreprises françaises.
Enfin, le troisième sujet, c’est que le FN n’a aucune position vraiment arrêtée sur la politique économique à suivre. Issu d’une doctrine ultralibérale professée par Jean-Marie Le Pen, s’étant réclamé de Ronald Reagan et ayant prôné la suppression pure et simple de l’impôt sur le revenu (il est très utile de relire les programmes des années 1980), le parti de Marine Le Pen propose aujourd’hui des mesures de droite dans le sud de la France et des mesures de gauche dans le nord de la France, en fonction de la sociologie de son électorat potentiel, montrant une évidente démagogie.
À tout cela, Marine Le Pen n’a pas su répondre de manière très convaincante. Elle s’est même emmêlée les arguments qu’elle ressort habituellement, déstabilisée par le ton direct mais très calme de Yann Galut, confondant les droits de douane qu’elle voudrait réinstaurer et la sortie de l’euro qu’elle ne cesse pas de réclamer (deux choses complètement différentes).
Quand Yann Galut lui a demandé de préciser concrètement les propositions du FN, Marine Le Pen a été incapable de lui répondre, restant toujours dans le flou général, parlant de sujets périphériques comme le scrutin proportionnel. Du reste, le gouvernement de Manuel Valls reste dans le même flou artistique lorsqu’il s’agit de trouver 50 milliards d’euros d’économie.
Combattre par les arguments et pas par l’anathème contreproductif
Je ne connaissais pas le député Yann Galut, sans doute qu’en lisant sa notice biographique, j’aurais eu des réticences à lui trouver beaucoup de considération car j’ai toujours de la méfiance vis-à-vis d’élus qui n’ont jamais connu que des appareils de mouvements politiques ou syndicaux. Mais je dois bien reconnaître que les propos de Yann Galut ont été très percutants.
En effet, contrairement à une sorte de diabolisation qui ne fait que victimiser le FN, Yann Galut s’attaque au fond du discours, montre l’aspect soit creux (vide de réalité concrète, seulement des slogans efficaces), soit très nuisibles aux intérêts français (notamment aux entreprises).
Marine Le Pen a cru qu’elle aurait plus de facilité à débattre avec un député de base sans notoriété nationale qu’avec une grande pointure européenne (Martin Schulz). Si les deux journalistes qui ont suivi Yann Galut dans l’émission, Anne Fulda et Hervé Gattegno, n’ont pas semblé percevoir ce désappointement de Marine Le Pen, restant sur l’impression initiale de dynamisme et de force, les téléspectateurs attentifs auront compris la vacuité du discours de FN, censé seulement prendre des voix sans s’occuper de définir concrètement ce qui conviendrait à l’intérêt national de la France.
C’est en prenant une à une chaque mesure proposée par le FN et en les démontant, car elles sont démontables, que Marine Le Pen sera mise à nu. C’est ce travail pédagogique que la plupart des opposants au FN, et en particulier ceux du PS, n’ont jamais voulu réaliser, soit par paresse, soit par machiavélisme, préférant cogner, mais de manière contreproductive car ce sera toujours plus mollement que leur adversaire.
C’est pour cette raison que je salue la démarche argumentaire du député Yann Galut, qui a misé sur la réflexion et la raison.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 avril 2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Marine Le Pen candidate.
Les propositions de Manuel Valls.
Martin Schulz.
François Hollande à tâtons.
Programme du FN.
Le syndrome bleu marine.
L’enjeu des élections européennes 2014.
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