Maternelle : le double jeu de Xavier Darcos
Le Ministère de l’Education a édité cette semaine un guide pour les parents d’élèves des écoles maternelles. Une manière, pour Xavier Darcos, de rattraper des déclarations plus qu’hasardeuses ? Peut-être. Un modèle de communication politique. C’est sûr.
Double jeu ou … double « je ». Xavier Darcos serait-il atteint de schizophrénie ? Il existe bien semble-t-il une dissociation entre ce qu’écrit le Docteur Xavier et ce que dit Mister (mystère ?) Darcos sur l’école maternelle. On s’en souvient encore. La phrase avait fait grand bruit. Auditionné en juillet 2008 par le Sénat sur le budget, Xavier Darcos s’était demandé si, dans le soucis d’une « bonne utilisation des crédits de l’Etat », il était logique de faire « passer des concours à bac + 5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants et de leur changer les couches » ? Certes, la question, sortie de son contexte, ne concernait que les enfants de moins de trois ans. Pourtant l’intention du ministre était de relancer le débat autour du rôle de l’école maternelle française.
Or, cette semaine, le Ministère de l’Education nationale édite, à 2,8 millions d’exemplaire, un guide destiné aux parents des enfants scolarisés à l’école maternelle. Et le docteur Xavier semble y exprimer une toute autre vision. Je vous livre là l’intégralité de sa courte introduction. Jugez-en par vous-même :
« Votre enfant est scolarisé à l’école maternelle ou s’apprête à l’être. C’est une chance que lui envient beaucoup d’enfants qui, en Europe et dans le monde, ne connaissent pas cette école si particulière qui prépare la quasi-totalité des enfants, dès l’âge de trois ans, à entrer dans la scolarité obligatoire.
Car l’école maternelle n’est pas une simple structure d’accueil : elle est une école à part entière, qui comporte des objectifs pédagogiques précis et mobilise des compétences très spécifiques de la part des professeurs qui y enseignent. C’est pourquoi j’ai tenu à ce que sa place soit confortée au sein de l’école primaire, en rédigeant pour elle de véritables programmes. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai constamment réaffirmé que les enseignants de maternelle étaient des professeurs des écoles à part entière, avec les mêmes niveaux et modalités de recrutement que leurs collègues des écoles élémentaires : c’est précisément ce qui distingue l’école maternelle des structures d’accueil.
Les Français sont très attachés à l’école maternelle mais ils n’en connaissent pas toujours toute la richesse. C’est pourquoi j’ai voulu que dans la continuité du guide des parents remis à la rentrée 2008 à l’ensemble des parents d’élèves scolarisés dans les écoles élémentaires, ce guide conçu par l’Association Générale des Enseignants des Ecoles et classes Maternelles publiques (AGEEM), vous soit remis dans le cadre du partenariat avec le Ministère de l’Education nationale. Vous y trouverez notamment une explication du fonctionnement et des activités des écoles maternelles ainsi qu’une présentation des programmes de 2008 qui comportent l’ensemble des connaissances et des compétences dont votre enfant aura besoin pour entrer dans de bonnes conditions au cours préparatoire.
Je vous souhaite une bonne lecture !
Xavier Darcos »
Alors, s’agit-il de schizophrénie ? Non, bien sûr. Juste de communication politique.
Le texte reproduit ci-dessus est à y regarder de plus près un exposé où Xavier Darcos affirme tout et son contraire. Il commence par réaffirmer la spécificité de l’école maternelle française : une « école à part entière, qui comporte des objectifs pédagogiques précis et mobilise des compétences très spécifiques », des enseignants qui sont « des professeurs des écoles à part entière, avec les mêmes niveaux et modalités de recrutement que leurs collègues des écoles élémentaires ». Mais dans le même temps, il se contredit. Ainsi, cette « école à part entière » voit « sa place confortée au sein … de l’école primaire » ! Cette école dont les « objectifs pédagogiques qui mobilisent des compétences spécifiques » et à laquelle « les Français sont très attachés » sans en connaître toujours « toute la richesse » se voit dotée … « de véritables programmes » !
On le voit Xavier Darcos nage en pleine contradiction. Docteur Xavier y côtoie donc bien dans les mêmes phrases mister Darcos. Une école dont on vente la richesse, les compétences spécifiques, les objectifs précis ne disposait-elle pas déjà de programmes « véritables » ?
L’objectif, bien sûr est ailleurs. La réforme de l’école maternelle telle que l’organise depuis un an le Ministère de l’Education nationale est toute autre : il s’agit de transformer l’école maternelle en école préélémentaire. Interrogeons nous donc à présent sur ce que recouvre ce glissement sémantique.
La spécificité de l’école maternelle française repose sur certaines caractéristiques : la gratuité, une présence sur tout le territoire de façon équitable, des maîtres ayant reçu le même niveau de formation que tout maître d’élémentaire ou professeur de collège certifié, des programmes spécifiques d’apprentissage en langage, prélecture, mathématiques, EPS (éducation physique et sportive), etc., 97% des enfants scolarisés dès l’âge de trois ans, un fonctionnement qui prévoit la présence, à côté du maître, de personnels ATSEM recrutés par les mairies (1).
L’école maternelle a une fonction fondamentale : enraciner l’enfant dans la société et le préparer à son émancipation. Philippe Mérieux nous rappelle d’ailleurs que l’enjeu est considérable : « Des êtres sans racines cherchent désespérément leur origine et basculent souvent dans la violence et les transgressions, des êtres sans émancipation deviennent facilement la proie de toutes les pressions et de tous les fanatismes. » Dans une de ses conférences, le pédagogue rappelait que l’école maternelle remplit ainsi plusieurs tâches essentielles : permettre à un sujet d’émerger parce qu’on aide un enfant à occuper une place sans prendre toute la place, aider chacun à surseoir à ses impulsions, accompagner chaque élève vers la maîtrise de soi, amener chaque enfant à intérioriser l’exigence de justesse, de précision et de vérité.
Le projet du gouvernement est tout autre. Il consiste, tout d’abord, à faire de l’école maternelle une école préélémentaire. Les nouveaux programmes de grande section intègrent déjà ce glissement : ils se concentrent sur un apprentissage mécanique de la lecture, de l’écriture et des mathématiques (et là je pense à ma fille qui me répète qu’elle en a marre d’apprendre toujours les mêmes lettres qu’on sait déjà…). Les programmes des petite et moyenne section s’est trouvé, en revanche, très allégé. Le risque est de les voir transformées en jardin d’éveil ce qui est le schéma qu’offre l’éducation de la petite enfance dans la plupart des pays européens. Une forme moins coûteuse. Le choix politique actuel est de réduire l’offre de l’Education Nationale, le ministre concerné s’interroge sur la nécessité d’une formation d’instituteur pour encadrer des jeunes enfants (même s’il a admis que les enseignants de maternelle ne changeaient pas les couches, et ne surveillaient pas les siestes, et s’est excusé de ses propos). Certains observateurs nous font remarquer que’on peut craindre que les propositions du rapport Tabarot (juillet 2008) sur le développement de l’offre d’accueil de la petite enfance, ne trouve un écho favorable auprès des instances décisionnelles, pour accueillir les 2 ans, puis les 3 ans, les 4 ans. "L’application des objectifs de régulation budgétaire au Ministère de l’Education nationale pourrait le conduire à poursuivre sur la voie de la diminution, voire de la suppression de l’accueil d’enfants de 2 à 3 ans à l’école maternelle, dans la mesure où cette mission n’est pas au nombre de ses compétences obligatoires. " (paragraphe 3-1-4 du rapport Tabarot) (2)
Le projet s’inscrit, ensuite, dans une culture du résultat, propre à notre époque, dont l’objectif est de participer à la réduction de l’échec scolaire à la sortie de l’école primaire. Le risque ici est de confondre l’évaluation pédagogique qui vise à vérifier ce qui est su ou non et les batteries de tests et mesures qui ne servent qu’à classer, sélectionner les élèves et justifier ainsi des politiques scolaires gouvernementales ou des « stratégies scolaires » de parents, « consommateurs d’école ».
La communication politique orchestrée par Xavier Darcos en 2,8 millions d’exemplaires vise à faire croire aux parents d’élèves que sa réforme n’apporte qu’un changement dans la continuité alors qu’il s’agit bel et bien d’une rupture profonde.
Max.
(1) L’effectif moyen en maternelle est de 30 enfants par classe. Le nombre de postes d’ATSEM financés par les mairies est variable... Au mieux, une par classe, sinon, une pour une classe de petits ou tout-petits, une pour deux classes de moyens ou de grands.
(2) On trouve dans le rapport Tabarot des propositions qui peuvent paraître favorables : horaires plus larges, meilleure continuité sur la journée. D’autres sont des menaces réelles sur l’offre proposée : les jardins d’éveil seront financés par les mairies, le personnel sera municipal => amplification de l’inégalité sur le territoire : toutes les mairies ne disposant pas du même budget. L’accueil y sera payant (crédit d’impôt... pour ceux qui en payent) => les familles dont les enfants en tiraient les plus grand bénéfice en seront exclues. L’exigence de formation pour les personnels employés sera plus faible qu’en crèche. Offre forcément plus limitée =>l’accueil n’est plus un droit pour tous.
Et Une proposition particulièrement surprenante : Paragraphe 4-3-4 Valoriser le métier d’assistant maternel auprès des seniors à la retraite qui souhaitent cumuler emploi et retraite est une des pistes qui pourrait contribuer à réduire les tensions en effectif prévisibles pour ce secteur.
Source : Site Quel avenir pour l’école ?
PS : Vous êtes également les bienvenus ICI.
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