Mayotte : ou quand l’humanité et le droit international font naufrage...
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH225/Naufrage_cote_de_Mayotte_2009-6bae4.jpg)
Mayotte au beau milieu du canal du Mozambique dans l'océan indien, vendredi 13 juillet 2012 à 3 heures du matin heure locale, un kwassa-kwassa (barque de pêcheurs recyclée en embarcation de migrants) chavire avec à son bord 24 passagers dont des femmes et des enfants près des côtes Sud Ouest de l'île de Mayotte non loin de la ville de Boueni. Le bilan est très lourd 7 morts dont 4 enfants et 6 disparus selon la préfecture de Mayotte. Un nouveau drame maritime qui vient frapper les côtes mahoraises déjà durement endeuillées par le naufrage d'au moins trois embarcations du même type depuis le début de l'année 2012, faisant au total plus de 29 morts dont 8 enfants et des dizaines de disparus. En janvier ceux sont deux naufrages dans des circonstances similaires et le 19 mai 2012 un nouveau drame maritime qui venaient relancer la question des flux migratoires dans cette île demeurée française depuis 1975 malgré les objections internationales.
En effet depuis le 1er janvier 1995, le tandem Balladur-Pasqua, respectivement premier ministre et ministre de l'intérieur, instaurait un visa pour réglementer la circulation entre les trois autres îles de l'archipel des Comores et Mayotte. Une fermeture des frontières qui intervenait après des siècles de libre circulation entre les îles, mouvement tellement ancien qu'il n'est pas une famille qui soit dispersée sur l'ensemble des îles de l'archipel. Un verrouillage des frontières aux hommes mais également aux marchandises puisque ce visa s'accompagna de barrières douanières renforcées sur les échanges « traditionnels » de la région (Comores et Madagascar principalement). C'est cette situation qui combinait avec une politique du chiffre décrétée dès les années 2000 par les responsables politiques français engagés dans une nouvelle politique d'immigration, qui conduira au développement de la « question » ou plutôt du « problème » migratoire à Mayotte. L'édification de ce mur administratif de 1995 va instaurer la sédentarisation d'une partie des populations des Comores d'un côté ou de l'autre de cette barrière qui isole Mayotte, favorisant un climat de tensions sociales accrues dans cette île qui va voir sa population multipliée par 3 en 20 ans... Le durcissement des contrôles frontaliers et l'augmentation exponentielles des reconduites à la frontière (les expulsions vont passer de quelques 4000 en 2004 à plus de 21000 en 2011, dont plus 5000 enfants mineurs) vont pousser les migrants à prendre la mer via des passeurs près à prendre tous les risques pour gagner les côtes de Mayotte surveillées avec des moyens policiers, renforcées par des moyens militaires tels que les trois radars qui balaient les côtes de l'île.
Une situation préoccupante puisque ces politiques mortifères de fermeture, de surveillance des frontières combinées avec des reconduites chiffrées massives vont transformer ce bras de mer en l'un des plus vastes cimetières marins du monde. On estime ainsi à plus de 7000 morts et disparus depuis 17 ans ; et ce dans une indifférence quasi-généralisée en France métropolitaine et en Europe. Tant est si bien qu'un François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, de passage sur l'île de Mayotte fin janvier 2012, déclarait à propos des naufrages survenus le même mois que « Mayotte, c’est la honte pour Paris : avouer qu’aux yeux de tous, des gens meurent dans des eaux françaises… Si ça s’était passé à Lampedusa, ça aurait fait les gros titres ! ».
Une indifférence qui semble persister sous la France « du changement » puisque Mayotte reste exclut des nouvelles dispositions législatives concernant les migrants. La circulaire Valls qui légifère sur la rétention et l'enferment des mineurs et de leur famille ne s'appliquera pas à Mayotte pourtant devenu le 101ème département de France depuis mars 2011. Les enfants de Mayotte ne seraient-ils pas des enfants ? Toujours est-il que la répression sur les migrants dans l'île aux parfums continue. Les malheureux exilés se trouvant enfermés avec femmes et enfants dans des conditions abominables maintes fois dénoncés (par le journal Libération en 2008, ou par l'observateur des lieux d'enfermement monsieur Delarue depuis 2009) sans voir poindre la moindre avancée notable.
Ceux ne sont pas non plus les déclarations du nouveau ministre de l'outre-mer, Victorin Lurel en visite à La Réunion qui laisse souffler un vent d'espoir de changement. Ce dernier interrogeait sur le drame du 13 juillet déclarait « C'est une situation triste, et je partage la douleur des familles des victimes [...]Cela se passe à Mayotte, mais aussi ailleurs, en Guyane notamment", mis à part les regrets pas la moindre proposition concrète et durable pour remédier à ces drames et cette situation ubuesque de cette île isolée par la volonté politique.
Un ministre qui faisait part la veille de sa très grande satisfaction après la décision du Conseil européen de reconnaître Mayotte en tant que Région Ultra- Périphérique (RUP). Car ironie du sort ce drame intervient quelques jours après l'annonce officielle mercredi 11 juillet de l'intégration de Mayotte dans l'Union Européenne en tant que RUP, rejoignant la Réunion, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Saint-Martin, les Açores, les Canaries et Madère. Le Conseil européen réunissant les 27 chefs de gouvernement de l'Union Européenne après examen a donné un avis favorable à la requête formulée par la France d'intégrer Mayotte dans l'espace européen. Une décision initialement prévue le 29 juin dernier mais reportée suite à un vice de procédure. Un choix de l'Union Européenne qui ancre un peu plus la présence française dans la région. Une présence et une occupation territoriale pourtant condamnée par le droit international et les institutions internationales au premier rang desquels l'ONU. En effet depuis 1975, date de la proclamation suite à un référendum de l'indépendance des Comores, l'ONU a pris pas moins de 20 résolutions condamnant le maintien dans le giron français de ce territoire reconnus comme appartenant à l'archipel comorien. Des résolutions renforcées par les condamnations régulières de la France par l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) ou encore la Ligue Arabe dont les Comores font partie. Une orientation de l'Union européenne pour le moins étonnante puisque des états membres de l'UE avaient eux aussi condamné la présence française à Mayotte en reconnaissant l'intégrité territoriale des Comores (c'est-à-dire un archipel de quatre îles et non de trois). Une décision qui ne fait pas non plus l'unanimité à Mayotte où certains collectifs ou associations mahorais tel que les IndignéEs avaient clairement pris position contre cette « Rupéaisation » de Mayotte ; Ils avaient même adressé un courrier aux députés européens les mettant en garde contre un vote « en faveur de ce nouveau statut pour Mayotte, vous soutenez un processus géopolitique qui déstabilise cette région[...]Soutiendrez-vous par votre vote cette politique préjudiciable aux équilibres d’une île, d’un pays et plus largement encore de toute une région ? ».
Reste à savoir ce que cette intégration à l'Union Européenne entérinant un fait colonial, une décision riche de conséquence diplomatiquement et politiquement, aura comme répercutions sur la vie locale mais aussi plus largement pour l'ensemble de la région.
T.L.
Documents joints à cet article
![Mayotte : ou quand l'humanité et le droit international font naufrage...](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L620xH465/Naufrage_cote_de_Mayotte_2009_2_-d4eb8.jpg)
8 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON